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Benzema-Deschamps : je t’aime, moi non plus

Les relations entre l'attaquant du Real Madrid et le sélectionneur de l'équipe de France ont oscillé depuis cinq ans entre guerre froide et ligne rouge.

Article rédigé par Xavier Richard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Karim Benzema répond à la presse sous les yeux du sélectionneur Didier Deschamps en mars 2015. (FRANCK FIFE / AFP)

Si Didier Deschamps n'avait jamais fermé définitivement la porte de l'équipe de France à Karim Benzema, sa sélection dans la liste des 26 pour l'Euro dévoilée mardi 18 mai est une surprise. Réconciliés sur l'oreiller bleu, le Madrilène et le sélectionneur ont mis de côté plusieurs années de brouille et d'incompréhensions.

À chaque conférence de presse de Didier Deschamps, la question brûlait les lèvres des journalistes. Mais ça faisait bien longtemps que plus personne n'osait aborder l'absence de Karim Benzema avec le sélectionneur. Lors du déplacement des Bleus au Kazakhstan en mars dernier, elle avait refait surface via un journaliste local résolument optimiste. "Oh non ! Même ici !", s'était amusé Deschamps sans justifier son choix pour autant. "Allez, on restera sur les autres questions. Quelqu'un vous l'a soufflée ! C'est un journaliste français qui vous a soufflé la question !" Appelé dans la liste des 26 pour l'Euro 2021, l'attaquant madrilène et le sélectionneur closent d'une certaine manière un sujet tabou mais certainement pas le jeu des questions et notamment celles sur leur relation longtemps chaotique.

Persona non grata chez les Bleus

8 octobre 2015, Karim Benzema livre ce qui reste à ce jour son dernier match sous le maillot tricolore. Contre l'Arménie, il éclabousse le match d'un doublé et d'une passe décisive avant de finir dans la boue d'une sombre affaire mêlant sextape d'un coéquipier (Mathieu Valbuena), tentative de chantage et procès en correctionnelle. Deux jours avant de battre les Arméniens, l'ancien Lyonnais a une discussion dans une chambre de Clairefontaine avec le milieu de terrain et se propose de jouer les intermédiaires avec les maîtres chanteurs, des amis d'enfance. Cette intervention jette un trouble sur l'implication du joueur dans ce mauvais coup et provoque sa mise à l'écart de l'équipe de France le 10 décembre 2015. Pour Didier Deschamps, sur la même ligne que le président de la FFF Noël Le Graët, Benzema ne peut plus porter le maillot bleu jusqu'à ce que "la situation évolue". Au-delà des faits établis et de la présomption d'innocence, le sélectionneur met en avant la sacro-sainte unité de son groupe pour écarter l'international aux 81 capes et 27 buts. Question d'harmonie collective et d'équilibre dans un groupe où l'ego et la rancoeur n'ont pas leur place.

Pendant ces presque six années de bouderies, c'est le silence radio. Juste un coup de fil succinct avant l'annonce de la liste pour l'Euro 2016 où Benzema est le grand absent. "Ce que je vais te dire ne va pas te faire plaisir : je ne vais pas te prendre", relate le JDD. Déçu, Benzema mettra fin à la conversation dans la foulée, sans aucune demande d'explications sur sa non-sélection. Ce n'est que la confirmation d'une information tombée le 14 avril, annoncée par Benzema lui même et confirmée par la Fédération dans la foulée. "Le président et le sélectionneur tiennent à rappeler que la performance sportive est un critère important mais pas exclusif pour décider de la sélection au sein de l'équipe de France. La capacité des joueurs à œuvrer dans le sens de l'unité, au sein et autour du groupe, l'exemplarité et la préservation du groupe sont également prises en compte par l'ensemble des sélectionneurs de la Fédération. Il en résulte que Noël Le Graët et Didier Deschamps ont décidé que Karim Benzema ne pourra pas participer à l'Euro 2016. »

