Ligue Europa : comment Red Bull a dopé le RB Leipzig, futur adversaire de l'OM, pour construire un empire du football
L'adversaire de l'Olympique de Marseille en quart de finale de la Ligue Europa ne porte que les initiales de la célèbre boisson énergisante, mais ne vous y trompez pas : c'est à une machine de guerre que vont se frotter les hommes du Rocher.
"Red Bull donne des ailes", vante le slogan de la boisson énergisante. A l'image de son positionnement dans les rayons des supermarchés, la marque autrichienne s'est d'abord accolé à des sports alternatifs, forts en adrénaline, mais à couverture médiatique inexistante, comme le wingsuit, le BMX ou le ski freestyle... En 2005, le milliardaire Dietrich Mateschitz passe un cap en s'offrant une écurie de Formule 1. On lui a ri au nez quand il a clamé son ambition de devenir champion du monde.
Cinq ans plus tard, plus personne ne ricanait quand la Red Bull de Sebastian Vettel enquillait quatre titres mondiaux. Et depuis une petite dizaine d'années, Red Bull s'invite dans le football. Pas en collant son logo sur le poitrail des footballeurs comme Pepsi ou Coca, mais en rachetant des clubs. Là encore, les rieurs en ont été pour leurs frais : le RB Leipzig, futur adversaire de l'Olympique de Marseille en quart de finale de la Ligue Europa les 5 et 12 avril prochains, a failli détrôner le Bayern Munich pour sa première saison en Bundesliga.
"Un football explosif à l'image de la marque"
"Ce que je veux quand j'investis quelque part, dans une discipline ou un événement sportif, c'est être responsable de A à Z, du succès ou de l'échec, le cas échéant", explique Dietrich Mateschitz à L'Equipe, lors d'une des rares interviews. Sa méthode ? Acquérir un club et en changer le nom, le logo, les couleurs et même la dénomination du stade. Son bébé : le RB Leipzig, à l'origine un club de cinquième division allemande, le SSV Markanstädt. "RB" et pas Red Bull, comme à Salzburg ou à New York, car la loi allemande interdit le naming d'un club. Au cas où vous auriez un doute, le logo de l'équipe, avec deux taureaux rouges encornant un ballon, dissipera tout malentendu. Le club est idéalement situé : en ex-RDA, où aucun club n'arrive à lutter au plus haut niveau, et dans une grande ville avec un stade de 44 000 places.
Règle n°1 : les équipes doivent jouer non pas un football champagne, mais un football Red Bull. Un jeu vif, fait de contre-attaques et de pressing, où l'idée est de marquer et de récupérer la balle lors de séquences de dix secondes maximums. "L'idée est de signer de jeunes inconnus talentueux pour jouer un football explosif qui colle à l'image de la marque Red Bull, bien plus qu'un jeu frileux de contre-attaque", explique Ralf Rangnick, directeur sportif du RB Leipzig, dans le magazine The Blizzard (en anglais). Courir, courir et courir encore. "Ils nous ont eus à l'usure", soupirait l'entraîneur de Mayence après une défaite en Bundesliga cet été. Le journaliste de Stern présent au match parlait d'un "football de pitbull".
Courez jeunesse !
Pour mettre en place ce plan de jeu ambitieux, il faut du sang frais, poursuit Ralf Rangnick : "Le marché prioritaire de Red Bull est celui des 16-25 ans, des jeunes qui ne s'identifient pas à des joueurs plus vieux. Donc on a besoin de joueurs de leur âge ou à peine plus âgés." D'où la règle n°2 : ne pas recruter de joueur de plus de 23 ans. C'est ainsi que Rangnick, en séjour en Angleterre, a refusé Jamie Vardy, quatre ans au-dessus de la limite, qu'un agent lui proposait pour une bouchée de pain. Tant pis : l'attaquant a explosé au sein du Leicester, champion d'Angleterre, et décroché ses premières capes d'international.
Derrière ses fines lunettes sans monture, Ralf Rangnick est le cerveau de cette méthode. Les téléspectateurs allemands se souviennent du consultant et de ses leçons tactiques sur tableau noir diffusées durant le Mondial 1998. Depuis, on lui doit le renouveau de la formation allemande, à commencer par la génération victorieuse de la Coupe du monde en 2014, et la progression fulgurante d'Hoffenheim, club de village dont s'est épris un milliardaire, qui fit trembler l'establishment de la Bundesliga au milieu des années 2000. Le gaillard a été sondé pour devenir sélectionneur de l'Angleterre après la débâcle de l'Euro 2016.
