Le piratage, grand gagnant du passage de la Ligue 1 sur Mediapro ?
Le patron de Mediapro est-il trop ambitieux ? Lors de l’annonce du partenariat avec TF1 mardi dernier pour la création de la nouvelle chaîne Telefoot, qui retransmettra dorénavant huit matches de Ligue 1 par journée, Jaume Roures a rappelé que le prix de l’abonnement serait de 25 euros par mois. Un prix déjà évoqué à plusieurs reprises il y a quelques mois et il y a deux ans, alors que Mediapro venait tout juste d’acquérir les droits de diffusion de la Ligue 1 pour la période 2020-2024 pour 780 millions d’euros annuels. "25 euros par mois, c’est un prix bon marché pour accéder à la Ligue 1, a une nouvelle fois affirmé Jaume Roures la semaine dernière. C’est en accord avec les droits télé payés à la Ligue de football professionnel."
Pourtant, ce montant de 25 euros n’est pas sans crisper les amateurs de football, alors que Mediapro a affiché l’ambition d’obtenir 3,5 millions d’abonnés. Pour suivre l’ensemble des compétitions européennes, les passionnés de ballon rond devront désormais s’abonner à Telefoot pour la Ligue 1, RMC Sport pour la Ligue des champions, la Ligue Europa et une partie de la Premier League, Canal+ pour deux matches de Ligue 1 par journée et la Premier League, et beIN Sports pour les autres grands championnats étrangers et la Ligue 2. "Le prix à payer par mois en France pour l’amateur de football qui veut tout voir est le plus cher en Europe avec l’Angleterre", souligne Pierre Maes, auteur du livre Le business des droits TV du foot (éditions FYP).
"25 euros juste pour la Ligue 1, c'est complètement fou !"
Une accumulation d’abonnements et de sous à débourser chaque mois qui ne convient plus à Cyril, technicien en télécom et habitué des chaînes sportives : "En 2020, avec tous les abonnements de sport, plus Netflix ou autres… Ce n’est pas gérable, on ne peut plus suivre !" Avant de poursuivre : "De toute façon, je vais passer à l’IPTV". Après le streaming en ligne, qui permet aux non-abonnés de suivre de manière instable les rencontres sportives avec un léger retard, l’IPTV (Internet Protocol TV) explose depuis quelques années. Une nouvelle forme de piratage plus performante et adaptée au goût du jour : avec un boîtier ou une télévision connectée, le tour est joué et la personne qui en bénéficie peut jongler entre plus de 3 000 chaînes du monde entier. Avec un accès à toutes les chaînes de sport françaises.
L'IPTV, nouvel ennemi des chaînes de sport
Une pratique illégale, qui peut coûter aux personnes qui l’utilisent deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. "Mais on sait que ce sont principalement les fournisseurs qui se font condamner", assure Cyril. C’est pourquoi ces fournisseurs font payer un abonnement, généralement entre 50 et 100 euros par an, pour ce service. "Je préfère largement passer sur l’IPTV et payer 50 euros par an que payer 70 euros ou plus par mois pour toutes les chaînes", assure Jérémy, qui a déjà testé l’IPTV pendant une journée en janvier dernier. Car les fournisseurs proposent des offres de test allant d’une journée à quinze jours avant la souscription officielle à ce service qui propose une qualité d’image quasiment irréprochable et une stabilité bien loin du streaming en ligne standard. "Aujourd’hui, c’est très confort de regarder du football en piratant", souligne Pierre Maes.
