Ligue des champions : Thomas Tuchel et le triomphe du compromis
S’il n’a pas encore gagné la plus grande bataille de sa saison, Thomas Tuchel a déjà remporté une belle victoire. Celle d’avoir contribué à bâtir une ambiance de groupe jamais encore vue sous QSI, tout en s’y incluant. "J’espère vraiment que les spectateurs peuvent sentir que cette équipe est une vraie équipe”, a-t-il déclaré ce jeudi en point presse. Deux jours plus tôt, il célébrait la qualification de son équipe pour la finale de C1 au milieu de joueurs aussi euphoriques que lui, pas vraiment dérangé par son entorse de la cheville.
La conquête du vestiaire
“Je ressens la même chose qu’à la Coupe du monde : on a créé un groupe. Et c’est plus facile de courir pour le copain quand vous l’appréciez”. Quand ces mots viennent d’un certain Kylian Mbappé, encore boudeur lors de sa sortie contre Montpellier le 1er février dernier, Thomas Tuchel peut se dire qu’il a réussi dans sa quête à fédérer le vestiaire parisien. Les murs de ces derniers étaient pourtant sévèrement entaillés quand il a posé ses valises à l’été 2018, à la fois par les ego frustrés de certains et par l’accumulation des désillusions.
Adepte de la calino-thérapie sur le pré, le coach allemand a également mis en place une rhétorique bien rodée. Dans son discours, pas question de pointer quiconque du doigt et chaque succès est une victoire de l’équipe. Face à Leipzig, elle a été “superbe”. Contre l’Atalanta, c’est le terme “extraordinaire” qu’a choisi d’employer Tuchel. Et il n’était pas question de la critiquer pour sa prestation très moyenne contre Lyon en finale de Coupe de la Ligue (0-0, 6-5 t.a.b).
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“Et quoi ? Et quoi ? Oui, on a toujours de la chance, vous pouvez l’écrire. Vous le faites toujours… On a seulement de la chance, c’est comme ça. Pas de qualité, seulement de la chance ! Il y a 99 points positifs mais on cherche le centième, on doit forcément trouver des problèmes”, s’était alors énervé le technicien allemand en conférence d’après match après la question d’un journaliste. Cette saison, Tuchel s’est affirmé en gardien de la paix, conscient de toute la route parcourue avant de bâtir un vestiaire soudé.
Neymar et Mbappé choyés
Celui qui n’avait jamais encore franchi les quarts de finale de la C1 a réussi à obtenir le respect de tout un effectif. Utilisé avant tout pour éviter les blessures, son incessant turn-over a permis de concerner tout un effectif. 24 joueurs au total ont disputé plus de 10 matches toutes compétitions confondues. “Chacun connaît son importance et apporte sa pierre à l’édifice. Tout ça dépasse le stade du terrain. On a beaucoup plus d’activités collectives en dehors du terrain. C’est peut-être trop pour certains, mais c’est comme ça qu’on gagne”, s’est félicité Mbappé.
Toute la réussite de Thomas Tuchel tient dans sa capacité à avoir amené cette cohésion, puis à l’avoir maintenue tout en flattant l’ego de ses joueurs clés. A aucun moment, il n’a fait comprendre à Neymar qu’il lui imposerait quoi que ce soit. Interrogé sur l’étrange disette de sa star brésilienne face au but, l’Allemand s’est montré malin en conférence de presse pour caresser dans le sens du poil ses deux stars : "Qu'est-ce que je peux dire à Neymar pour marquer un but ? J'ai dû en marquer deux dans ma carrière (rires), moi, je ne peux rien dire, peut-être que Kylian peut l'aider”.
Il a tout simplement réussi là où Unai Emery avait échoué avant lui. Comme lui, l’Espagnol était arrivé les valises pleines de promesses. Le jeu du PSG allait arrêter de se complaire dans une possession toute aussi stérile que stéréotypée pour devenir plus vertical et résolument offensif. Mais en arrivant avec ses grandes idées, le triple vainqueur de la Ligue Europa avec Séville n’avait pas pris le soin de prendre des pincettes et de gagner le respect des cadres du vestiaire.
