Nathalie Boy de la Tour : "Zéro tabou" sur l'homophobie
Vous expliquez depuis la déclaration de la ministre Roxana Maracineanu que la stratégie que vous privilégiez est celle de la prévention, plutôt que de la sanction. Qu’est-ce qui vous empêche de mener à la fois des politiques de prévention et de sanction, comme pour le racisme par exemple ?
Nathalie Boy de la Tour : "Je tiens d’abord à préciser que l’on m’a fait dire ces derniers jours des choses que je n’ai pas vraiment dites. J’ai dit que les chants étaient condamnables, je n’ai jamais dit qu’ils étaient acceptables ; il suffit de lire mon propos dans son entier. Je vous rappelle que la définition de « folklore » c’est us et coutumes, et je maintiens l’utilisation de ce mot. Tout en disant que je condamne les chants."
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Quant aux sanctions, nous en avons déjà prises contre des supporters homophobes. Elles sont peu nombreuses (4), mais c’est quand il y avait quelque chose de clairement visible. S’il y a une personne qui met une banderole par exemple, et qu’on arrive à la cibler, c’est faisable. Par exemple, pour la dernière sanction que nous avons prise, nous avons repéré un supporter de l’OM qui a insulté publiquement à l’aide d’un micro l’ensemble des joueurs et du staff technique."
Mais comme vous le dites vous-même, ces sanctions sont très peu nombreuses. Quels sont les obstacles à une vraie politique de sanction ?
NBT : "Pour les propos racistes, on n’a jamais été confrontés à des phénomènes de telle ampleur. Il n’y a pas vraiment de chants racistes. Moi je suis une femme d’action, je veux que les méthodes soient efficaces. La LFP n’a que le pouvoir de sanctionner un club. Or sanctionner un club entier, ça peut être contre-productif. Je crois beaucoup plus dans un travail de prévention. C’est l’identification qui est importante, et la remontée d’information. Ce n’est pas un problème isolé, où on peut identifier l’élément perturbateur. Comment voulez-vous empêcher 10 000 personnes de chanter ?"
Faire ce qui est en votre pouvoir : sanctionner le club ?
NBT : "On va aller au bout du raisonnement. On sanctionne le club. Les présidents de clubs, qui sont des gens à qui je veux rendre hommage parce que c’est eux qui font fonctionner la machine football en France, passent déjà en commission de discipline pour des affaires de fumigènes etc. Pour eux, c’est aussi compliqué d’identifier des fauteurs de trouble : quand il y a des fumigènes, ils savent qui les lance...là vous avez 2000 personnes qui chantent ensemble. Vous fermez la tribune. Les personnes reviennent, là c’est plus 2000 personnes c’est 4000 qui chantent. Autant les fumigènes, on peut les repérer et les empêcher de pénétrer le stade, mais comment empêcher des gens de rentrer ?"
Donc, pour vous, fermer des tribunes, punir les clubs, ça amènerait plus de chants homophobes ?
NBT : "C’est là où l’état des lieux et la notion de réalité est importante. Je ne suis pas certaine qu’un président de club sanctionné puisse empêcher des supporters de chanter. Dans nos actions on compte beaucoup sur la mise en place des référents supporters. Ils sont très écoutés par les associations de supporters."
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Dans les premières sessions de formation, on va les apprendre à gérer cette question. Le 17 mai on aura une journée consacrée à la lutte contre l’homophobie dans l’ensemble des clubs de Ligue 1 et Ligue 2. Le référent supporter devra là expliquer aux supporters à quoi sert cette journée. Et leur expliquer que ces chants blessent des gens. Moi je crois en l’intelligence humaine.
On va aussi leur demander d’organiser des ateliers de sensibilisation envers les supporters. Ça par exemple, ça n’a jamais été fait dans d’autres sports. Qu’on ne vienne pas accuser le foot de ne rien faire."
Pourquoi le faire maintenant seulement, quand le sujet fait l’actualité ?
NBT : "On travaillait dessus depuis des mois déjà, ce n’est pas la polémique récente qui nous a poussé à agir. Déjà il nous a fallu trouver les référents supporters, on les forme depuis 6 mois déjà…"
Sur l’homophobie ?
NBT : "Non, sur les fumigènes, les tribunes debout etc...La sensibilisation à l’homophobie ça viendra bientôt, au sein du programme de lutte contre les discriminations en général. On veut s’appuyer sur les référents pour faire passer des messages aux associations de supporters. Tout se met en place progressivement."
Dans le programme des ateliers de l’Open Football Club (programme éducatif et civique visant les centres de formation, ndlr) le mot homophobie n’apparaît que peu de fois. Vous préférez parler des discriminations en général. Cela n’a-t-il pas pour effet de diluer le problème ?
NBT : "C’est vrai, mais le sexisme aussi n’est presque jamais mentionné par exemple. C’est une stratégie qu’on assume complètement : le racisme, le sexisme, l’homophobie procèdent des mêmes mécanismes. Une fois que vous avez démontré que les mécanismes ne sont pas acceptables, parce qu’ils reposent sur la peur de la différence, il est plus facile ensuite d’expliquer pourquoi l’homophobie blesse des gens."
Il n’y a donc pas de tabou sur cette question ?
NBT : "Il y a zéro tabou. Au contraire. Il faut y aller. Et le foot est plus qu’impliqué, il prend ses responsabilités en la matière. Vous pouvez compter sur moi, je suis rentrée dans le foot sur ces aspects-là. Donc aujourd’hui être attaquée sur ces choses sur lesquelles je me bats depuis 14 ans, alors que je suis à l’origine de tous les dispositifs qui existent à l’heure actuelle dans le foot, c’est un peu fort de café hein...Juste sur un mot, sur des paroles déformées ? Parce que ma philosophie c’est de croire en l’éducation plus qu’à la sanction ? De miser Sur des choses qui peuvent marcher ? J’insiste, la sanction c’est bien, encore faut-il qu’elle soit efficace...Je doute aujourd’hui de son efficacité. Ce serait nier l’humanité de nos supporters que de penser qu’ils ne sont pas capables de comprendre quand on leur explique."
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