Ligue des champions : pourquoi la Juventus est l'équipe la plus détestée d'Italie
L'adversaire de Monaco en quarts de finale est haï par un tiers des "tifosi".
"Amici di nessuno". Un des surnoms que se donnent les supporters de la Juventus peut se traduire par "les mal-aimés", et ils ne l'ont jamais aussi bien porté. La preuve dans le baromètre de la popularité du foot italien (en italien), cru 2014. La Juventus se classe largement en tête des équipes les plus détestées, avec 28% des tifosi qui la haïssent viscéralement. L'adversaire de Monaco en quarts de finale de la Ligue des champions, mardi 14 avril, est passé maître dans l'art de se rendre antipathique. Voici pourquoi.
Parce que la Juve gagne trop souvent
Les Turinois ont été populaires pendant quatre ans, entre 2006 et 2010. Relégué en Série B, la deuxième division, le club, qui a su conserver ses stars comme Del Piero, Buffon, Trezeguet ou Nedved, fait une tournée triomphale dans les bas-fonds du foot transalpin. "Partout, on nous a accueillis comme des rock stars, et avec le sourire, s'amusait Pavel Nedved, Ballon d'or 2003 dans France Football. C'est plaisant, mais j'espère que nous redeviendrons rapidement antipathiques." Il faut attendre la remontée, puis un titre de champion pour que la Juve redevienne l'ennemi n°1 du foot italien. Sa vraie place.
"Nous gagnons en moyenne un Scudetto [la récompense du champion d'Italie] tous les trois ans, constate, malicieux, le président du club, Andrea Agnelli, interrogé par ESPN (en anglais). Forcément, les supporters des autres équipes nous détestent... et je ne souhaite pas que ça change." L'entraîneur Antonio Conte, qui a enchaîné trois titres consécutifs entre 2012 et 2014 avant de prendre en main l'équipe nationale, se félicitait de ce climat de haine. "Je suis fier que nous soyons redevenus détestables, confiait-il à Reuters (en anglais). A la Juventus, c'est nous contre le reste du monde."
Parce que la Juve se la joue trop "prolo"
La Juve est le club le plus détesté, mais aussi le plus apprécié. Autant dire que le club déchaîne les passions. La carte de ses supporters, établie par la Gazetta dello Sport, recèle des surprises, avec une forte concentration de fans dans le sud du pays. L'héritage de la transhumance des ouvriers du Mezzogiorno (sud de l'Italie) vers les usines géantes de Fiat, à Turin. Pendant les années 1970, les ouvriers mènent de terribles grèves sur la chaîne de montage du constructeur, propriété des Agnelli, mais ne peuvent pas s'empêcher de soutenir "leur" Juventus, également propriété de la toute-puissante famille. L'intellectuel marxiste Gerhard Vinnai écrit que "les buts de l'équipe sur le terrain sont autant de buts contre leur camp des prolétaires dominés", relève John Foot dans son livre Winning at All Costs (en anglais). Lors des obsèques de Giovanni Agnelli, "l'Avvocato", en 2003, 100 000 personnes se massaient aux abords de l'église, beaucoup portant le maillot bianconeri (noir et blanc de l'équipe).
Parce que la Juve est trop arrogante
Le match qui oppose la Juventus à l'Inter est surnommé le derby d'Italie. Celui de 1998 est surnommé "le grand casse", après une décision litigieuse de l'arbitre. Ronaldo, l'attaquant vedette de l'Inter, est fauché dans la surface. L'arbitre ne bronche pas, le jeu se poursuit, et 20 secondes plus tard, il décide de siffler penalty pour une faute peu évidente, en faveur de la Juventus, qui l'emporte 1-0 bien que largement dominée. Les conséquences débordent largement du cadre du terrain : une session du Parlement italien est arrêtée après une bagarre entre députés en désaccord sur le fait que le match ait été arrangé, ou pas. Des années plus tard, Luciano Moggi, le tout-puissant directeur sportif du club turinois de 1994 à 2006, est interrogé sur son pronostic avant un nouveau derby d'Italie. "10-0 pour la Juve. Pour que l'Inter Milan sache vraiment ce que c'est de pleurer."
Les supporters des équipes adverses lui rendent bien son arrogance. Quand la Juventus échoue en finale de la Coupe UEFA contre Hambourg, sur un but de loin du milieu de terrain Félix Magath, des graffitis "Grazie Magath" ("Merci Magath") fleurissent dans tout le pays. Même punition après les échecs en finale de la Ligue des champions 1997 et 1998, avec des tags "Grazie Borussia" et "Grazie Real".
Parce que la Juve est trop bossue
Bossue ? Il faut passer par Florence pour comprendre pourquoi... Là-bas, les autocollants "zona anti gobbizzata" fleurissent sur les panneaux de circulation. Littéralement : "zone anti-bossus". Les joueurs de la Juventus ont en effet été surnommés les "gobbi", les bossus, réputés porter chance. Une référence au nombre élevé de penaltys généreux sifflés par les arbitres, d'après les supporters florentins. Le site Gentleman Ultra (en anglais) rapporte même que les joueurs qui signent à la Fiorentina en provenance de la Juventus sont "dégobbisés" au cours d'une mystérieuse cérémonie.
Parce que la Juve a trop triché
En 2006, une enquête de police parvient à confondre Luciano Moggi, le directeur sportif, qui décidait de la nomination des arbitres pour les matchs clefs du championnat italien. Beaucoup de tifosi le soupçonnaient, car les fins de saison se ressemblaient étrangement. En 2000, la Juventus a besoin d'une victoire pour être sacrée. Elle mène 1-0 contre Parme quand le défenseur parmesan Fabio Cannavaro inscrit le but de l'égalisation... refusé par l'arbitre pour une faute inexistante. Des manifestations dans les rues de Rome de supporters de la Roma, qui aurait dû être sacrée, n'y changeront rien. Mais le président de la fédération nationale émettra l'idée de faire officier des arbitres étrangers pour les matchs importants.
Lorsque l'affaire éclate, en mai 2006, tous les journalistes suivent Luciano Moggi à sa sortie du stade. Et ils découvrent avec stupeur que son Fiat Multipla est garé sur une place "handicapé", avec un autocollant contrefait sur la plage arrière, raconte le Guardian (en anglais). C'est beaucoup plus pratique pour quitter rapidement le parking. Pour beaucoup d'Italiens, c'est cela, l'esprit Juventus.
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