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Barça-PSG : comment la "remontada" s'est ancrée dans la langue française

Le FC Barcelone et le Paris Saint-Germain s’affrontent en huitièmes de finale aller de la Ligue des champions ce mardi 16 février. Des retrouvailles très attendues, quatre ans après la remontada traumatisante subie par le PSG. Depuis ce match au retentissement international, le terme "remontada" s’est popularisé dans la langue française, au point de faire son entrée dans le dictionnaire en 2021.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Les Parisiens ne peuvent que constater les dégâts au Camp Nou, défaits 6-1 le 8 mars 2017 par le Barça (JOSEP LAGO / AFP)

Le 14 décembre dernier, à l’issue du tirage au sort des huitièmes de finale de la Ligue des champions, le FC Barcelone publiait sur ses réseaux sociaux un clip de 49 secondes pour se rappeler au bon souvenir de son futur adversaire dans la compétition, le Paris Saint-Germain. Moins d’une minute de vidéo pour donner des cauchemars aux supporters parisiens et refaire vivre l’un des pires moments de l’histoire du PSG : l'extraordinaire remontada du Barça le 8 mars 2017 (6-1), face à un Paris largement favori après un match aller (4-0) que L'Équipe avait qualifié de "Prodigieux".

À l’époque, les Marquinhos, Marco Verratti, Layvin Kurzawa, Presnel Kimpembe, Angel Di Maria et Julian Draxler - qui évoluent encore au PSG aujourd’hui -, ne se doutent pas que cette mémorable déroute va imposer dans la langue française le terme "remontada". En mai dernier, les éditions Larousse annonçaient même l’apparition, à partir de 2021, du mot dans son dictionnaire.

Il faut dire que dans les jours qui suivent ce match de mars 2017, le mot est dans toutes les bouches. Déjà, les semaines précédant la rencontre, la presse espagnole et les joueurs du Barça évoquent la remontada à tout-va, pour maintenir l’espoir après un match aller catastrophique (4-0). La presse française s’est aussi emparée du terme, qui se propage rapidement dans le langage courant. "Le terme s’est très vite imposé et a dépassé le monde du sport", témoigne Florian Silnicki, expert en communication de crise et fondateur de LaFrenchCom, qui se remémore les partisans de François Fillon évoquant une remontada lors de l'élection présidentielle de 2017.

Une utilisation différente en espagnol

Événement populaire très fort, la défaite du PSG a permis l’ancrage de la remontada dans la langue française, "à tel point qu’il ne vient plus à l’esprit de personne de traduire le terme", analyse Florian Silnicki. Pourtant, l’utilisation du mot à la française, rattachée à cette défaite historique du PSG, semble galvaudée. "En Espagne, c'est utilisé à tous les matches, dès qu’il y a une remontée. Ça ne désigne pas forcément une remontée extraordinaire", indique François Miguel Boudet, rédacteur sur FuriaLiga, site spécialisé dans le football espagnol. Le 8 février dernier, le Diario AS, quotidien sportif espagnol, évoquait ainsi en Une la "remontada" du Barça face au Betis Séville (3-2), alors que le club catalan n’était mené que… d’un petit but.

L’ancrage du mot dans la langue française, lié à la défaite parisienne, a donc entraîné une interprétation bien plus large et héroïque.. En témoigne la définition donnée par le dictionnaire Larousse : "Remontée de score inattendue permettant à l’équipe qui perd d’emporter la victoire dans un match de football, alors qu’il y avait un grand écart de points entre les deux équipes. Par extension, victoire inespérée d’une équipe et d’un joueur lors d’une compétition, quelle qu’elle soit". Pour François Miguel Boudet, "ce mot a plus de sens en français maintenant".

Un terme qui "fait appel à un espoir mythique"

Et l'usage du mot se propage dans de nombreux secteurs en France. Utilisé avec parcimonie dans le monde politique espagnol – Pablo Iglesias et son parti Podemos avaient évoqué une possible remontada lors des élections générales de décembre 2015 –, la situation diffère en France. Le mot a été employé à plusieurs reprises dans le pays lors des dernières élections, présidentielle, législatives, européennes et municipales depuis 2017. "Il prend de l’ampleur dans des secteurs où on ne l’aurait pas imaginé : en politique, dans la finance, même dans l’immobilier sur des chantiers en retard", indique Florian Silnicki. Même dans le monde juridique, lorsque Me Jean Paillot, avocat des parents de Vincent Lambert, fait polémique en évoquant en mai 2019 une "remontada" à la suite de la suspension de l’arrêt des soins de l’homme plongé dans un état végétatif.

Paradoxalement, la référence à l’une des plus grandes défaites sur la scène européenne d’un club français permet aujourd’hui d’évoquer l’espoir auprès de la population. "Ce qui fait la force de ce mot, c’est le souvenir populaire auquel il est associé, qui fait appel à un espoir mythique. Ce terme permet de redonner de l’espoir, de dynamiser les choses. C’est d’autant plus le cas aujourd’hui avec la période que l’on vit et beaucoup de gens qui se trouvent en difficulté", précise l’expert en communication de crise. En 2017, lorsque la presse et les joueurs du Barça évoquent la remontada à plusieurs reprises avant le match retour contre le PSG, l'effet se fait sentir le jour-J dans un Camp Nou électrique, avec des supporters plus confiants que jamais, malgré une situation qui leur semble totalement défavorable.

Simple effet de mode ou ancrage sur le long terme ?

Présent dans toutes les têtes, la remontada n’a en revanche pas convaincu Le Petit Robert, qui ne l’a pas inclus dans l’édition 2021 de son dictionnaire au contraire d’autres mots liés au sport comme "steps", "squats" ou "ringuette". "On se méfie des effets de mode et on s’est demandé si ce n’en était pas un lié à un ou plusieurs matches", indique Édouard Trouillez, lexicographe et membre du comité éditorial du Petit Robert. Alors que Le Petit Robert ne supprime plus les mots après leur entrée dans le dictionnaire, au contraire des éditions Larousse, la question de l’ancrage réel de la remontada dans la langue française s’est donc posée pour Édouard Trouillez et ses collègues.

"Le terme est apparu avec force en 2017, et son utilisation a augmenté en 2018 et 2019. Mais on a constaté une baisse en 2020", indique le lexicographe. Selon ce dernier, c’est surtout "le second sens du terme qui n’a pas vraiment l’air de prendre." Un second sens défini par le Larousse comme un "retour au premier plan, une victoire spectaculaire d’un parti ou d’un homme politique, après une défaite électorale, une traversée du désert, etc...", et qui pourrait s’étendre, donc, à d’autres secteurs que le sport et la politique.

"Tout incite à ce que ce terme continue d’infuser dans la société pour être utilisé de manière courante dès qu’il s’agit d’évoquer une dynamique positive", juge au contraire Florian Silnicki. Moins en vue ces derniers mois, le mot pourrait effectuer sa propre remontada en revenant sur le devant de la scène lors des prochaines élections régionales et de l'élection présidentielle de 2022. Et, pourquoi pas, à l’occasion de la confrontation aller-retour entre le FC Barcelone et le Paris Saint-Germain. En espérant, cette fois, que cette "remontée de score inattendue", comme la définit le Larousse, tourne à l’avantage du club de la capitale.

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