Avec l’arrivée de Mediapro sur le marché français, et cet abonnement à 25 euros que beaucoup jugent excessif, la crainte est grande de voir le streaming en ligne et surtout les abonnements à l’IPTV augmenter de manière exponentielle. En mai 2019, un rapport d’Hadopi (Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet) précisait que 5% des internautes auraient recours à cette pratique illégale (entre 2,5 et 3 millions de personnes) en France et que les souscriptions à l’IPTV avaient explosé à l’été 2018, au moment de la Coupe du monde et surtout du passage de la Ligue des champions et de la Ligue Europa sur RMC Sport. "Ce qu’on a vécu en 2018 avec RMC Sport a de fortes chances de se répéter, explique Pierre Maes. Comme en Suisse où ils ont constaté une augmentation de l’IPTV suite à la disparition de la retransmission en clair de la Ligue des champions. Les gens ne sont pas prêts à payer un abonnement supplémentaire ou un abonnement tout court".
"Certains investissent plus d'argent dans leur fête de Noël que dans la lutte contre le piratage"
Selon le rapport d’Hadopi de 2019, alors que les souscriptions à l’IPTV se faisaient principalement par le bouche-à-oreille jusque-là, de plus en plus de personnes parviennent à accéder à ce service illégal en autonomie. "C’est normal que ça se développe, juge Cyril qui constate à son travail que de plus en plus de personnes ont recours à l’IPTV. 25 euros juste pour la Ligue 1, c’est complètement fou !". Des négociations auraient lieu selon L’Équipe entre Mediapro et Altice pour que la chaîne Telefoot obtienne quelques matches de Ligue des champions la saison prochaine. Et le prix de l’abonnement à la nouvelle chaîne pourrait varier en fonction de la distribution par les opérateurs (Free, Orange, SFR…), qui n'a pas encore été précisée par Mediapro.
Le nouveau projet de loi audiovisuel luttera contre le piratage des rencontres de sport
"Ça ne changera rien pour moi, je vais passer à l’IPTV dès le mois d’août, c’est sûr", tranche Jérémy. Pour les diffuseurs, l’impact pourrait être important, car en cas de souscription à l’IPTV, les amateurs de ballon rond pourraient se désabonner des autres chaînes. Un risque bien enregistré par Yousef Al-Obaidly, patron de beIN Media Group. "La bulle glorieuse des droits TV est sur le point d’éclater, avertissait-il en octobre dernier lors d’un congrès à Londres. Si rien n’est fait contre le piratage, il y aura une réduction importante de la valeur des droits télévisés". Le plan social annoncé la semaine dernière par le groupe beIN fait notamment état de la "spirale du piratage" pour justifier le départ d’une vingtaine de journalistes.
Pour essayer de limiter le recours au piratage dès la saison prochaine, le législateur s’est récemment saisi de la question. Cédric Roussel, député LREM des Alpes-Maritimes et président du groupe d’études Économie du sport à l’Assemblée nationale, a ainsi déposé un amendement en février dernier au projet de loi audiovisuel qui doit être prochainement étudié par le Sénat. Cet amendement doit permettre selon le député de "bloquer tous les sites pirates et les sites miroirs (ceux qui peuvent naître de la suppression d’un autre, ndlr) pendant la période d’un championnat." En clair, alors que l’ancienne législation n'offrait pas la possibilité de suspendre une diffusion pirate émergente, la nouvelle doit permettre de réagir plus efficacement "sans avoir à repasser devant le juge".
Pour Cédric Roussel, "ce texte va conforter la valorisation des droits audiovisuels et la valeur de notre championnat". Une initiative qui plaira à Yousef Al-Obaidly, qui dénonçait à Londres le fait que "certains investissent plus d’argent dans leur fête de Noël que dans la lutte contre le piratage". Avec la crise sanitaire, l’entrée en vigueur du projet de loi audiovisuel a été retardé et le nouveau dispositif contre les diffusions pirates ne devrait pas être effectif tout de suite. D’ici là, le nombre de passionnés peu enclins à payer les 25 euros d'abonnement à Telefoot et qui auront souscrit à une offre IPTV aura probablement augmenté. Un ensemble d’abonnés qui manquera forcément à Mediapro qui pourrait revoir ses ambitions à la baisse.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.