Le football a-t-il du retard dans la prise en charge des commotions cérébrales ?
Il est de retour dans le groupe. Douze jours après sa commotion cérébrale dans un duel aérien contre Reims, Samuel Umtiti a été autorisé à retrouver les terrains et pourrait jouer avec le Losc dans le derby contre Lens, dimanche 8 octobre. Sonné sur le coup, il n’avait pas été sorti du terrain et avait repris le jeu avant de faire un malaise dans les vestiaires, à la mi-temps, preuve d’un couac dans la prise en charge de sa commotion. Alors que les règles du football n’accordent que trois minutes aux médecins pour effectuer des tests en bord de terrain, les spécialistes demandent à ce qu’elles soient modifiées pour se rapprocher de celles du rugby.
"Oui, le football a du retard dans la prise en charge des commotions", admet d’emblée Vincent Gouttebarge, ancien footballeur professionnel qui a suivi des études de médecine avant de devenir chef du service médical de la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels (Fifpro). Avec une incidence nettement moins importante dans le football, environ une commotion tous les 50 matchs, contre une commotion lors d’un match sur deux dans le rugby, ce problème "a été mis un peu moins souvent sur l’agenda de travail", concède celui qui a lui-même subi deux commotions cérébrales mal identifiées durant sa carrière de footballeur.
"Depuis environ 10-15 ans, c'est surtout le rugby qui était le fer de lance dans cette problématique. Depuis très peu de temps, environ cinq ans, le football s’est mis au diapason, après la publication d’un article scientifique très important à ce sujet dans une revue médicale prestigieuse, en 2019. Une étude sur une équipe écossaise a prouvé que les anciens joueurs avaient des risques accrus de développer des maladies neurologiques", complète le docteur Alexis Demas, neurologue et médecin référent auprès de la Fédération française de football pour les commotions cérébrales.
Une prise de conscience nécessaire qui n'a pas réglé le problème. "Ce retard a été frappant lors de la Coupe du monde 2022. Il y a eu plusieurs scènes de commotions terribles et l’arbitre n’a même pas interrompu le jeu, poursuit le docteur Alexis Demas. Lors du match Arabie saoudite-Angleterre, il y a un contact énorme entre le gardien saoudien et l’un de ses défenseurs, le défenseur s’écroule, reste inanimé au sol et le jeu a continué, sans que l’arbitre ne siffle. Je regardais le match en direct et j’ai été choqué".
Un protocole strict et des médecins qui pourraient être aidés par la vidéo
En France, et selon les règles de l’IFAB (International Football Association Board), qui détermine les lois du jeu, la FFF et la LFP (Ligue de Football Professionnel) ont mis en place un processus de prise en charge des commotions cérébrales qui prévoit l’intervention du médecin d’équipe durant trois minutes sur le terrain. Le soigneur pose alors des questions au joueur qui vient de subir un choc à la tête, comme : Quelle est la date ? Quel est le score ? Quel est le nom de tel coéquipier ?... "S’il a du mal à répondre, alors ce sont des signes de dysfonctionnement du cerveau, qui impose de mettre le joueur au repos, en sécurité. Il doit alors sortir du terrain, être remplacé, et une fois dans un environnement calme, comme le vestiaire, on approfondit l’examen médical", détaille Alexis Demas.
Samuel Umtiti avait-il correctement répondu à ces questions ? Damien Monnot, le médecin du Losc n’a pas souhaité répondre aux questions de franceinfo:sport, invoquant le secret médical. Au regard de la vidéo du choc, Alexis Demas estime que la commotion était visible immédiatement : "Il y avait une scène de chaos, de perte de connaissance du joueur. Assez rapidement, en tant que soignant, on se dit que c’est une commotion avec un degré assez grave puisqu’il a les bras comme un pantin quand il tombe, ce qui est un signe d’atonie". Emmanuel Orhant, le directeur médical de la FFF, a pu s’entretenir avec Damien Monnot, et le défend. "Il m’a dit que s’il avait vu les images, il aurait sorti Umtiti immédiatement, mais il n’y avait personne pour regarder les images pendant que lui faisait les tests sur le terrain, explique-t-il. C’est aux clubs de mettre en place un système de tablettes, sur le banc, c’est autorisé pour regarder ces vidéos de chocs. Il peut aussi y avoir quelqu’un dans les tribunes qui regarde la vidéo et transmet les informations au médecin par oreillettes".
