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Droits TV : cinq questions que pose le nouveau refus de paiement de Mediapro

C'était attendu, Mediapro, principal diffuseur de la Ligue 1, n'a pas honoré son troisième versement de 162 millions d’euros prévu pour la diffusion des droits TV pour la période 2020-2024. Voici les cinq questions que pose ce nouveau revers dans ce bras de fer où un troisième acteur, Canal+, pourrait tirer son épingle du jeu.
Article rédigé par Théo Gicquel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7 min
  (FRANCK FIFE / AFP)

• Un accord est-il encore possible entre la LFP et Mediapro ?

La possibilité d’un accord entre la Ligue de Football Professionnel (LFP) et Mediapro, son principal diffuseur pour la période 2020-2024, a encore pris du plomb dans l’aile. Vendredi, le conciliateur nommé par le tribunal de commerce de Nanterre le 19 octobre devait présenter les solutions en vue d'aboutir à un accord entre les deux parties. Mais aucune issue positive n'a été trouvée : le groupe sino-espagnol était sommé de payer jusqu’à ce samedi le montant de 162 millions d’euros, correspondant au troisième versement prévu sur les 780 décrochés pour la diffusion de la Ligue 1.

Pour rappel, Mediapro s’était acquitté d’un premier versement de 172 millions d’euros début août, mais avait manqué à son devoir à l’échéance du deuxième versement (du même montant) le 6 octobre. La perspective d’un accord semble aujourd’hui presque enterrée selon Pierre Rondeau, spécialiste de l'économie du sport et du football et co-directeur de l'Observatoire Sport : "Je ne peux pas croire qu’un accord soit trouvé entre Mediapro et la Ligue. La confiance est brisée, et ils ne peuvent pas poursuivre. Ils ne peuvent pas espérer continuer avec cet acteur qui a perdu toute crédibilité et toute confiance, à la fois auprès des la Ligue et des clubs, mais aussi auprès du public. A tous les niveaux, c’est une faillite. Il faut rompre le contrat et assez rapidement", estime-t-il.

De son côté, le groupe présidé par Jaume Roures souhaite renégocier le contrat pour la fin de la saison en raison de la Covid-19, invoquant que "le contrat a été établi dans des conditions qui n'ont rien à voir avec la situation actuelle". Un argument qui ne tient pas sur le fond et sur la forme pour Pierre Rondeau; et que la LFP aurait d'ailleurs écarté. "C’est très inquiétant de voir Mediapro demander à renégocier le contrat pour cette seule saison 2020-2021. Le phénomène va perdurer en 2021-2022 pour les clubs, il y aura encore des soubresauts par la suite. En cas de futur confinement, Mediapro pourrait bloquer le paiement en raison de cet état d’urgence sanitaire. La confiance est donc totalement rompue et je ne peux pas croire qu’on accepte de maintenir une diffusion avec Mediapro", explique le spécialiste.

Selon deux autres sources ayant connaissance du dossier et requis l'anonymat, Mediapro s'estime non redevable de cette échéance pourtant contractuelle du 5 décembre tant que le processus de conciliation avec la Ligue est en cours.

• Combien de temps peut durer cette bataille judiciaire ?

Personne ne semble réellement voir le bout du tunnel dans cette guerre froide. Comme l’expliquait L’Equipe vendredi, la procédure de conciliation, demandée par le groupe Mediapro, été ajournée de "quelques jours", et peut durer jusqu’à maximum quatre mois. Une hypothèse que la LFP souhaite à tout prix éviter afin de ne pas mettre en péril la santé financière déjà bien entamée des clubs. "Le non-versement provoque une très grande difficulté comptable pour les clubs et une très grande inquiétude de solvabilité. Il faut absolument que cette conciliation prenne fin pour qu’on aille vers un nouveau diffuseur le plus rapidement possible", explique Pierre Rondeau.

En cas de non-versement par Mediapro des sommes demandées, le risque pèse principalement sur les clubs, déjà endettés par deux prêts : un prêt garanti par l’Etat (PGE) contracté au printemps, et un autre lié directement à cette affaire après l’absence de deuxième versement début octobre. De quoi refroidir de potentiels créanciers ? "On est dans une très très grande inquiétude, et la réponse pourrait aussi venir de l’Etat pour éviter la faillite du football français", ajoute l’économiste. 

La semaine à venir sera d'autant plus cruciale qu'une Assemblée générale de la Ligue, regroupant tous les clubs professionnels français, est prévue jeudi 10 décembre, précédée d'un Conseil d'administration. Dès lundi, les dirigeants des clubs de Ligue 1 se réuniront lors d'un collège.

• Quel plan peut être envisagé pour sortir de la crise ? 