Miser sur des jeunes puis ramasser le jackpot
Avec lui, Red Bull bâtit petit à petit une structure pyramidale, dont Leipzig constitue le sommet. L'entreprise a pris le contrôle de petits clubs autrichiens pour constituer le vivier du Red Bull Salzbourg, qui reçoit aussi les meilleurs éléments de l'antenne brésilienne. Salzbourg doit ensuite céder ses meilleurs éléments à prix d'ami à Leipzig, qui peut récupérer le jackpot quand de grosses écuries européennes viennent faire leur marché.
Prenez le cas de Naby Keïta, que s'est offert Liverpool cet été en échange de 70 millions d'euros. Le dynamique milieu guinéen avait été acheté dix fois moins au Red Bull Salzbourg, qui l'avait dégotté à Istres, en troisième division française, contre moins de 2 millions. Ou celui d'Igor, prometteur défenseur brésilien, qui a fait ses classes au Red Bull Brasil, avant de s'envoler en Autriche, à Salzbourg après un passage par un club satellite.... en attendant un probable départ à Leipzig l'été prochain. Les fans de Salzbourg commencent à s'irriter de la situation et décrivent le club comme "le self-service de Leipzig"...
Nous sommes en train de prouver que l'expérience, c'est surfait ! Nous sommes le Cambridge, l'Oxford, le Yale ou le Harvard du football.
Ralf Rangnickdans une interview au site FourFourTwo
Fort de cette réputation, Red Bull a des arguments pour démarcher les adolescents les plus prometteurs. Le grand espoir anglais Oliver Burke a ainsi choisi l'Allemagne l'été dernier, moyennant une indemnité record de 10 millions d'euros. Le club ratisse les régions où il est installé, développe un solide réseau de scouting et n'hésite pas à proposer des sommes à six chiffres pour des ados de 14 ou 15 ans. Une fois au sein de Red Bull, chaque aspirant est testé, sa vitesse, ses sauts, ses réflexes mais aussi son métabolisme sont analysés, raconte Stern.
Point Godwin et points de frictions
Même s'il n'y a encore qu'une poignée de joueurs est-allemands dans l'équipe première, le public suit. Un public plus familial et plus haut de gamme que les clubs de cette partie sinistrée de l'Allemagne, attiré par le jeu proposé et l'image du club, à laquelle Red Bull fait particulièrement attention. Les tatouages sont proscrits, enfin les plus visibles. "Lors des négociations, je n'inspecte pas le corps des joueurs en entier", sourit Rangnick dans une interview à Blick.
Le club prend soin de ne pas recruter des joueurs à excentricité capillaire, leur demande de venir à l'entraînement au volant d'une berline et contrôle leur activité sur les réseaux sociaux ainsi que, de temps à autre, la validité de leur permis. La star, c'est le club.
Je suis sûr que si toute l'équipe se baladait ensemble dans une rue passante, les gens ne les reconnaîtraient pas
Toni Kroos, joueur de la Mannschaftau "Financial Times"
Même propre sur lui, l'empire Red Bull dans le foot suscite encore un vif rejet. "On ne s'attend pas à plaire à tout le monde", reconnaît Ralf Rangnick. Des supporters adverses ont déjà jeté une tête de taureau sanguinolente lors d'un match, déployé des banderoles ironiques ("Buvez de la bière, pas du Red Bull"), des calicots beaucoup moins drôles ("Un Autrichien appelle et vous suivez aveuglément. Tout le monde sait comment cela se termine. Vous auriez fait de bons nazis"). Même les clubs pratiquent la résistance passive : le RB Leipzig peine ainsi à trouver des sparring partners en Allemagne pendant la trêve estivale. Sankt Pauli a refusé d'apposer le logo de l'équipe sur son site et Dortmund a mis son veto à la confection des fameuses écharpes souvenir reprenant les couleurs des deux clubs. La palme de l'humour revient à l'Union Berlin, qui avait proposé un très long article sur l'élevage du taureau dans le programme distribué avant le match.
"Beaucoup de clubs de Bundesliga sont gérés comme des baraques à frites", dénonce dans le Financial Times Henning Zülch, professeur d'audit à l'école de management de Leipzig. "L'exemple du RB Leipzig montre que pour s'établir dans l'élite, il fait se professionnaliser." S'établir, c'est bien, mais Dietrich Mateschitz a d'autres projets en tête. "J'aimerais voir un titre avant mes 80 ans". Le compte à rebours est enclenché : il a soufflé ses 73 bougies en mai dernier.
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