Ligue des champions : pourquoi des fans de l'Olympique lyonnais ne supportent plus Bruno Genesio, leur propre coach ?
L'entraîneur de l'OL qualifie chaque année son club en Coupe d'Europe et, de temps à autre, parvient à battre le PSG. Ce qui ne suffit pas à de nombreux fans de son propre club, qui l'ont pris en grippe.
Chaque année, les entraîneurs français organisent un vote entre eux pour désigner le meilleur coach, sous l'égide du magazine France Football. En 2017, un certain Zinédine Zidane, alors sur le banc du Real Madrid, avait voté pour Bruno Genesio, actuel coach de l'Olympique lyonnais. L'unique entraîneur français actuellement engagé en Ligue des champions – l'OL affronte mardi 19 février en huitièmes de finale le FC Barcelone de Lionel Messi – est pourtant décrié par ses propres troupes depuis son arrivée à la tête du club, il y a trois ans. On lui reproche, pêle-mêle, de perdre des points contre les petites équipes alors qu'il est capable de battre le PSG, de ne pas avoir un grand nom et de ne pas être capable de percer le plafond de verre qui empêche l'OL de se mêler à la course au titre. Mais pourquoi tant de haine ?
Mauvaises stats, bons souvenirs
Retour à Noël 2015. Au pied du sapin des amoureux de l'Olympique lyonnais, les traditionnels cadeaux... et un nouvel entraîneur pour leur club chéri. Nombre d'entre eux connaissent déjà Bruno Genesio, recruteur puis adjoint au club depuis une dizaine d'années après y avoir passé la majeure partie de sa carrière de joueur dans les années 1980-1990. Mais comme entraîneur principal, que vaut-il ? Premier réflexe : aller voir sa fiche Wikipédia. Les fans lyonnais découvrent des statistiques pas vraiment réjouissantes. A Villefranche-sur-Saône, 17 victoires en tant qu'entraîneur, 13 nuls et 43 défaites entre 1999 et 2001. A Besançon, au début de la saison 2004-2005, 7 victoires, 9 nuls, 8 défaites. Sur le papier, pas de quoi crier au génie. Mais les chiffres ne résument pas tout, racontent les anciens de ces clubs.
Prenez Villefranche, un club dans la sphère d'influence de l'Olympique lyonnais, où Bruno Genesio fait ses premières armes chez les amateurs au début du siècle. "Certes, un entraîneur est d'abord jugé sur ses résultats, mais croyez-moi, on prenait notre pied avec lui, se souvient Jean-Michel Picollet, un historique du club. Le bon indicateur, au niveau amateur, c'est quand les joueurs vont avec plaisir aux séances d'entraînement, après une journée de travail. Si c'est leur sac qui les tire, c'est mauvais signe. Ce n'était pas du tout le cas." Le club subit deux descentes consécutives, de CFA en DH, mais les anciens refusent d'incriminer l'entraîneur. "Est-ce qu'il avait vraiment les moyens de faire mieux ?" s'interroge Christophe Bouteiller, lui aussi devenu entraîneur à Villefranche. "A l'époque, les clubs amateurs n'étaient pas aussi structurés qu'aujourd'hui. Et les joueurs n'avaient pas de contrat fédéral [qui leur assure un salaire, même chez les amateurs]."
"Il a pris l'équipe quand il ne fallait pas"
A Besançon, l'aventure a aussi tourné en eau de boudin. Après avoir bien mieux commencé. Bruno Genesio arrive en 2003 comme adjoint de Stéphane Paille, lui aussi ancien de la maison lyonnaise. Le club franc-comtois grimpe de National en Ligue 2, un niveau qu'il n'avait plus atteint depuis trois décennies. "Bruno Genesio a eu un rôle crucial dans cette montée, se souvient François Bruard, en charge à l'époque de la post-formation des jeunes au sein du club bisontin. Stéphane Paille n'était pas très au fait des choses du terrain. Bruno faisait l'unanimité auprès des joueurs pour la qualité de ses entraînements." Une relation qui rappelle le duo Laurent Blanc-Jean-Louis Gasset à la tête de Bordeaux, de l'équipe de France et du PSG, l'un dans un rôle de manager à l'anglaise, l'autre beaucoup plus proche des joueurs. "Les joueurs craignaient Steph, mais adoraient Bruno, beaucoup plus gentil, avenant."
Mais après une saison compliquée en L2, marquée par une descente, les dirigeants du club remercient Paille et proposent sa place à Genesio. Lequel est alors vu comme un Brutus par les supporters du club, à commencer par le groupe des Aigles rouges : "Il a savonné la planche à Stéphane Paille", grince un de leurs représentants, en refusant d'en dire davantage. François Bruard, à l'intérieur du club à l'époque, raconte une autre version de l'histoire : "Les deux hommes se sont brouillés, mais Bruno m'a raconté qu'il n'avait vraiment pas eu le choix pour reprendre l'équipe. Ça le rendait profondément malheureux."