Si aucun accord n’est trouvé d’ici les prochains jours, la question d’une rupture du contrat sera plus que jamais à l’ordre du jour. Mais un problème demeure : en lien avec l’article 333-3 du code du sport, "un marché signé ne peut être modifié en cours d’exécution sans nouvelle procédure de mise en concurrence que lorsque les modifications sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues", explique l’avocat Benjamin Ingelaere. Ce qui signifie qu’en cas de rupture du contrat, la LFP a l’obligation de passer par un nouvel appel d’offres, qui pourrait durer six mois. Un délai immense après une année 2020 déjà perturbée.

Une autre hypothèse est alors envisagée : que la Ligue produise et organise elle-même les matches, en vendant ensuite en sous-licence sa production de matches aux diffuseurs, comme le fait par exemple beINSport à Canal+ pour les deux matches non prévus dans le lot acheté par Mediapro. "Juridiquement, je n’ai pas l’impression qu’il y ait de faille. Cela permettrait d’éviter la durée des six mois d’appel d’offres. C’est une possibilité. Mais pour l’instant, on est bloqué", observe Pierre Rondeau.

• Que risquent les clubs si aucun accord n’est trouvé ?

Déjà pour certains sur un fil, perfusés financièrement par des prêts en attendant le versement des droits TV si chers à leur survie, les clubs professionnels sont depuis plusieurs mois pris au piège. Si l’heure n’est pas au dépôt de bilan, ce nouveau retard de paiement par Mediapro pourrait avoir des conséquences immédiates dans l’organigramme des clubs. "Pour des faillites, il faut voir la solvabilité des actionnaires, qu’ils puissent renflouer les caisses en cas de problématiques. Mais avant ce cas de figure, il reste d’autres étages à gravir : les plans sociaux, plans de départ volontaires, les retards de salaires, négociations collectives pour une diminution des salaires…", envisage Pierre Rondeau.

Autre conséquence en vase communicant : les clubs ayant une structure féminine pourraient y réduire leurs dépenses afin d’amortir les pertes pour la structure masculine. "C’est le même cas pour la formation ou le football amateur, qui peuvent subir les méfaits de la crise des droits TV", continue l’économiste.

Par ailleurs, l'idée d'un emprunt souscrit par la LFP est actuellement complexe : la Ligue a déjà emprunté près de 350 millions d'euros depuis le printemps, ce qui complique la tâche pour offrir des garanties auprès des établissements prêteurs, selon plusieurs dirigeants de clubs et sources proches de la LFP interrogés.

  (FRANCK FIFE / AFP)

• Canal+ peut-il être le grand gagnant ?

Dans toute cette histoire, un acteur attend son heure : Canal+. La chaîne de Vincent Bolloré, diffuseur historique de la Ligue 1, avait dû se résoudre à lâcher les droits pour la période 2020-2024 à Mediapro, mais pourrait venir en sauveur si le contrat finissait par être rompu. Signe que leur conflit n'a pas cessé depuis, Mediapro a déposé fin novembre une assignation auprès du tribunal de commerce de Paris pour demander à Canal+ des dommages et intérêts, l'accusant d'"abus de position dominante" et de "pratiques abusives et déloyales".

Selon Pierre Rondeau, la venue de Canal+ dans l’équation ne fait guère de doute, mais la stratégie à adopter n’est pas forcément unanime. "Il y a deux écoles en coulisses au sein de Canal+ : la première va considérer que le football français reste un produit d’excellence, et ce ne serait pas dans l’intérêt de le pervertir avec des droits TV qui seraient rabaissés de 30 ou 40%. La deuxième va considérer qu’il faut attendre que Mediapro s’écroule et que le football français soit au bord du précipice, et que la Ligue accepte de revendre les droits à 400 ou 500 millions d’euros, afin que le nouveau diffuseur soit pleinement gagnant dans l’affaire", analyse l’économiste.

La chaîne cryptée - qui elle, selon L'Equipe, s'est acquittée ces derniers jours de l'échéance due de 63,7 millions d'euros pour les deux matches diffusés par journée de Ligue 1 - est en position de force désormais, et le non-paiement de ce samedi renforce encore son statut de chaîne providentielle pour la survie du football français. C’est aussi pour cette raison qu’elle ne se précipite pas, elle qui avait annoncé en octobre avoir conservé son parc d’abonnés malgré la crise de la Covid-19. Et qui donc n’a pas obligatoirement besoin des droits de la Ligue 1 pour survivre. "Aujourd’hui, cela ne sert à rien de se placer en sauveur puisque ça signalerait à la Ligue que l’on propose un prix élevé. Si personne n'apparaît motivé pour le prendre, la LFP sera obligée de le rétrocéder à 800 ou 700 millions d’euros", ajoute l’économiste.

L’arrivée de Canal+, qui travaille désormais de concert avec beINSport sur ce dossier, serait à ce titre favorable au consommateur en regroupant une grande partie de la future offre de football en France, mais beaucoup moins aux clubs, pour qui le montant de droits TV perçus baisserait ainsi dangereusement. "Les consommateurs seront potentiellement gagnants car Canal+ n’augmentera pas le prix de ses abonnements et réduira drastiquement la concurrence. Mais les perdants seront les clubs", conclut Pierre Rondeau.

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