Les leçons d’Emery ont été tirées
Emery avait notamment expliqué en interne qu’il n’avait pas à prévenir son capitaine Thiago Silva quand il était remplaçant, expliquant qu’il était “un joueur comme un autre”. Après son éviction du PSG, l’entraîneur espagnol avait expliqué que lors de la fameuse remontada subie contre le Barça (6-2) son plan de jeu avait été désavoué par le Brésilien. “Je voulais que l’équipe défende plus haut. Je n’ai pas réussi à lui faire accepter cela. Sous la pression il avait une tendance naturelle à reculer et cette caractéristique de son jeu rejaillissait sur toute l’équipe. Je voulais qu’il sorte de sa zone de confort”, s’était épanché Emery dans les colonnes de France Football en février dernier.
L’autorité du Basque, déjà fantoche à son arrivée, n’a cessé de décroître au fil des mois jusqu’à atteindre un point de non retour après le huitième de finale aller de la C1 2017/18 contre le Real Madrid. Sentant qu’il perdait pied face à son groupe, il avait décidé de frapper fort en laissant Thiago Motta à la maison et en contraignant Angel Di Maria et Thiago Silva à s’asseoir sur le banc de touche. En plus d’une défaite 3-1, Emery avait récolté la tempête des femmes des joueurs concernées, particulièrement volubiles sur les réseaux sociaux.
Au match retour, le technicien espagnol était finalement revenu sur ses choix, ce qui n’avait pas empêché le club de la capitale de s’incliner encore une fois (1-2) et de sceller une nouvelle élimination au stade des huitièmes de finale. Un mois après, il annonçait son départ à l’issue de la saison, admettant son échec cuisant. Lors des célébrations de la Coupe de la Ligue début août, certains joueurs du PSG se sont bien marrés en imitant le mémorable “Allez allez PSG” entonné par le coach ibérique avant son départ au printemps 2018.
Écoute et flexibilité tactique
En évitant le conflit et en caressant dans le sens du poil son effectif, Thomas Tuchel a évité pareille déroute. Et c’est justement par ce souci accordé à l’esprit de groupe que le coach allemand a gagné le respect et l’écoute des cadres du vestiaire. Il n’aurait pas pu le faire s’il avait imposé des principes de jeu dès son intronisation. Aujourd’hui, des joueurs comme Neymar, Kylian Mbappé et Angel Di Maria ne rechignent plus pour participer à l’effort défensif.
Bien que perfectible, le PSG 2019/20 porte incontestablement la griffe de Tuchel. Basé sur les principes du jeu de position et défini par son pressing intensif à la perte du ballon, il n’a cependant pas une identité très originale ni aisément perceptible. Paris ne joue pas dans un dispositif figé comme le prouvent les deux dernières rencontres de Ligue des champions. Le 4-4-2 aligné contre l’Atalanta Bergame et le 4-3-3 choisi contre Leipzig n’avaient absolument pas les mêmes objectifs.
Contrairement à un Marcelo Bielsa ou un Pep Guardiola, l’Allemand n’a pas tout bâti de ses propres mains. Disons qu’il semble plutôt avoir suivi les traces d’un Zinédine Zidane, dans la mesure où Tuchel construit ses plans de jeu avec le souhait premier de maximiser l’influence de ses meilleurs joueurs disponibles - généralement Neymar, Kylian Mbappé et Marco Verratti. Le deuxième critère consiste à s’adapter à ce que propose l’adversaire, avant et pendant le match.
Un prix à payer
Comme le Real de Zidane l’a montré lors de ses trois campagnes victorieuses successives en C1 (2016, 2017, 2018), le PSG de Tuchel sait changer de forme à plusieurs reprises dans une même rencontre, en fonction du scénario du match et des entrants. Et le cadre tactique n’est jamais rigide, ce qui donne plus de liberté d’expression aux joueurs sur le terrain puisqu’ils n’ont pas l’impression que ce qu’ils réalisent est une commande de l’entraîneur.
Pour en arriver là, Thomas Tuchel a quelque peu renié sa réputation de tacticien chevronné. Mais l’Allemand a compris cette saison qu’il était obligé de faire des compromis pour aider le Paris Saint-Germain à briser ses chaînes en Ligue des champions. Jusque-là, l’histoire lui donne raison. Reste à savoir si tout cela suffira pour franchir la dernière marche, face au Bayern Munich ce dimanche soir.
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