Une fois la commotion cérébrale détectée, l’article 588 du règlement de la LFP prévoit "qu’un examen d’expertise soit réalisé dans les 72 heures suivant la commotion par un médecin expert neurologue" et qu’une "nouvelle et dernière consultation par le médecin expert neurologue doit être réalisée avant la reprise de la compétition". Une reprise qui intervient "dans 90% des cas, environ deux semaines après la commotion", selon Alexis Demas. "En cas de non-respect de ces dispositions, le club pourra se voir sanctionné par la commission des compétitions d’une amende pouvant aller jusqu’à 20 000 €", ajoute le règlement. C’est notamment ce que risque le club de Reims, attaqué en justice par son gardien Florent Duparchy, victime de deux commotions en août 2022 et mars 2023 pour "mise en danger de la vie d’autrui". Il n’aurait pas été dirigé vers un neurologue après la première, aurait repris l’entraînement avec des symptômes, avant d’être victime d’une deuxième commotion, puis de jouer avec l’équipe réserve le lendemain.
Des championnats prêts à tester les remplacements temporaires
Avec seulement trois minutes pour effectuer les tests sur le bord du terrain, contre 12 minutes dans les vestiaires au rugby, le protocole commotion du football peut paraître léger. "Les protocoles ne sont pas comparables, notamment par rapport à la nature différente de la musculature du cou d’un rugbyman, et par rapport à la nature du jeu, avec plus d’anticipation des plaquages et des chocs. Contre la Namibie, Antoine Dupont a par exemple subi une commotion, mais n’a pas été sonné", explique Alexis Demas. Pour autant, les spécialistes demandent tout de même à ce que le protocole du football soit rallongé pour se rapprocher de celui du rugby.
"Les études disent qu’il faut au moins 10 à 15 minutes pour constater une évolution encore précoce de la commotion. Donc trois minutes, c’est ridicule, juge Vincent Gouttebarge. La Fifpro (le syndicat international des joueurs) demande depuis pas mal de temps des évolutions des lois du jeu. Très récemment, trois championnats, la Major League Soccer (Etats-Unis), la Premier League (Angleterre) et la Ligue 1 (France) ont proposé à l’IFAB d’être un terrain de tests pour opérer des remplacements temporaires, le temps que le joueur qui aurait subi une commotion puisse se faire examiner dans les vestiaires. Mais l’IFAB a toujours été contre cette évolution. Tant que les lois du jeu ne seront pas changées, on sera soumis de nouveau à ce genre d’erreurs des médecins sur le terrain". Depuis 2021, l’IFAB autorise tout de même un remplacement supplémentaire pour suppléer un joueur sorti pour une suspicion de commotion.
Encore du travail sur la sensibilisation
En attendant une éventuelle modification des règles, le travail des instances porte sur la sensibilisation des joueurs, qui refusent parfois de sortir quand ils subissent un choc à la tête, ou réagissent mal quand un de leur coéquipier en subit un. "La commotion crée un dysfonctionnement cognitif et émotionnel dans le cerveau du joueur. Il n’a à ce moment-là aucune capacité fonctionnelle pour juger s’il est apte à retourner sur le terrain. C'est donc la dernière personne à écouter pour prendre la décision de le sortir ou pas", affirme Vincent Gouttebarge. En revanche, "il faut éduquer les joueurs autour de lui, pour qu’ils l’incitent éventuellement à sortir et qu’ils favorisent le travail du staff médical", poursuit-il. Visiblement pas assez sensibilisés à ce sujet, les coéquipiers de Samuel Umtiti l’avaient placé en position latérale de sécurité avant l’arrivée du médecin du Losc, ce qui est déconseillé pour éviter les atteintes à la colonne vertébrale et aux cervicales.
Ces sensibilisations sont désormais obligatoires pour les joueurs et joueuses des sélections nationales françaises. "Dans toutes les sélections, il y a une formation faite par le médecin sur les commotions cérébrales. Je l’ai faite moi-même aux joueuses de l’équipe de France avant la Coupe du monde cette année. Ensuite dans les clubs, c’est la responsabilité du médecin, et je ne vais pas fliquer qui le fait ou ne le fait pas. Si un jour il y a un problème, ils en porteront la responsabilité", affirme le docteur. Chaque lundi, après une journée de championnat, Emmanuel Orhant regarde également les vidéos dès qu’un délégué de match signale une blessure à la tête. Il envoie ensuite un message au médecin pour valider ou non la commotion. La saison dernière, 23 cas de commotion ont été rapportés en Ligue 1 et Ligue 2.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.