Portugal : le Sporting, un champion qui renaît de ses cendres
Grâce à sa victoire contre Boavista (1-0), mardi, le Sporting Portugal a conquis son 19e titre de champion, trois ans après une crise historique.
Benfica Lisbonne. FC Porto. FC Porto. Benfica Lisbonne. Cette saison, le Sporting Club Portugal a enfin réussi à briser la série de titres que se partageaient depuis dix-neuf ans les deux plus gros clubs portugais. Vainqueur de Boavista (1-0) au stade José Alvalade XXI de Lisbonne, mardi 11 mai, le Sporting s’est assuré de remporter son 19e titre de champion du Portugal, le premier depuis la saison 2001-2002. Un sacre d’autant plus surprenant qu’il survient trois ans après une crise violente et intense au sein du club lisboète.
Le Sporting mène 1-0 à la pause. Une victoire et c'est le titre. Voilà comment le but de Paulinho a été célébré... à l'extérieur du stade. pic.twitter.com/V1iQh2PHQJ
— (@nicolas_vilas) May 11, 2021
Le président au centre des tensions
En 2018, le Sporting CP n’imagine pas vivre une saison historique, du moins pas dans le mauvais sens du terme. Un homme en particulier cristallise les tensions, s’il n’en est pas d’ailleurs l’instigateur. Cet homme, à l’époque, n’est autre que le président, Bruno de Carvalho, élu en 2013, puis réélu quatre ans plus tard. Ancien membre des groupes ultras du Sporting, Bruno de Carvalho confond parfois son rôle de président, et celui de supporter.
Cette ambivalence le pousse à un premier dérapage, le 5 avril 2018, quand il s’en prend à plusieurs de ses joueurs sur une publication postée sur Facebook après une défaite face à l’Atlético de Madrid, en quarts de finale aller de la Ligue Europa (2-0). En réponse, toute l’équipe s’était portée solidaire des joueurs visés et avait publié un communiqué sur le compte Instagram de leur capitaine Rui Patricio en regrettant "l’absence de soutien" de leur président, et demandant à ce que "tous les problèmes se résolvent en interne".
"Tous les joueurs qui ont signé ce texte sont immédiatement suspendus et devront affronter la commission de discipline du club."
Bruno de Carvalhosur Facebook, en avril 2018
L’histoire ne s’était pas arrêtée là puisque Bruno de Carvalho avait alors pris la décision de suspendre les 19 joueurs de l’effectif ayant partagé ledit communiqué pour la rencontre suivante. Sous la pression de l’entraîneur Jorge Jesus, le dirigeant n’avait finalement pas mis sa menace à exécution.
Le tournant le plus violent, et finalement décisif dans cette crise sans précédent pour un club vieux de 115 ans, était intervenu mi-mai. Quelques jours après une défaite qui avait mis fin aux espoirs de qualification du Sporting en Ligue des champions, une cinquantaine de supporters cagoulés avait forcé l’entrée du centre d’entraînement situé à Alcochete, dans la banlieue de Lisbonne. Une fois dans l’enceinte du club, les individus avaient agressé physiquement joueurs et entraîneurs du Sporting. Une photo du crâne ouvert et ensanglanté de Bas Dost, meilleur buteur du club cette saison-là, avait été relayée sur les réseaux sociaux.
La police portugaise annonce que ces personnes cagoulées sont des "supporters". Voilà comment ces gars qui disent aimer leur club ont traité Bas Dost, meilleur buteur du #Sporting... pic.twitter.com/HEUqydinXp
— (@nicolas_vilas) May 15, 2018
"Terreur", titrait en Une le journal OJogo. "Le jour le plus noir de l’histoire du Sporting", martelait de son côté A Bola. Difficile de contredire les mots forts choisis par deux des quotidiens sportifs portugais puisque cette journée avait marqué le tournant décisif de cette crise.
Un mois plus tard, depuis la Russie où le Portugal dispute la Coupe du Monde 2018, plusieurs internationaux annonçaient la rupture unilatérale de leur contrat avec les Lions (le surnom du club). Le gardien Rui Patricio est le premier d’entre-eux, rapidement imité par William Carvalho, Rafael Leão, Bas Dost ou encore Bruno Fernandes, avant que ce dernier ne fasse machine arrière en resignant un nouveau contrat. Le Sporting perdant tout de même un beau pactole. Certains joueurs avaient signé ailleurs gratuitement avant que, de peur d’une amende conséquente, ces clubs ne compensent financièrement le club de la capitale lusitanienne à un niveau cependant inférieur à leur valeur marchande.