L'effectif est dépouillé de ses meilleurs éléments, ceux qui sont restés traînent leur spleen, et il n'y a guère que les jeunes qui s'investissent. "J'avais plus d'envie que certains", euphémise Mathieu Gégout, alors espoir du club. "Genesio a pris l'équipe quand il ne fallait pas", renchérit Lionel Cappone, le gardien du club parti sous d'autres cieux cette saison-là. Le RC Besançon flirte avec la zone de relégation quand Bruno Genesio est remercié par les dirigeants à l'approche de l'hiver. Le choc psychologique fait pschitt : le club descend en CFA à l'issue de la saison, après avoir usé trois coachs.
Le gang des Lyonnais
Retour au bercail pour l'enfant du club. Sans surprise. "Il nous parlait tout le temps de Lyon", sourit François Bruard. C'est une marque de fabrique de l'OL, dont l'organigramme est tapissé d'anciens joueurs du club, du coach des U11 au patron de la cellule de recrutement. L'intéressé s'explique auprès du site Lyon People : "J’ai côtoyé près de dix ans le milieu amateur, c'était très difficile et j'en avais un peu marre." Mais il se rapproche de l'équipe première. D'abord observateur des adversaires de l'OL (notamment de ceux de la Ligue des champions), Genesio entraîne ensuite la réserve, où il recroise Besançon et Mathieu Gégout. "Il est venu me saluer après le match. Il n'avait vraiment pas changé", se souvient ce dernier.
Genesio prend du grade, devient adjoint de Rémi Garde, puis d'Hubert Fournier (deux produits maison, comme lui). Avant d'avoir sa chance, ce fameux jour de Noël 2015. Un cadeau empoisonné ? Jean-Michel Aulas avait évoqué l'hypothèse de débaucher "un coach en réussite constante depuis quelque temps" quelques semaines avant de trancher dans le vif. Certains supporters avaient lancé une pétition contre Genesio avant même son arrivée, pointant du doigt "une très mauvaise idée, aux antipodes du projet ambitieux mis en place." Jamais Bruno Genesio ne parviendra à se défaire de cette étiquette de choix par défaut. Et pourtant, selon l'ancien milieu Sylvain Deplace, qui a taquiné le cuir en sa compagnie sur les pelouses de L1, il est fait pour le job : "Je le croise de temps à autre, autour d’un café, avant l'entraînement. Je le trouve apaisé, plein de sérénité et sûr de lui. C'est indéniable : il a les qualités pour être coach."
"Quand il est arrivé, l'autre nom qui circulait était celui de Lucien Favre [actuel entraîneur du Borussia Dortmund, à l'époque recruté par Nice où il a effectué deux saisons probantes]", soupire Gary, qui anime l'influent compte @thespecialistOL sur Twitter. Pour lui, le problème de Bruno Genesio est d'être arrivé au moment où le fameux grand stade de Lyon était livré, quand beaucoup de supporters lyonnais espéraient la fin des vaches maigres et voir leur équipe titiller le PSG. Un technicien loué pour sa gentillesse, qui a façonné les champions du monde Nabil Fekir, Corentin Tolisso et Samuel Umtiti dans les équipes de jeunes du club, mais qui traîne comme un boulet son léger CV et des propos où transparaît un certain manque d'ambition.
Quand il était adjoint, il déclarait au Progrès : "Je n’ai pas de plan de carrière par rapport à ça. Je me sens très très bien dans mon rôle. Et si ça dure dix ans comme ça, je serai très heureux." Ce que traduit en termes plus sévères Marc, fidèle du club : "Beaucoup espéraient qu'il ne ferait qu'un intérim. Et au final, c'est l'un des entraîneurs qui a le plus long bail au club depuis le début de l'ère Aulas."
"On ne critique pas un Gone"
A Lyon, l'amour dure d'ordinaire trois ans. Pas plus. Il faut remonter vingt-cinq ans en arrière pour retrouver un technicien qui a passé quatre saisons pleines sur le banc des Gones : Raymond Domenech, entre 1988 et 1993. Depuis, les entraîneurs ne sont généralement pas reconduits à l'issue de leur contrat, ou même partent d'eux-mêmes en pleine gloire, comme Paul Le Guen en 2005 (à qui on proposait une prolongation) ou Rémi Garde en 2014 (qui voulait souffler).
L'ancien entraîneur de l'OL Gérard Houllier explique à Libération que Genesio a "appris son métier au fil des années à Lyon". L'ex-gardien du club Rémy Vercoutre, devenu consultant pour Canal +, se souvient pour sa part de séances vidéos de Genesio, très riches "et concises, pas plus de 15 minutes, c'est important quand on s'adresse à des footballeurs". Nicolas Puydebois, ancien gardien du club aujourd'hui consultant du site olympique-et-lyonnais.com, loue quant à lui les progrès de l'entraîneur dans la gestion humaine, "par exemple du cas Memphis Depay, qui n'est pas le joueur le plus simple à gérer, et où Genesio a su le replacer sur le terrain, le piquer quand il faut".
Mais rien n'y fait. Le mécontentement croît d'abord sur les réseaux sociaux et dans pas mal d'endroits de France, où des banderoles "Genesio démission" ont fleuri depuis l'été 2017 (à Lyon, bien sûr, mais aussi à Saint-Brieuc, à Bordeaux, sur le Tour de France et même à Düsseldorf !).
