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Ligue 1 : déclassé sur les plans sportif et économique, comment l'OL s'est embourbé dans un cercle vicieux

Avec trois défaites et un nul lors des quatre premiers matchs de Ligue 1, l’Olympique Lyonnais vient de limoger son entraîneur et pointe à la dernière place du classement avant la réception du Havre, dimanche (20h45).
France Télévisions - Rédaction Sport
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Les joueurs de l'Olympique Lyonnais, tête basse, saluent leurs supporters après leur défaite contre le PSG le 3 septembre. (ROMAIN BIARD / AFP)

"Aujourd'hui on est l'OL de 2023-2024, pas de 2002-2003 ou 2015-2016 […] On est contents prendre un point à Nice en étant l'OL 2023-2024". Cette déclaration de Corentin Tolisso, joueur formé au club, au micro de Prime Video après le match nul des Lyonnais contre les Aiglons (0-0) le 27 août, symbolise à elle seule le déclassement d’un club sept fois champion de France au début du siècle (2002-2008), et qui peine désormais à se qualifier pour une Coupe d’Europe.

"Quand on regarde le classement et la qualité des matchs fournis. Clairement, Lyon ne fait plus peur du tout", regrette Sidney Govou, acteur et témoin privilégié de l'époque dorée des Gones entre 2002 et 2007. Sur les 15 dernières années, le club rhodanien n'a remporté qu'une Coupe de France et un Trophée des champions en 2012. Surtout, ses participations en compétition européenne se font de plus en plus une rares (une seule sur les quatre derniers exercices, en Ligue Europa 2021-2022).

L'absence de Ligue des champions au coeur du problème

En plus d'avoir quitté la table des habitués de la Ligue des champions, l'OL passe à côté de de l'énorme manne financière de la compétition de clubs la plus prestigieuse en Europe (au minimum 35 millions d'euros, en ne comptant que la prime de participation, la redistribution des droits TV et les recettes commerciales). Un manque à gagner critique pour l'OL, qui doit rembourser les 455 millions d'euros qu'ont coûté la construction de son stade, dont il est propriétaire depuis 2016.

"La Ligue des champions, au-delà des primes versées par l’UEFA, rapporte aussi énormément en termes de billetterie et d’hospitalités, note Jean-Pascal Gayant, économiste du sport. Et l'OL comptait sur toute cette frange de recettes très importantes dans son plan de financement du stade". En novembre 2015, à quelques jours de l’inauguration du Parc OL, dont il est propriétaire, Jean-Michel Aulas espérait amortir les coûts "en faisant progresser le club dans la hiérarchie européenne", tout en évoquant la "nécessité d’être régulièrement parmi les meilleurs clubs européens", dans une interview donnée au mensuel Lyon People.

Alors que le projet de construction d’un grand stade est né en 2007, "le pari financier était risqué, poursuit Jean-Pascal Gayant. Il se basait sur l’idée que l’OL serait la majorité du temps en Ligue des champions et ce plan a été très largement compromis. L’arrivée des Qatariens à Paris a fait du PSG un pensionnaire systématique de la Ligue des champions. Un club comme Lyon a perdu en probabilité de se qualifier".

Des conséquences sur le marché des transferts

Avec plus de 450 millions d’euros d’investissement à amortir sur une trentaine d’années, l’OL doit faire des économies ailleurs, notamment sur le marché des transferts. Alors qu’il avait pour habitude de dépenser plus qu’il ne vendait au début de la décennie 2010, cette tendance s’est inversée. "Tout a été fait pour que le club ait la dimension et le train de vie d’un club de Ligue des champions. Mais quand vous ne la jouez pas, il y a des trous, vous êtes obligés de vendre vos meilleurs éléments, vous êtes moins attractifs, c’est un cercle vicieux", observe Sidney Govou. Les Brésiliens Bruno Guimaraes et Lucas Paqueta ont ainsi été chacun vendus à 42 millions d’euros (selon le site spécialisé Transfermarkt) à des clubs anglais, Newcastle et West Ham, après deux saisons brillantes dans le Rhône.

"Dans un contexte plus large, les ressources des clubs français ont moins progressé que dans les autres grandes ligues. Ce n’est pas de nature à aider les clubs français normaux, hors PSG, qui sont déclassés", souligne aussi Jean-Pascal Gayant. Alors que les sommes proposées augmentent chaque saison, l’OL n’a pas pu résister cette année aux offres importantes pour ses jeunes espoirs formés au club, comme Bradley Barcola, parti à Paris pour 45 millions d’euros, et Castello Lukeba, parti à Leipzig pour 30 millions d’euros, soit la même somme payée par Chelsea pour s’attacher les services de Malo Gusto l'hiver précédent.