L'ex-président destitué
A la fin du mois de juin, Bruno de Carvalho était destitué de son poste de président. Une première dans l’histoire du club. Cinq mois plus tard, il était entendu pendant quatre jours en garde à vue avant d’être libéré sous caution. Le Ministère public le soupçonnait en effet d’être le commanditaire de l’agression des joueurs au centre d’entraînement.
Bruno de Carvalho écarté, la reconstruction du Sporting pouvait enfin prendre forme autour de Frederico Varandas, le néo-président. Ce renouveau a pris un virage important, en 2020, en revenant aux valeurs essentielles du club : la formation. Connu pour avoir formé Cristiano Ronaldo mais également Luis Figo ou plus récemment les champions d’Europe 2016 avec le Portugal Joao Moutinho, Nani ou Ricardo Quaresma, le Sporting Club décide de favoriser l’émergence de jeunes pépites.
Pour mener à bien le projet, Frederico Varandas n'hésite pas à sortir le porte-monnaie pour s'offrir un nouvel entraîneur à prix d'or. En mars 2020, le jeune Ruben Amorim (36 ans) débarque de Braga en cours de saison pour 10 millions d'euros. "Ce n’est pas un all-in, c’est juste le début d’un nouveau projet, un changement de paradigme, expliquait le président lors de la présentation officielle de l’entraîneur. Nous l'avons choisi parce qu’il est (...) capable de valoriser les joueurs, y compris ceux de notre centre de formation, et de leur permettre de maximiser leur potentiel.”
XXI
Une des équipes les plus jeunes du championnat
Selon l’Observatoire du football CIES, le Sporting utilise neuf joueurs formés au club, soit 26% des minutes disputées par les Lions. En comparaison, le FC Porto, deuxième de ce classement dans le championnat portugais, compte six joueurs issus de son centre de formation pour seulement 13% des minutes allouées.
En défense, Gonçalo Inacio (19 ans) et Nuno Mendes (18 ans), courtisés notamment par Manchester City et la Juventus Turin, se sont imposés comme des titulaires indiscutables. Au milieu, Daniel Bragança (21 ans) et Matheus Nunes (22 ans) ont souvent fait des entrées décisives. Et en attaque, Jovane Cabral (22 ans) et Tiago Tomas (18 ans) ont marqué des buts importants.
Au-delà des joueurs issus de son académie, le Sporting est une des équipes les plus jeunes du championnat car son recrutement a obéi à cette même logique. Ses paris les plus réussis sont l'Espagnol Pedro Porro (21 ans), et le Portugais Pedro Gonçalves (22 ans), élu meilleur espoir du championnat la saison dernière et actuellement en tête des buteurs de la compétition avec 18 réalisations, à égalité avec l'international suisse du Benfica, Haris Seferovic. La moyenne d’âge des Sportinguistes s’élève ainsi à 25,8 ans cette saison, la quatrième plus jeune de Liga Nos.
"Nous allons souffrir [en C1] mais nous ne pouvons pas changer notre idée de parier sur la formation et la valorisation des joueurs."
Ruben Amorim, entraîneur du Sporting
"Le mélange entre joueurs de l'académie et joueurs plus expérimentés est important dans le succès des équipes", expliquait Amorim après avoir garanti l'accès à la Ligue des champions la saison prochaine.
Cet assemblage de jeunes, encadrés par quelques joueurs d’expérience comme Joao Mario (28 ans), Joao Pereira (37 ans) ou Zouhair Feddal (31 ans), a porté ses fruits. Un doux euphémisme d’ailleurs au regard de la domination lisboète en championnat, fruit d'un 3-4-3 signature du coach Amorim. Ses hommes sont encore invaincus après 32 journées, et déjà champions, donc, deux rencontres avant la fin du championnat.
S’il évite la défaite dans le derby, au Benfica, samedi 15 mai, puis face au Maritimo mercredi 19 mai, le Sporting peut terminer son championnat invaincu. Seul le FC Porto l’a réalisé, à deux reprises (2010-2011 et 2012-2013), depuis près de trente ans.Une façon supplémentaire de rentrer dans l’histoire pour le Sporting. Un destin que nul ne pouvait imaginer ni même espérer trois ans plus tôt.
Désormais, les Lions se mettent à rêver. D’abord de Ligue des champions, qu’ils retrouveront quatre ans après leur dernière apparition, puis du retour de l’enfant prodige. Début mai, le quotidien sportif portugais Record assurait en effet que Cristiano Ronaldo aimerait terminer sa carrière dans le club de ses débuts. La crise est désormais bien loin.
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