Paris FC-Bordeaux : "Je suis considéré comme un sous-citoyen"... Les supporters bordelais en colère face aux arrêtés
L'ascenseur émotionnel. Alors qu'ils pensaient assister au match entre les Girondins de Bordeaux et le Paris FC, les supporters bordelais ont vu leur déplacement interdit par un double arrêté, préfectoral et ministériel, publié deux jours avant la rencontre, jeudi 23 novembre. L'arrêté ministériel a été confirmé le lendemain par le Conseil d'Etat, mais un dernier recours devant le Tribunal administratif, concernant l'arrêté préfectoral, a finalement autorisé leur venue au stade Charléty au matin même du match. Ils étaient ainsi plusieurs milliers à assister à la victoire des leurs sur le fil (2-1), lors de la 15e journée de Ligue 2.
L'épisode est le dernier en date de la longue série de restrictions visant des supporters de football, dont les interdictions ou restrictions de déplacements ont été légion au cours des dernières années. Même si la conclusion s'est avérée positive pour les fidèles des Marine et Blanc grâce à l'Association nationale des supporters (ANS), l'arrêté ministériel resté en vigueur a toutefois interdit les déplacements de "toute personne se prévalant de la qualité de supporter" bordelais entre la Gironde et l'Île-de-France. Les Ultramarines, principal groupe de supporters, n'ont ainsi pas fait le déplacement.
Ces restrictions étaient motivées par "un risque réel et sérieux d'affrontement entre les supporters des deux clubs", et ce alors que le seul Paris FC-Bordeaux dans l'histoire récente, disputé en septembre 2022, s'était déroulé sans heurt.
"Supporters pas criminels"
"Ce soir [samedi], c'était tellement dangereux que les supporters parisiens ont fait une banderole pour nous soutenir", taquine Joris, supporter bordelais présent en parcage, une section dédiée aux fans de l'équipe à l'extérieur.
"La juge du Tribunal administratif l'a suspendu en disant qu’il n’y avait pas d’incidents graves répétés et récents, détaille Pierre Barthélémy, avocat de l'ANS." Comment, dès lors, expliquer une telle différence entre les évènements décrits dans les arrêtés et les faits ? "Souvent, les incidents sont mentionnés avec uniquement la date et le match, poursuit l'avocat. Parfois, on se rend compte que lorsqu'un supporter est contrôlé avec du cannabis pour sa consommation personnelle, cela devient un match référencé comme un incident à cause des supporters visiteurs".
Joris, habitué à sillonner l'Hexagone pour soutenir les Girondins, en a pris l'habitude. "Je suis un citoyen qui paie mes impôts, qui travaille, qui respecte la loi, indique ce dernier. Et le week-end, je suis considéré comme un sous-citoyen." Ce constat est partagé par de nombreux supporters de tous bords, réunis derrière le slogan "Supporters pas criminels".
Le parcage, un outil de sécurité parfois négligé
Comme beaucoup, Joris a déjà été confronté à des arrêtés publiés 48 heures avant la rencontre, engendrant une fermeture automatique du parcage visiteurs. Deux solutions s'offrent alors aux supporters : se raviser malgré les frais de voyage voire d'hébergement déjà consentis, ou braver l'interdit et se camoufler au milieu du public local. "Dans un parcage, les supporters sont avec la sécurité de leur club, relève Aymeric, membre du groupe Marine et Blanc Île-de-France. Quand les préfectures et les ministères les ferment, ils se privent d’un outil de sécurité."
S'il n'a pas été touché car "habillé de manière neutre en tribune latérale", ce supporter bordelais basé près de Versailles a assisté aux heurts mêlant ses acolytes aux fans d'Ajaccio, lors d'un match en Corse mi-août. Sans barrière de sécurité, les Girondins ont été violemment attaqués après qu'ils ont entonné des chants à la gloire de leur équipe. Dix blessés légers (huit Bordelais et deux stadiers) avaient alors été recensés.
L'historique récent d'OM-OL n'aide pas
D'autres incidents impliquant des supporters visiteurs ont été relevés cette saison à Marseille, en marge du match finalement reporté contre l'Olympique lyonnais. Un bus de supporters de l'OL avait été caillassé, et le comportement de certains membres du parcage visiteurs, accusés de provocations racistes, avait été fustigé. "J'ai le sentiment qu'après ces incidents, Gérald Darmanin est dans une panique absolue sur [les matchs disputés à] Marseille et Paris", affirme l'avocat Pierre Barthélémy.
Quelques jours avant ces incidents, le ministre de l'Intérieur et son homologue des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, avaient pourtant demandé aux préfets de limiter ces interdictions de déplacement. "Je pense que ces circulaires sont rédigées dans les ministères, par des spécialistes de l’ordre public des manifestations sportives, mais que les ministres eux-mêmes n’en ont pas connaissance", explique Pierre Barthélémy. Et l'avocat de poursuivre : "On a utilisé cette circulaire dans notre requête, et en défense, le ministre de l'Intérieur écrit qu'elle ne veut rien dire !"
Cet imbroglio administratif s'inscrit pourtant dans un contexte national de "chute drastique du nombre d’interdictions de déplacements", estime Pierre Barthélémy. "Mais on reste dans un pays qui accueille les Jeux olympiques dans quelques mois et n'est pas en mesure d'accueillir des supporters de Bordeaux à Paris !", en rit jaune Joris.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.