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La Coupe du monde au Qatar peut-elle être annulée ?

A la suite des révélations du "Sunday Times", qui évoque des pots-de-vin lors de l'attribution du Mondial au Qatar en 2022, des responsables britanniques réclament un nouveau vote.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le président du comité du Qatar Sheikh Mohammed Bin Hamad Al-Thani et le président de la Fifa Sepp Blatter, le 9 novembre 2013 à Doha (Qatar). (MOHAMED FARAG / ANADOLU AGENCY / AFP)

Le Mondial 2022 bientôt mis hors-jeu ? Selon le Sunday Times (en anglais), des pots-de-vin ont permis au Qatar d'obtenir l'organisation de la Coupe du monde de football, le 2 décembre 2010. Une polémique de plus dans ce dossier, alors que le choix de l'émirat est déjà très contesté. L'ancien procureur américain Michael Garcia, qui préside la commission d'enquête de la Fifa, est chargé de faire la lumière sur les conditions d'attribution de la compétition à la Russie pour 2018 et au Qatar en 2022.

En attendant, le vice-président britannique de la Fifa, Jim Boyce, est d'accord pour annuler le choix du Qatar et organiser un nouveau vote, si les soupçons de l'hebdomadaire britannique sont avérés. Une position partagée par le président de la fédération britannique de football Greg Dyke. Si jamais ces accusations sont établies par l'enquête, est-il pour autant possible d'annuler un tel événement ? Eléments de réponse.

Oui, "la Fifa peut défaire ce qu'elle a fait"

L'enquête de Michael Garcia prend fin le 9 juin, juste avant le comité exécutif de la Fifa. Un peu juste pour éplucher les millions de documents que le Sunday Times affirme avoir en sa possession. Est-ce que cela sera suffisant pour annuler la Coupe du monde au Qatar ? Une telle situation serait inédite. Difficile, donc, d'en connaître le détail. "En théorie, la Fifa peut défaire ce qu'elle a fait", estime Me Jean-Jacques Bertrand, avocat spécialiste du droit du sport, contacté par francetv info. L'enquête sera transmise au comité exécutif de la Fifa, présidé par Sepp Blatter."Il se réunit au moins deux fois par an, mais c'est un minimum", précise Me Jean-Jacques Bertrand. Et puisque le comité n'a toujours pas voté pour déplacer le Mondial 2022 en hiver, pourquoi ne pas annuler, si les faits sont sans équivoque...

Par ailleurs, le rapport Michael Garcia sera transmis aux six membres de la chambre de jugement, après la Coupe du monde au Brésil. Ce "tribunal de la Fifa" a "un rôle purement disciplinaire", rappelle l'avocat. Il peut prendre des sanctions au cas par cas, mais il n'a pas son mot à dire sur l'organisation de l'épreuve. 

Les différents acteurs restent muets. Contacté par francetv info, Jérôme Champagne, ex-secrétaire général adjoint à la Fifa, rappelle que le Qatar est "innocent tant que sa culpabilité n'a pas été prouvée." Bon connaisseur de la région, ancien diplomate au sultanat d’Oman et arabophone, il suit de près l'affaire. "En même temps, nous devons savoir la vérité. On ne peut pas continuer dans ces conditions." Au point d'organiser un nouveau vote, le cas échéant ? "Toutes les options sont sur la table, tout dépend de la gravité et de l’ampleur des faits éventuels", précise-t-il.

En face, bien sûr, le Qatar ne va rester les bras croisés. Le comité d'organisation a déjà averti qu'il prendrait "toutes les mesures nécessaires pour défendre l'intégrité de la candidature du Qatar". En cas d'annulation de la compétition, l'émirat devra se tourner vers le Tribunal arbitral du sport (TAS), basé à Lausanne (Suisse). Le cas échéant, il lui restera encore le tribunal fédéral suisse, à condition de formuler sa requête sur un vice de procédure.

Non, les conséquences financières seraient trop importantes

En théorie donc, il est possible d'annuler la compétition et d'organiser un nouveau vote. Ensuite, les choses se corsent. Car des travaux ont déjà débuté dans l'émirat. Au futur stade al-Wakrah, par exemple, les tractopelles sont déjà à l'œuvre. Et les fondations seront achevées en mars 2015. En tout, huit autres enceintes doivent être construites et trois modernisées, toutes dans un rayon de 30 kilomètres autour de la capitale Doha.

