Incidents en Ligue 1 : le sociologue Nicolas Hourcade "surpris" et "préoccupé" par l'ampleur du phénomène
La répétition des violences sur les stades de Ligue 1 inquiète le sociologue Nicolas Hourcade.
Sociologue à l'Ecole Centrale de Lyon, spécialiste des supporters du football, Nicolas Hourcade est "surpis et préoccupé" par les incidents qui émaillent la reprise de la Ligue 1. Une situation imprévisible et explosive qui pourrait être liée à plusieurs facteurs comme le confinement et les huis clos qui ont rythmé la vie des Français pendant des mois.
Êtes-vous surpris par ces incidents à répétition ?
Nicolas Hourcade : Bien sûr qu’on est surpris et préoccupé. Cependant, c’est difficile de savoir si on est sur un phénomène conjoncturel qui serait lié au retour dans les stades après des mois de huis clos et à une excitation, une frustration de certains supporters qui fait que le stade et ses environs deviendraient un défouloir ou est-ce qu’on est sur un phénomène plus structurel de radicalisation d’une certaine frange de supporters. On s’attendait à ce qu’il puisse y avoir des problèmes à la reprise avec le public mais pas à ce niveau-là.
La fréquence de ces incidents depuis le début de saison, est-ce un phénomène nouveau ?
Tous les incidents ne sont pas similaires. Jeter une bouteille d’eau sur un joueur, ce n’est pas la même chose que se battre avec lui, pas la même chose que se battre entre supporters ou tendre des guet-apens lors d’un déplacement. On est face à des évènements qu’on amalgame tous dans la case "violence en marge des matchs". Il faut être capable de voir qu’il y a des phénomènes différents et qu’il n’y a pas forcément une cause unique à l’ensemble de ces phénomènes. Depuis 2010, c’est déjà arrivé qu’il y ait des périodes avec des incidents mais pas de manière aussi nette avec des évènements différents qui impliquent des supporters très différents de clubs différents.
Les derniers mois de confinement et de huis clos peuvent-ils expliquer ces débordements ?
Il nous manque du recul pour poser un diagnostic clair. Ce qui est sûr, c’est que ce retour dans les stades a suscité beaucoup d’excitation et ça a donné des choses très positives avec des ambiances que les joueurs ont appréciées. On a eu l’impression que c’était encore plus intense qu’avant le confinement. Mais d’un autre côté, une frange des supporters a transformé cette excitation de manière extrêmement négative dans différentes formes de violence. Il y a des contentieux souterrains entre supporters, qui ne pouvaient pas se régler pendant le confinement qui ressurgissent maintenant. Cette excitation est peut-être aussi en partie liée au huis clos général et au fait que cette période a été difficile à vivre pour l’ensemble de la population. C’est une hypothèse à mettre au conditionnel : certains seraient peut-être plus à cran et réagiraient plus vite qu’ils ne l’auraient fait avant la crise. Par exemple à Lens-Lille ça part de pas grand-chose et ça se répand comme une trainée de poudre. J’avoue qu’on est surpris par l’ampleur du phénomène et qu’on peine à en mesurer la nature. Il faut savoir que ce n’est pas qu’en France. Il y a eu des incidents en Angleterre, en Allemagne.
Peut-il y avoir un effet d’entraînement entre les supporters, une sorte de rivalité dans les incidents ?
Les associations de supporters sont conscientes que ces incidents à répétition nuisent à leur image et risquent de se traduire par des restrictions à leur égard. Je ne pense pas qu’il y ait cet effet d’entraînement là. En revanche, il y avait des rivalités avant le confinement et elles ont ressurgi lors des matches chauds comme les derbies, d’une manière puissante et surprenante.
Le dialogue entre la Ligue et les supporters était en train de s'apaiser, avec ces incidents, les Ultras se tirent une balle dans le pied…
Je suis d’accord avec vous. Pendant longtemps, des années 90 à la fin des années 2000 la France a eu une politique des gestions des supporters au coup par coup. Il y avait des incidents importants, on créait une loi répressive et on passait à autre chose. Il n’y avait pas de continuité. A partir de 2010 s’est mise en place une politique répressive de tolérance zéro qui a permis d’attaquer les violences mais qui tapait très large et était critiquée pour restreindre régulièrement les déplacements de supporters même quand les risques étaient limités. Depuis quelques années on s’était engagé sur une politique plus équilibrée avec plus de dialogue pour anticiper les problèmes, une circulaire du ministère de l’Intérieur stipulait même que les interdictions de déplacement devaient être l’exception et non la règle. Cette dynamique positive est en partie entravée par les incidents actuels. On peut malgré tout espérer que le dialogue, stable ces dernières années, ne soit pas ruiné par ces violences et qu’on s’appuiera sur ce travail pour trouver des solutions collectivement.
Ces solutions, quelles sont-elles ?
Déjà, il n’y a pas de solution miracle pour gérer les violences les supporters. En revanche, les exemples étrangers montrent qu'il faut une réponse politique globale : répression des incidents graves, meilleure organisation des matchs, responsabilisation des clubs et des supporters. L’arsenal législatif permet déjà de sanctionner les fauteurs de trouble. L’un des enjeux sur les derniers incidents est donc de sanctionner ceux qui ont commis des violences, qui sont les premiers responsables de leurs agissements. Mais pendant un an et demi, on a aussi perdu l’habitude d’organiser les matchs, les clubs sont dans une situation économique difficile et il faut peut-être repenser tout le processus d’organisation pour éviter les violences. Nice a déjà pris des mesures dans son stade pour répondre à ces problèmes. Idem du côté des stadiers qui ont besoin de reprendre leurs repères après ces mois de huis clos et un turn-over important. On doit créer toutes les conditions pour éviter ces débordements.
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