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Le contribuable, éternel sauveur du foot français

Un club en difficulté ? On appelle les collectivités locales à la rescousse. Financer un stade ? Le maire puise dans son bas de laine. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Les élus locaux sont venus au secours des clubs en difficulté en L2 : Sedan, Le Mans et Auxerre.  (DARREN ROBB / GETTY IMAGES)

Sur les 40 clubs de Ligue 1 et Ligue 2, 27 sont dans le rouge, une demi-douzaine sont carrément à vendre et trois sont dans une situation critique. A des degrés divers, l'AJ Auxerre, Le Mans FC et le CS Sedan-Ardennes risquent de descendre administrativement de trois divisions si aucune solution n'est trouvée. Et comme d'habitude, on compte beaucoup sur la mairie, le conseil général ou le conseil régional pour renflouer une entreprise de spectacles privée. Un paradoxe qui dure...

Les collectivités locales, dernier rempart avant la chute

A Sedan, les collectivités locales ont garanti le prêt nécessaire à l'investisseur pour pouvoir renflouer le club, le 15 mars dernier. "On comprend qu'il puisse y avoir des mécontents dans un département en difficulté, se justifie Gaël Andry, porte-parole du collectif Sedanais à jamais, mais la mairie n'avance pas de fonds. Quand on a fait signer notre pétition, on a eu énormément de retours positifs", explique-t-il à francetv info.

A Auxerre, la mairie a affirmé qu'elle ne lâcherait pas un centime pour renflouer le club, qui doit trouver 5 millions d'euros. Le département, lui, réfléchit. "Le Conseil général de l'Yonne vient d'arrêter la gratuité des transports scolaires, ce qui lui rapporte 2 millions d'euros par an. S'il injecte ne serait-ce que 10 000 euros dans l'AJA, ça va jaser", remarque Jonathan Ernie, patron des Ultras Auxerre, joint par francetv info.

Les supporters du Mans brandissent une banderole : "Nous c'est le U d'union, vous c'est le F de faillite", le 15 février 2013.  (MAXPPP)
Au Mans, la mairie va apporter 2 des 7 millions manquants grâce au rachat du centre d'entraînement, qu'il compte louer au club ensuite. Une vieille technique de club en difficulté... qu'a pratiqué le Real Madrid dans les années 90. La mairie n'avait pas le choix : le club coule, elle se retrouve seule à payer la facture du nouveau stade au constructeur Vinci. Ce qui coûterait au minimum 45 millions d'euros. "Quand ça marche, les profits sont pour l'entreprise privée, quand ça ne va pas, on tape sur le contribuable. Je comprends que ça passe mal", constate pour francetv info Jérémy Chenais, du Virage Sud Le Mans.


Pourquoi les élus locaux investissent-ils ?

Les élus locaux affirment la main sur le cœur que ces investissements se justifient. Le club a un rôle de vitrine du département - "qui saurait placer Auxerre sur une carte sans les exploits de la bande à Guy Roux ?", s'interroge l'économiste Nicolas Scelles -, génère des retombées économiques, crée des emplois et joue un rôle dans la cohésion sociale. Ça, c'est pour la théorie.

"On exagère beaucoup les retombées économiques, affirme à francetv info Jean-Pascal Gayant, économiste à l'université du Mans. Le foot professionnel est une activité qui attire peu de monde en dehors du bassin économique. Le Conseil général de l'Aube a réalisé une étude (PDF) qui le montre : en dehors de quelques spectateurs venus de départements voisins dépenser leurs 8 euros à la buvette du club de Troyes, les spectateurs des matchs auraient dépensé leur argent autrement. Les retombées d'image existent, mais sont difficilement quantifiables. Idem pour le ciment social."

La Ligue de foot professionnel a aussi sa part de responsabilité. Pour pouvoir durablement évoluer en L1 et en L2, un club doit remplir tout un tas de conditions. La capacité du stade, la taille des salons de réception, ou le nombre de prises internet pour la presse rapportent un certain nombre de points. Il faut avoir la moyenne pour obtenir ce qu'on appelle la Licence Club. Devinez qui est premier au classement de la Licence Club, détaillé ici par L'Equipe ? Le Mans FC, avec 9 785 points sur 10 000 possibles. Le club est pourtant au bord de la relégation administrative et sportivement dans les profondeurs de la L2. Il y a dix ans, les élus locaux avaient entamé les études pour construire un nouveau stade, le vieux Léon-Bollée commençant à faire son âge.

Le stade du Mans, le MMArena, lors de son inauguration, le 29 janvier 2011.  (ALBAN PIERRE/SIPA)
Quand la première pierre est posée, le club est 7e de L1. Il ne fera jamais mieux. "On a dû vendre des joueurs pour financer le stade, regrette Jérémy Chenais, et fatalement on est descendu en L2. Là, le stade de 25 000 places est devenu surdimensionné." Le club a obtenu un rabais du loyer exigé par Vinci, qui a construit le stade dans le cadre d'un partenariat public-privé. Mais ça ne suffit pas... Le président Henri Legarda, a cédé ses parts pour un euro symbolique à un futur repreneur au terme d'un conseil d'administration, mercredi 27 mars. Le groupe Veolia est pressenti, après avoir lancé une offre de 3 millions d'euros.

Les contribuables français apathiques

Qu'attendent les contribuables en colère pour se faire entendre ? "Aucune étude sérieuse n'a jamais été réalisée auprès des habitants des villes concernées pour savoir s'ils acceptaient de payer plus d'impôts pour renflouer un club", remarque pour francetv info Bastien Drut, auteur du livre Economie du foot professionnel. En revanche, les exemples dans les autres pays ne manquent pas. En 1998, les associations de contribuables canadiens ont fait reculer un plan de sauvetage d'équipes de hockey basé sur un nouvel impôt, rappelle Radio Canada. L'an dernier, toujours au Canada, ce sont les contribuables d'Edmonton qui ont empêché la mairie de financer la nouvelle enceinte de l'équipe des Oilers. Les contribuables texans, turcs et australiens se sont eux rebellés contre les royalties démentielles exigées par Bernie Ecclestone, le richissime magnat de la F1. Mais rien dans l'Hexagone. 

"La France demeure un cas particulier. Grâce au gendarme financier, la DNCG, on a pu éviter pas mal de catastrophes financières", veut croire Bastien Drut. "Il ne faut pas se faire d'illusion : avoir un club de foot dans sa ville, ça peut devenir très lourd financièrement, nuance Jean-Pascal Gayant. A Lens, c'était 117 euros par contribuable en 2002, note L'Expansion. Les difficultés du club sang et or n'ont pas dû faire baisser la facture. "Le contribuable sera toujours perdant", conclut l'économiste.

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