Une banderole "Genesio Demission" lors de Auxerre-Nîmes ce soir. pic.twitter.com/MJyzvbxlcl
— Actu Foot (@ActuFoot_) 12 février 2018
C'est moins le cas à l'intérieur du Groupama Stadium, le stade de l'OL, où il faut attendre la fin de saison dernière pour que le ton monte, avec une banderole douce-amère (pour laquelle l'entraîneur avait été prévenu) : "Bruno, ton amour pour l'OL t'honore, mais il est temps de tourner la page". Blessé, Genesio se fait prier pour participer au tour d'honneur fêtant la qualification en Ligue des champions. "Certains groupes de supporters l'ont longtemps protégé. Des banderoles hostiles ont été censurées dans les virages du stade, raconte Gary. Au nom du sacro-saint principe : 'On ne critique pas un Gone'". Ce que confirme Stéphane, supporter à l'ancienne qui use ses fonds de culottes au stade depuis trente ans : "Genesio fait partie de la génération de 1989 qui a sauvé l'OL. Pour les supporters comme moi, qui ont connu cette époque, il aura notre reconnaissance. Pour toujours".
Le mug de la discorde
Une protection dont bénéficie aussi le patron de Genesio, Jean-Michel Aulas, l'indéboulonnable président du club, qui a transformé en trente ans un club pensionnaire pépère de L2 en une des places fortes du foot français. Pour les abonnés interrogés par franceinfo, afficher une banderole "Aulas démission" est tout simplement inconcevable. "Sa gestion permettra toujours à l’OL d’être dans le top 4 français. Ce qui est déjà très bien", souligne Stéphane, qui déplore à demi-mot que le club soit devenu une machine à cash à défaut d'une machine à gagner. "L'entrée en Bourse, le nouveau stade... N'ont-ils pas dénaturé les valeurs de l'OL et obligé le club à devenir, avant tout, une entreprise rentable ? Or la rentabilité n'épousera jamais la passion", regrette le supporter historique." "L'affaire du mug" commercialisé pour fêter le succès face au PSG la saison dernière, à défaut d'aller chercher une finale en Coupe d'Europe, est symptomatique, selon les fans lyonnais, du plafond de verre auquel se heurtent les ambitions du club.
Football Tat: Lyon Produce Official Mug And Merchandise To Commemorate 'Famous' 2-1 Win Over PSG (It's Already Been Removed From Their Online Store) https://t.co/Z82nWs0FJh via @waatpies pic.twitter.com/IAGgZALO95
— Who Ate All The Pies (@waatpies) 24 janvier 2018
"Les groupes de supporters n'iront jamais en guerre contre Aulas", souligne Marc, rappelant que le président n'était pas le dernier à craquer un fumigène pour fêter l'anniversaire des Bad Gones, l'un des principaux groupes de supporters. Des groupes qui bénéficient d'une protection particulière à Lyon. Dans le récent livre Enquête sur le racisme dans le football (éditions Marabout, 2018), on apprend qu'une altercation entre Sidney Govou, joueur emblématique du club, et l'un des leaders des supporters a été étouffée. Claude Puel, précédent coach devenu lui aussi tête de Turc d'une frange du public, avait vu les murs de sa résidence tagués de slogans menaçants comme "Puel je te hais, Puel je t’aurais" et "Puel laisse pas traîner ton fils", alors que ses deux rejetons évoluaient avec les équipes de jeunes du club.
Depuis le passage de Puel, l'OL n'embauche plus d'entraîneur extérieur en lui confiant les pleins pouvoirs sportifs. "On a été bien moins patients avec lui [qu'avec Bruno Genesio], alors qu'il nous a quand même emmenés en demi-finale de la Ligue des champions", reconnaît Gary. C'est pourtant le rêve des supporters lyonnais, encore douchés par l'interview du président Aulas à L'Equipe début septembre : "Si on peut gagner en faisant 'français', je ne vais pas me gêner. Bruno va s’en sortir." Tant qu'Aulas sera là, le coach sera du sérail. "C'est ce qu'on appelle, au club, 'l'ADN de l'institution', commente Nicolas Puydebois. Sur le long terme, ça a peut-être ses limites."
L'entraîneur de l'OL est-il condamné à être coincé entre des supporters blasés et un président hyperactif ? "Outre la pression permanente du résultat, il faut aussi pouvoir composer avec le président, qui est omniprésent, qui vit à 10 000 à l'heure et qui a le tweet facile, souligne Nicolas Puydebois. Aulas, lui, a l'habitude, mais tout le monde ne peut pas suivre." Rémy Vercoutre, l'ancien gardien de but lyonnais, a sa petite idée sur la question : "C'est quand Bruno partira, le plus tard possible j'espère, qu'on regrettera un entraîneur qui donnait sa chance aux jeunes, qui bonifiait des joueurs aux parcours jusque-là en pointillés et qui arrivait à rebâtir des équipes en étant délesté chaque année de son meilleur joueur, soupire l'ancien gardien. Comme le dit le proverbe : 'Nul n'est prophète en son pays.'"
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