Football : le paradoxe de la Ligue 1, entre affluences records dans les stades et risque d'invisibilisation à la télévision

Le championnat de France reprend ses droits vendredi. Si les affluences dans les stades progressent ces dernières années, l'arrivée de huit matchs par journée sur une nouvelle chaîne, DAZN, provoque des inquiétudes.
Article rédigé par franceinfo - Simon Kremer
Radio France
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Des supporters du FC Nantes lors du match contre l'OM, au stade de la Beaujoire, à Nantes, pour la 4è journée de Ligue 1, le 1er septembre 2023. (FRANCK DUBRAY / MAXPPP)

C'est une saison de Ligue 1 qui ne commence pas comme les autres. Vendredi 16 août à 20h45, la plateforme britannique DAZN fait son entrée dans l'histoire du football français en diffusant son premier match, Le Havre-PSG. Une arrivée dans le paysage médiatique qui reçoit pour l'instant un accueil mitigé. Pourtant, le championnat de France réalise ces dernières années des affluences historiques dans les stades et connaît un fort engouement. Franceinfo revient sur cet étrange paradoxe.

L'affluence moyenne de la saison 2023-2024 est la meilleure de l'histoire

Le 31 mai dernier, la Ligue de football professionnelle (LFP) se félicitait dans un communiqué de cet engouement. L'affluence moyenne dans les stades de première division s'est élevée pour la saison 2023-2024 à 27 113 spectateurs. Une hausse de 14% par rapport à la saison 2022-2023 et, surtout, la meilleure affluence historique jamais enregistrée pour le championnat de France. La Ligue 1 se rapproche désormais des moyennes observées dans les grands pays européens, comme en Espagne (29.000 de moyenne la saison dernière) ou l'Italie (31.000 de moyenne), mais toujours loin de l'Angleterre et de l'Allemagne.

Le taux de remplissage de 85,4%, en augmentation de quatre points par rapport à la saison précédente, est lui aussi historique et témoigne de l'attrait du championnat de France. Ces affluences, en constante augmentation sur les cinq dernières années, sont exceptionnelles car elles tiennent compte des très nombreuses fermetures de tribunes prononcées par la commission de discipline de la LFP. 

Pour la saison 2024-2025 encore, les chiffres des campagnes d'abonnement indiquent que 10 des 18 clubs ont vu leur nombre d'abonnements encore augmenter cet été. De bon augure pour les affluences dans les stades de l'hexagone. La nouvelle chaîne DAZN pourrait donc surfer sur la vague et profiter de cet intérêt croissant du grand public. Mais peu après l'acquisition des droits, l'annonce des tarifs a refroidi un nombre important de supporters.

Le prix des abonnements TV suscite la controverse

La plateforme britannique propose trois offres principales. Un abonnement mensuel sans engagement à 39,99 euros. Un abonnement avec engagement d'un an à 29,99 euros par mois. Enfin une offre d'un match, celui du dimanche à 17h, est proposée pour 14,99 euros par mois. La somme minimale à verser pour un fan de football pour voir l'entièreté du championnat est désormais de 45 euros par mois : 29,99 euros par mois pour un abonnement d'un an à DAZN, et 15 euros pour l'affiche possédée par beIN Sports, l'autre diffuseur du championnat. Une somme qui exclut de nombreux passionnés qui ne peuvent pas se permettre de payer un tel montant.

"Cette offre correspond plus à l'économie du diffuseur qu'à l'économie du supporter, affirme Vincent Chaudel, fondateur de l'Observatoire du sport business. On a un diffuseur qui est un pure player, un diffuseur uniquement de sport. DAZN ne peut pas gagner de l'argent ou attirer des abonnés avec une autre offre, comme peut le faire Canal+ avec du cinéma ou comme pouvait le faire Amazon en vendant des produits ou autres services. La difficulté pour DAZN est de proposer un tarif qui lui permet d'attirer des abonnés, mais aussi d'atteindre son point d'équilibre économique. Donc ça, c'est un sujet qui fait que le tarif proposé n'est pas le plus attractif ou le plus sexy qui puisse être."

L'offre de DAZN, plus onéreuse, est en plus une offre dégradée par rapport aux saisons précédentes. Seulement deux écrans pour toute la famille, la fin du multiplex du dimanche laissant place à trois matchs en intégralité en même temps, un nombre majoritaire de matchs sans consultant, pas d'émission de débrief du week-end. Difficile, dans ces conditions, d'imaginer la chaîne rentrer dans ses objectifs de 1,5 million d'abonnés en six mois.

Tout l'écosystème du football français redoute donc un fiasco comme celui de Mediapro. Le groupe espagnol et sa chaîne Téléfoot avait dû rendre les droits à mi-saison en 2021, faute de rentabilité et d'un nombre suffisant d'abonnés. Pour 29,90 euros, soit le même tarif que DAZN, il proposait pourtant la Ligue 1, mais également de la Ligue 2, de la Ligue des Champions, de la Ligue Europa ainsi que Netflix.

Dans une interview accordée au journal L'Équipe, le patron de DAZN monde, Shay Segev, juge l'offre de DAZN à 29,99 euros comme "un juste prix" et croit en la réussite de sa chaîne, qui a déboursé 400 millions d'euros pour obtenir les droits.

"L'avenir économique dépend en partie du succès du produit qu'on a à vendre actuellement, mais quasiment personne n'en fait la promotion."

Vincent Chaudel, fondateur de l'Observatoire du sport business

à franceinfo

"J'insiste sur le fait que c'est tout l'écosystème du football français qui a intérêt à ce que ça marche, explique Vincent Chaudel. Parce que si ça marche bien, des chaînes reviendront pour proposer autant, si ce n'est plus. Mais si ça plante, les autres médias viendront avec des propositions de prix de droits TV inférieures à 400 millions d'euros, puisqu'on n'aura pas réussi avec ce prix-là. Donc ce n'est vraiment pas une bonne idée."

On fait le point sur le prix des abonnements pour regarder la prochaine saison qui débute ce vendredi 16 août sur DAZN et beIN Sports.
Ligue 1, qui diffuse et pour combien ? On fait le point sur le prix des abonnements pour regarder la prochaine saison qui débute ce vendredi 16 août sur DAZN et beIN Sports. (Joachim Dauphin / Radio France)

Un risque d'invisibilisation

En France, le risque d'invisibilisation du championnat est faible, selon Vincent Chaudel. "Je n'y crois pas. Parce que ce risque-là, c'était le risque Mediapro puisque Mediapro n'avait pas d'accords de distribution. DAZN a des accords de distribution avec Canal+, avec Amazon également. Il y a également un accord avec Free. Donc il va y avoir de la visibilité."

Malgré tout, le hashtag #BoycottDAZN s'est fait remarquer à quelques jours de la reprise du championnat et des suiveurs influents du championnat ne cachent pas leurs inquiétudes.

Un vrai risque d'invisibilisation existe cependant dans le monde car, dans le même temps, la LFP n'a plus de contrat de diffusion en Angleterre, en Espagne, en Italie, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient ainsi qu'aux États-Unis. Outre-Manche, aucun diffuseur ne s'est positionné pour acquérir les droits. Un écran noir sur de tels marchés serait un énième coup dur pour la marque Ligue 1 et pour les revenus des clubs, déjà sortis affaiblis de la crise Covid.

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