L'évolution des dépenses et des recettes de l'OL sur le marché des transferts depuis la saison 2009-2010
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Pour remplacer ces talents, encore faut-il faire les bons choix. Sur la saison 2019-2020, celle où l’OL a été le plus dépensier sur le marché des transferts depuis plusieurs années avec 126 millions d’euros investis (toujours d’après le site spécialisé Transfermarkt), beaucoup de recrues n’ont pas donné entièrement satisfaction, à l’image de Jeff Reine-Adélaïde (25 millions d’euros), Joachim Andersen (24 millions d’euros), Thiago Mendes (22 millions d’euros) ou encore Tino Kadewere (12 millions d’euros).

"Il y a le président, l'entraîneur et, entre les deux, on ne sait pas"

Et sur le banc, les différents entraîneurs n'ont pas non plus donné satisfaction à la direction, puisque depuis le départ de Bruno Génésio à la fin de la saison 2018-2019, cinq techniciens se sont déjà succédé en autant de saisons (Sylvinho, Rudi Garcia, Peter Bosz, Laurent Blanc et donc Fabio Grosso). Bruno Génésio, lui, n'avait pas résisté à l'élimination en demi-finales de la Coupe de France face à Rennes, provoquant "l’immense déception" de Jean-Michel Aulas. Le président de l’OL annonça ce soir-là en conférence de presse que son entraîneur, qui devait prolonger, ne le ferait pas immédiatement. Une décision qui aurait été prise unilatéralement par Jean-Michel Aulas.

"Jean-Michel Aulas était énormément présent derrière les entraîneurs à mon époque, et je ne pense pas que cela ait changé par la suite, raconte Sidney Govou. Il y a le président, l’entraîneur, et entre les deux, on ne sait pas. Il y a des gens qui sont là, mais qui ne sont pas là en même temps, on ne sait pas trop. Bernard Lacombe (directeur sportif puis conseiller du président de 1988 à 2017) et Florian Maurice (directeur du recrutement de 2014 à 2020) jouaient ce rôle et comblaient ce vide, mais pour moi, depuis le départ de Génésio et de Maurice, il n’y a plus grand-chose qui va dans l’ordre. Il y a un vide artistique".

Les joueurs lyonnais se dirigent vers leurs supporters après la défaite contre le PSG, le 3 septembre 2023. (JEAN CATUFFE / AFP)

Un vide qui continue de se creuser depuis le rachat de l’OL en 2022 par le milliardaire américain John Textor. "Qui met de l'huile dans les rouages au quotidien ? Santiago Cucci (le président exécutif) donne l'impression d'être la caution française de Textor, mais niveau ballon, je ne suis pas sûr qu'il ait grand-chose à dire", s’interroge Arnaud Clément, journaliste au service des sports du Progrès.

Un directeur du recrutement, Matthieu Louis-Jean, a été nommé en juin dernier, selon un communiqué de l’OL, qui précise aussi que John Textor "s’impliquera personnellement dans la politique de recrutement de l’Olympique Lyonnais". Une affirmation vérifiée avec les arrivées de Jeffinho en janvier, puis de Jake O’Brien cet été, respectivement en provenance de Botafogo et de Crystal Palace, deux clubs de la constellation Eagle, propriétés de John Textor.

La pression des fonds d'investissement

En conflit avec Jean-Michel Aulas, qu’il accuse de lui avoir caché "la détérioration" économique de l'OL, John Textor a tapé du poing lundi en mettant fin au mandat d'entraîneur de Laurent Blanc, après un début de saison complètement manqué (1 point en quatre matchs et une embarrassante dernière place). "Ce limogeage, pour moi, ce n’est pas une bonne solution. Je pense que ça envoie juste le message que la nouvelle direction ne voulait pas de Laurent Blanc, parce qu’il a été introduit par Jean-Michel Aulas. Aujourd’hui, John Textor veut jouer au directeur sportif à coups de visio-conférences, mais on n’est pas dans le monde de l’entreprise", commente Sidney Govou.

"OK, Textor est le nouveau boss, mais il ne faut pas croire que c’est lui qui a toutes les clés. Le fonds d’investissement Ares a octroyé à Eagle Football (la holding de John Textor) 400 des 800 millions nécessaires au rachat de l’OL. C'est ce fond qui a le pouvoir", tempère Arnaud Clément. "La pression va s'accentuer parce que quand ça se passe mal, les fonds d'investissement retirent leurs billes", prévient Jean-Pascal Gayant. Pour tenter d’inverser la dynamique et installer un cercle vertueux, les dirigeants de l’OL ont décidé de confier la mission redressage à Fabio Grosso, ancien joueur du club entre 2007 et 2009, au poste d’entraîneur.

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