ENQUETE FRANCETV. Agression, racisme, antisémitisme… Au cœur des tribunes des clubs de foot, la violence décomplexée de plusieurs groupes de hooligans
Dimanche 12 février dernier, au stade Pierre Mauroy, Lille reçoit Strasbourg devant 30 000 spectateurs. ne équipe de L'Œil du 20 heures assiste au match depuis le kop lillois, là où les supporters sont réputés les plus passionnés, les plus fervents. Mais parmi ces fans, une minorité ne se contente pas de commenter les performances sportives des joueurs. A la 73e minute, lors de l'entrée du Lillois Alan Virginius, un spectateur lance à son voisin : "Regarde qui rentre. Il est pas noir, il est pas blanc, il est mitigé, il n'a pas encore choisi, il sait pas où il va (sic)." Puis, quelques minutes plus tard : "Je suis pas un p... d'Arabe."
Au cours du match, à plusieurs reprises, des propos racistes et antisémites seront prononcés dans la tribune. "Je peux tout supporter, sauf les Juifs", lance un jeune homme, sans que les quelques supporters autour de lui ne réagissent. La direction du club lillois a-t-elle conscience que de tels propos sont tenus dans son stade ? Dans un long communiqué a transmis à France Télévisions, elle indique que "le discours de ces individus est à l’extrême opposé des valeurs, des engagements et des actions du Losc et de ses supporters. Le stade Pierre-Mauroy (...) demeure un stade à l’ambiance conviviale, familiale et sûre."
Des propos racistes et antisémites en tribunes
Depuis plusieurs années, quelques dizaines de supporters lillois prônent la haine et la violence dans et en dehors des stades : agression d’un fan portant un maillot du Paris St Germain, l'été 2022, tatouage d’inspiration nazie un homme se revendiquant supporter lillois, ou débordements violents, comme lors de Lens-Lille le 18 septembre 2021. Ce jour-là, avec ces imposants tatouages, un homme attire l’attention des photographes de presse. Connu pour ses liens avec l’ultra-droite, il a été condamné pour agression homophobe en 2013. Il a ses habitudes dans un café proche du stade Pierre-Mauroy dans lequel nous nous rendons en caméra cachée. A l'entendre, mieux vaut montrer patte blanche pour y être accueilli. "Si on te demande d'où tu viens, tu dis que tu viens d'à côté et que tu viens voir le match, parce que c'est un bar d'ultras et de hooligans", prévient-il.
L'homme revendique son appartenance à un groupe hooligan lillois, la "LOSC Army". Certains de ses membres sont dans le viseur de la justice. Il raconte : "Moi, je suis de la 'Losc Army'. On aime bien être tranquille. Il y a plusieurs personnes qui sont en instruction parce qu'un mec a fini dans le coma, ici, là juste devant." Le passage à tabac remonte à septembre 2021, après le match de Ligue des Champions opposant Lille à Wolfsburg. L'homme agressé ce soir-là s'appelle Arnaud Lasserre. Nous rencontrons ce surveillant pénitentiaire au bord d'un terrain de football de la banlieue de Lille, le seul qu'il fréquente désormais. "J'ai été dans le coma pendant 24 jours, j'en suis traumatisé, témoigne-t-il encore très marqué par son agression. Je ne mettrai plus les pieds dans un stade, plus jamais." Un an et demi après les faits, l'homme, pourtant supporter de Lille, assure avoir été pris à partie sans raison. Il fait la liste des stigmates de l'agression subie ce soir-là : "J'ai plus d'odorat, je suis sourd de l'oreille droite, j'ai un bout d'os qui sort vers l'arcade. On s'est fait taper à mourir. Et moi, j'ai failli y passer, je suis passé à deux doigts de la mort." Six hommes proches de l'ultra droite vont bientôt être jugés pour cette agression.
"C'est un problème sociétal"
Le foot amateur n’est pas épargné par ce phénomène. Le 11 février dernier, en quatrième division, le FC Rouen reçoit Poissy. Dans les toilettes du stade, s'affichent des dizaines de graffitis néo-nazis, antisémites ou islamophobes. "Islam go home" ("L'islam, dehors"), est-il inscrit sur l'un des murs. Des tags signés YSCR, un groupe de hooligans locaux, selon nos informations. Dans la tribune du stade Robert Diochon, le sujet semble gêner ceux que nous rencontrons. "Ici, il n'y a pas de hooligans. YSCR, on connaît pas, balaie un homme parmi les quelques centaines de supporters présents au stade cet après-midi là. Ne posez-pas des questions comme ça, ça nous intéresse pas." La banderole du groupe hooligan trône pourtant en bonne place dans les gradins.
Interrogé, l’entourage de la direction du FC Rouen se défend : "La société est gangrenée par le racisme et la xénophobie. Il ne faut pas considérer que ces actes sont l’apanage du FC Rouen. C’est un problème sociétal”. Face à ces dérives, les autorités accentuent les interdictions de stade : 140 la saison passée, en France et 312 déjà cette année, dénombre la Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme (DNLH). A sa tête, le commissaire Thibaut Delaunay prône la tolérance zéro. "Le phénomène hooligan, c'est la violence pour la violence. Ils se désintéressent complètement du match, fait-il remarquer. Il faut être intransigeant sur ces phénomènes avec une judiciarisation systématique." De son côté, la ligue de football professionnelle dit engager des procédures disciplinaires ou signaler à la justice chaque acte violent ou xénophobe recensé dans les stades.
Parmi nos sources (liste non-exhaustive) :
Lille Olympique Sporting Club
Ligue de Football Professionnelle
Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme (DNLH)
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