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Monaco-Juventus : mais pourquoi les clubs français se sentent toujours floués par les clubs italiens ?

La jeune garde de Monaco se frotte à la "Vieille Dame" en demi-finale de la Ligue des champions. Et par le passé, les clubs français se sont souvent cassé le nez face aux roués joueurs italiens.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'attaquant de l'AS Monaco Thierry Henry lors de la demi-finale de la Ligue des champions contre la Juventus Turin, le 15 avril 1998 au stade Louis-II. (PATRICK HERTZOG / AFP)

Le football est un sport qui se joue à onze contre onze, et à la fin, ce sont les clubs italiens qui éliminent des clubs français pleurnichards. On ne souhaite pas pareil destin à Monaco, qui défie la Juventus de Turin en demi-finale de la Ligue des champions, mercredi 3 mai. Il suffit pourtant d'un coup d'œil dans le rétro pour craindre le pire. Mais pourquoi les clubs français finissent toujours frustrés quand ils rencontrent des équipes transalpines ?

Parce qu'ils font preuve de naïveté

La scène se passe dans le vieillot Stadio delle Alpi, un soir d'avril 1998. Monaco, champion de France en titre, vient d'égaliser contre la Juve de Zidane, Deschamps et consorts : 1-1, juste avant la pause. Un résultat idéal pour la bande à Fabien Barthez. Mais une poignée de secondes plus tard, l'inévitable Alessandro Del Piero remet les Turinois devant, en profitant de la déconcentration de la défense monégasque. "On était encore en train de s'embrasser"fulmine Jean Tigana sur le banc.

Tout le dilemme du foot français est résumé dans cette scène. Nantes en 1996, Monaco en 1998 et en 2015... Autant d'équipes juvéniles qui pèchent par inexpérience quand le niveau s'élève. "Jean Tigana devrait montrer à ses joueurs comment tomber dans la surface", s'emporte Guy Roux à la télévision lors du fameux match de 1998, se souvient France Football.

Aujourd'hui, à la moyenne d'âge affolante des Monégasques – 25 ans à peine –, la Juventus répond en alignant un onze qui affiche cinq années de plus au compteur. Et une défense inamovible Bonnucci-Chiellini avec Buffon dans les buts (102 ans à eux trois) qui joue ensemble depuis sept ans. "De temps en temps, ils sont vraiment en mode automatique", s'amusait leur remplaçant au sein de la Nazionale, Angelo Ogbonna, pendant l'Euro.

Parce qu'ils manquent de régularité

Le mal récurrent des clubs français est de ne briller que par intermittence sur la scène européenne. Si l'on excepte les qualifications métronomiques de Lyon en coupe d'Europe et la puissance (financière) retrouvée du PSG, beaucoup de clubs peinent à enchaîner les saisons dans les joutes européennes. C'est pourtant là que se forge l'expérience indispensable pour franchir un cap. 

La répartition des clubs français et des clubs italiens sur les onze dernières saisons montre une répartition plus homogène de l'autre côté des Alpes : en clair, ce sont souvent les mêmes équipes qui se qualifient pour les coupes d'Europe.

Parce qu'ils ne développent pas la même philosophie de jeu

Adepte du "no sport" en ce qui le concernait, Winston Churchill avait quand même tout compris au foot italien : "Les Italiens vont à la guerre comme si c'était un match de football, et à un match de football comme si c'était la guerre", a un jour lâché le mythique Premier ministre britannique. Un de ses rares aphorismes sur le ballon rond, qui tape dans le mille. En Italie, "le football n'est pas un jeu, c'est un travail", renchérit l'attaquant Gianluca Vialli dans son autobiographie The Italian Job.

Arigo Sacchi, l'entraîneur du Milan AC du temps où c'était quelque chose, développe cette approche culturelle dans le livre Comment regarder un match de foot : "Pour l'Espagne, le football est un spectacle sportif. Une victoire sans mérite n'est pas une victoire. Pour les pays du nord de l'Europe, c'est un sport avec des règles strictes. Et pour nous, Italiens, le football est une revendication sociale. Seule une victoire compte, même si nous ne l'avons pas méritée."

La manière passe donc au second plan. "Marquer des buts, ça fait vendre des tickets, mais bien défendre fait gagner des titres", poursuit Alessandro Del Piero. Devinez qui affiche la meilleure défense d'Europe, championnat et Ligue des champions confondus ? La Juventus, évidemment.

Parce qu'ils font un complexe d'infériorité

"La Juve, c'est autre chose", titrait déjà L'Equipe quand la Juventus avait renvoyé Bordeaux à ses chères études en demi-finales (déjà) de la Coupe des clubs champions. Même punition quand les Bianconeri avait éconduit Monaco de la finale, en 1998. Dans la bouche de Zinédine Zidane, on sent poindre un soupçon de condescendance pour le championnat de France : "Bien sûr, nous avons bien joué. Mais nous avons été bien meilleurs dimanche dernier contre le Milan AC et il nous faudra faire plus encore, dimanche prochain, contre la Lazio Rome."

Tout est parti d'un complexe d'infériorité... italien, décrit par le célèbre journaliste sportif Gianni Brera. Pour lui, les Italiens, plus petits et plus faibles que leurs voisins, n'avaient pour unique solution que d'échafauder des stratégies pour déstabiliser l'adversaire. Depuis cette époque, la fin justifie les moyens dans le foot transalpin.

"Le cliché du serviteur qui cherche à dépasser son maître a imprégné l'ethos du football italien, abonde le spécialiste Gabriel Marcotti, cité par Squawka. D'où l'idée de toujours chercher à être plus malin que l'adversaire, appuyer sur ses points faibles, sur le modèle de David et Goliath."

Didier Deschamps tacle Claude Makélélé lors de la demi-finale de la Ligue des champions entre la Juventus et Nantes, le 17 avril 1996. (FRANK PERRY / AFP)

Jean-Claude Suaudeau, légendaire entraîneur de Nantes, et habituellement d'un calme olympien, sortira de ses gonds après une défaite contre la Juventus (encore !), en demi-finale de Ligue des champions en 1996, en traitant le rusé attaquant Gianluca Vialli de "pitre du football". Jean Tigana, victime deux ans plus tard du réalisme à la turinoise, avait affirmé avant le coup d'envoi que "de toute façon, les arbitres favoriseront toujours les Italiens..." Jusqu'à Jean-Luc Ettori, qui commentait impuissant le hold-up de l'Inter Milan face à Sochaux en 2004 : "C'est d'abord un problème de mentalité. Tant que l'on se mettra en position d'infériorité en parlant d'exploit à longueur de phrases, ce sera la même chose."

La seule équipe française qui a réussi à ne pas perdre contre la Juventus dans une double confrontation, c'est Bordeaux en phase de poules en 2009 (2-0 puis 1-1). L'entraîneur Laurent Blanc avait martelé l'importance du facteur psychologique avant la rencontre : "A Turin, on était persuadés qu'on pouvait faire un résultat, ce qui n'a pas toujours été le cas des équipes françaises lors des confrontations franco-italiennes." Les Monégasques connaissent la marche à suivre.

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