Le tag qui fait déborder le Basque

Si le groupe français vit bien sans Benzema, et ses résultats le prouveront un peu plus tard, l'attaquant vit mal dans la peau du banni. Ses tentatives de réhabilitation ont échoué dans la presse française. Les rotatives espagnoles sont bien plus accueillantes avec l'enfant chéri de Bernabeu. Le Madrilène réplique maladroitement dans les colonnes du quotidien Marca en accusant Didier Deschamps d'avoir "cédé sous la pression d'une partie raciste de la France". "Il faut savoir qu'en France le parti d'extrême droite est arrivé au deuxième tour des dernières élections", explique KB9 dans son interview. "Mais je ne sais pas si c'est une décision individuelle de Didier, car je m'entends bien avec lui, et avec le président. Je m'entends bien avec tout le monde". Cette déclaration fracassante aura des conséquences. Quelques jours après, le mot "raciste" est tagué sur un des murs de la maison du sélectionneur à Concarneau. C'en est trop pour le Basque.

"Ça restera", avait lâché Didier Deschamps à la question d'un auditeur sur Europe 1 en janvier 2019,"et que certains puissent se permettre de tenir des discours qui amènent à des conséquences qui dépassent tout entendement, ça, je n'oublierai jamais, forcément. On vit avec, mais, à ce moment-là, j'ai considéré que la ligne blanche avait été franchie et quand on franchit la ligne blanche, il y a un point de non-retour."

Ancien chef de presse des Bleus au moment de cette affaire, Philippe Tournon a confirmé le sentiment du sélectionneur dans un entretien accordé à RTL. "Il était vraiment bouleversé par ce qu'il s'était passé. La ligne rouge avait été franchie ce jour-là. Et que Benzema, bien que n'étant pas à l'origine directement des tags racistes sur la maison… c'était un enchaînement. Cantona avait été dans la partie, Benzema avait dit 'peut-être qu'il a cédé à une partie raciste de la France' et là-dessus, arrive le tag à Concarneau sur la maison des Deschamps. C'était trop."

La hache de guerre froide enterrée ?

Loin des Bleus, loin du cœur, Benzema semblait avoir tiré un trait sur un retour en équipe de France sous l'ère Deschamps. L'attaquant merengue a pourtant toujours refusé qu'on le pousse à une retraite internationale sans son consentement. Il voulait choisir sa sortie tout en espérant secrètement faire son retour en Bleu. Depuis quelques jours, comme avant chaque annonce de la liste pour une phase finale, son nom était revenu dans les tuyaux. "Le monde entier se demande pourquoi il n'est pas sélectionné", regrettait dernièrement son ancien agent et ami Karim Djaziri chez nos confrères de Ouest France. "Un mec de son niveau, qui fait partie du top mondial depuis 15 ans et qui n'est plus en sélection depuis six ans… ça n'existe pas ! »

Depuis 2016, la vie des Bleus est un long fleuve tranquille. Si le sélectionneur n'oubliera pas les histoires du passé, son pragmatisme face au faible temps de jeu d'Olivier Giroud à Chelsea et les doutes d'Antoine Griezmann au Barça ont peut-être adouci sa mémoire. "Je n'ai pas la capacité, personne ne l'a, de revenir en arrière et de changer quoi que ce soit", s'est justifié Deschamps. "Le plus important, c'est aujourd'hui et demain. Il y a eu des étapes importantes, dont une très importante. On s'est vus. On a discuté longuement. Après cela, j'ai eu une longue réflexion, pour en arriver à prendre cette décision. Je ne vais pas dévoiler un mot de la discussion, ça ne nous regarde que tous les deux. J'en avais besoin, il en avait besoin".

La forme du Madrilène, éclatante, a forcément plaidé en faveur de son retour en grâce. Autant de raisons pour refaire quelques pas dans la même direction. À l'Euro cet été pour enterrer la hache de guerre. Au tribunal correctionnel de Versailles en septembre pour siffler la fin sur le terrain judiciaire et refermer définitivement la parenthèse.

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