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Ligue des champions : bombardements, exil et combines politiques... Le quotidien compliqué du Shakhtar Donetsk

Le club ukrainien, qui affronte mardi soir le PSG, n'a pas vraiment pu défendre ses chances cette année dans la compétition.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le joueur du Shakhtar Donetsk, Alex Teixeira, lors du barrage de Ligue des champions contre le Rapid de Vienne, le 25 août 2015 à Lviv (Ukraine). (YEVHENIY KRAVS/AP/SIPA / AP)

La lutte était trop inégale. Le Shakhtar Donetsk, adversaire du PSG en Ligue des champions, mardi 8 décembre, n'a pas pu se mêler, cette année, à la lutte pour les deux premières places du groupe, qualificatives pour les huitièmes de finale. La faute à la guerre en Ukraine, qui dure depuis deux ans et qui pénalise le club de la plus grosse ville de l'est du pays.

"Dégagez de Lviv !"

La conséquence la plus visible du conflit entre l'armée régulière et les séparatistes pro-russes, c'est l'exil. Il était impossible de continuer de jouer à la Donbass Arena, un stade flambant neuf de 51 000 places situé à Donetsk, la grande ville de l'est du pays devenue la capitale des rebelles. Pour son dernier match à domicile, en mai 2014, le Shakhtar avait battu Marioupol, ville portuaire assiégée par les séparatistes depuis des mois. 

Le club a déménagé précipitamment à Lviv, située à plus de 1 000 km à l'Ouest. Pour leurs premières rencontres, le bus de l'équipe a été accueilli par une pancarte "Dégagez de Lviv !", raconte Mashable (en anglais). Dans cette ville farouchement nationaliste, où l'on trouve du papier toilette à l'effigie de Vladimir Poutine, l'arrivée de l'équipe fanion d'une province séparatiste constituait une provocation. Depuis, les choses se sont tassées. Certains supporters du Shakhtar vendent des maillots du club aux couleurs de l'Ukraine, au lieu des traditionnels orange et noir. "Dans l'équipe, tous les joueurs sont favorables à l'unité de l'Ukraine", affirme Sergueï, un supporter, au journal émirati The National

Difficultés sportives, catastrophe financière

Les supporters du club n'ont pas pu suivre. Les matchs contre le tout-venant du championnat ukrainien peinent à rassembler quelques milliers de personnes. Il n'y a guère que pour les belles affiches de Ligue des champions que l'enceinte fait le plein. Avec un public apathique, quand il ne soutient pas l'équipe adverse. "On joue tous nos matchs à l'extérieur", souffle Sergei Palkine, le président du club au Guardian. Conséquence ? Le Shakhtar n'a pas été sacré champion d'Ukraine en mai, pour la première fois depuis cinq ans. 

L'administration du club s'est installée dans un grand hôtel de Kiev. Du provisoire qui dure. "Ce n'est pas possible de travailler normalement, encore moins de faire du business ici. C'est très difficile", déplore le président du club, qui ne cache pas que le Shakhtar perd énormément d'argent. Officiellement, l'état-major du club a toujours l'espoir de réintégrer la Donbass Arena la saison prochaine. 

Dans les faits, cela semble utopique. Le stade a été frappé plusieurs fois par des bombes. Des gravats en jonchent les abords. Seule partie ouverte, la boutique du club, transformée en dépôt de nourriture pour venir en aide à la population, qui souffre terriblement du blocus. L'ONG Pomozhem Detyam ("Aidons les enfants") y a aussi installé ses quartiers. Une aide humanitaire intéressée. Derrière le Shakhtar et l'ONG se trouve Rinat Akhmetov, l'homme le plus riche d'Ukraine, qui a besoin de ménager les deux camps.

Des bénévoles de la fondation Rinat Akhmetov distribuent de la nourriture aux habitants de Donetsk (Ukraine), à la Donbass Arena, le 3 février 2015. (MAXIM SHEMETOV / REUTERS)

Un mécène dans le rouge

Du temps de sa splendeur, l'homme d'affaires était deux fois plus riche que son dauphin au classement des fortunes ukrainiennes, et employait jusqu'à 300 000 personnes, surtout dans la région du Donbass. La guerre a porté un rude coup à ses affaires. En quelques mois, un tiers de sa fortune s'est évaporé, soit la rondelette somme de six milliards d'euros, selon le classement de Forbes.

Avant la guerre, Rinat Akhmetov était l'homme qui faisait la loi dans l'est du pays. On l'a ainsi vu gifler en public Viktor Ianoukovitch après sa défaite aux législatives de 2004 - quand les leaders de la révolution orange étaient arrivés au pouvoir. "Ne m'humilie plus jamais de la sorte", avait lancé Rinat Akhmetov au visage du Premier ministre ukrainien. Principal bailleur de fonds du parti des régions pro-russes, il aurait largement financé les rebelles. "Deux tiers" des fonds des séparatistes viendraient de lui, d'après Pavel Goubarev, gouverneur autoproclamé de la république populaire de Donetsk, cité par Radio Free Europe. Rinat Akhmetov a démenti, les services secrets vérifient. 

Ciblé par Kiev, critiqué par les séparatistes car il ne s'engage pas ouvertement avec eux, incontournable dans la reconstruction du pays pour les uns, obstacle pour les autres, Rinat Akhmetov concentre tous les ressentiments, et se fait discret dans les médias. Mais il continue d'être visé à travers son club. Début octobre, la Donbass Arena, ainsi que le centre humanitaire Rinat Akhmetov, tout proche, ont été touchés par une alerte à la bombe, relate ESPN

Le président du Shakhtar Donetsk, Rinat Akhmetov, apparaît sur un écran géant lors d'une manifestation pour la paix organisée à la Donbass Arena (Ukraine), le 20 mai 2014.  (ALEXANDER KHUDOTEPLY / AFP)

Une équipe plus couleur locale

Le souci de l'oligarque de se ménager des sympathies se retrouve même dans la politique de recrutement de son club. Fini les importations en masse de joueurs brésiliens (qui constituent encore la moitié de l'équipe), place au recrutement local  effectué dans les autres clubs du championnat, eux aussi détenus par des oligarques.

Donner une coloration plus ukrainienne à son équipe ne fait pas de mal quand on est accusé de manquer de patriotisme. De toute façon, les jeunes pépites brésiliennes, que le club avait la réputation de détecter, ne sont plus très enthousiastes à l'idée de venir en Ukraine. "Avant, je conseillais à mes compatriotes de venir ici, reconnaît le milieu international brésilien Bernard, dans le Daily Telegraph. Maintenant, c'est terminé."

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