Des ouvriers en action sur le site du futur stade al-Wakrah qui est construit au Qatar dans le cadre de la Coupe du monde 2022, le 20 mai 2014.  (QATAR COMMITTEE DELIVRY & LEGACY / AFP)

Ce n'est qu'une partie des infrastructures prévues pour l'événement. Au total, le Qatar est prêt à investir 146 millions d'euros en dix ans, selon une étude du cabinet Deloitte (PDF, en anglais), publiée en juillet 2013. A l'époque, seuls 13% des marchés avaient été passés. On imagine les conséquences financières d'une annulation, alors que l'émirat attend son pic de visiteurs lors de l'épreuve. "S’il y a bien des erreurs commises, ce ne sont pas des contrats signés par avance qui doivent empêcher la justice de fonctionner", estime pourtant Jérôme Champagne.

Oui, cela éviterait de jouer en hiver

Un autre argument pourrait convaincre la Fifa d'annuler la Coupe du monde au Qatar. En 2022, la compétition a de grandes chances de se dérouler en hiver, afin d'éviter les températures caniculaires qui règnent dans l'émirat en été. Un report sans précédent, qui bouleverserait totalement le calendrier traditionnel. Et qui pourrait coûter cher à la Fifa. L'Australie, candidate malheureuse pour accueillir le Mondial en 2022, a déjà fait savoir qu'elle demanderait réparation si la compétition avait lieu à cette période, estimant qu'elle avait constitué son dossier avec comme impératif de jouer durant la période estivale.

Quant aux sponsors et diffuseurs, ils sont furieux, notamment les groupes américains Fox et NBC. A elles deux, ces chaînes de télé ont déboursé un milliard d'euros pour les épreuves 2018 et 2022, selon Bloomberg Businessweek(en anglais). Et elles n'ont aucune intention de diffuser du "soccer" l'hiver, saison déjà occupée par la lucrative ligue de football américain. Ainsi, plutôt que de signer de gros chèques de compensation, la Fifa pourrait être tentée de troquer le Qatar contre l'été.

Oui, d'autres pays sont déjà prêts à prendre la relève

Une éventuelle annulation a été vivement condamnée par Sheikh Salman, président de la fédération asiatique, qui a rappelé que la Coupe du monde "représentait beaucoup pour le continent". Mais quelques pays prennent la chose très au sérieux. Candidate malheureuse face au Qatar, l'Australie a déjà annoncé son intérêt pour un éventuel nouveau vote. "A ce stade, nous observons avec intérêt comment les choses évoluent", a ainsi déclaré David Gallop, directeur exécutif de la fédération locale. Il semble avoir oublié les soupçons de la presse locale à l'époque, qui dénonçaient, entre autres, la gracieuse invitation en Australie envoyée à des électeurs ou la remise de colliers à leurs épouses. Autre adversaire acharné du Qatar, le Royaume-Uni, qui semble unanime pour condamner l'émirat dans cette affaire. 

Du côté russe, on raille le manque de fair-play supposé des Britanniques, à commencer par Vyacheslav Koloskov, ancien président de la Fédération russe. "Ce sont les Britanniques qui ont lancé cette nouvelle chasse aux sorcières. Avant, ils avaient déjà tenté d'accuser la Russie et d'autres pays. Ils ne peuvent tout simplement pas accepter leur défaite dans la course pour organiser la Coupe du monde." Il faut dire qu'avec deux petits votes, le Royaume-Uni avait été humilié face à la Russie et au tandem Belgique-Pays-Bas lors de l'attribution du Mondial 2018. Visiblement, l'ancien ministre des Sports et du Tourisme britannique, Gerry Sutcliffe, n'a toujours pas digéré cette défaite, puisqu'il réclame aussi un nouveau vote pour la Coupe du monde en Russie, lundi dans le Guardian (en anglais) : "Avec les graves zones d'ombre sur la candidature du Qatar, il est difficile de croire que la décision de 2018 était propre." A sa décharge la Russie semble avoir été au courant de sa victoire une semaine avant le résultat, comme l'affirme Luke Harding, dans Mafia State (en anglais)

Sans doute échaudée par ces deux dossiers, la Fifa a annoncé un nouveau système d'attribution pour les prochaines Coupes du monde. Alors que seul le comité exécutif avait jusque-là son mot à dire, c'est désormais le Congrès – composé des 209 fédérations – qui aura son mot à dire.

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