Ligue Europa : German Burgos, le "singe" de l'Atlético qui n'a peur de rien (même pas de l'OM ?)
Sur le banc de l'Atlético Madrid lors de cette finale, pas de Diego Simeone, suspendu, mais son adjoint, German Burgos. Surnommé "El Mono" ("le singe"), cet ancien gardien cache sous des airs rustauds un tacticien avisé, féru de statistiques, et un travailleur acharné.
Quand on traîne un surnom comme "El Mono" – "le singe" – et qu'on a un physique de brute épaisse, ça n'augure pas d'une grande finesse tactique. Détrompez-vous. "El Mono" Burgos, l'ancien gardien devenu entraîneur adjoint de l'Atlético Madrid, sera sur le banc face à l'Olympique de Marseille, mercredi 16 mai, en finale de la Ligue Europa. Dans l'ombre de Diego Simeone, l'entraîneur des Colchoneros, suspendu pour ce match, se cache un homme qui n'a peur de rien, et qui a montré sa bravoure sur et en dehors du terrain lors de sa riche carrière.
Son sobriquet ne tient pas à grand-chose. Un simple lapsus d'un entraîneur qui découvrait un adolescent dégingandé dans les buts. "Vers l'âge de 16 ans, j'ai commencé à m'entraîner avec l'équipe première du club de Ferro Carril [en Argentine], raconte Burgos dans El País*. J'étais tellement grand que le coach m'avait lancé : 'Tu es grand comme un singe'. Je pense qu'il a voulu plutôt me comparer à un gorille, mais c'était trop tard, mes équipiers avaient déjà adopté ce surnom."
L'homme qui arrête les penalties avec le nez
Pourtant, "le gorille" rendrait plus justice à Burgos, goal au physique de déménageur (1,88 m, des tatouages partout) et au courage incontesté, surtout lors des un contre un face à l'attaquant. Il a même mis au point un exercice à la limite du sadique : l'entraîneur des gardiens lui attache les mains dans le dos et l'oblige à parer une série de tirs à bout portant avec sa tête. Le cartilage a craqué plus d'une fois, mais l'exercice lui a valu son statut de héros à l'Atlético Madrid. En 2003, c'est ainsi son nez qui repousse un penalty de Luis Figo, qui portait les couleurs honnies du Real dans un derby capital.
Vous l'aurez compris, German Burgos peut paraître un peu dingue aux yeux du commun des mortels. Sur le terrain, ses pantalons rentrés dans ses hautes chaussettes lui donnent un vague air de Tintin. Au-dessus de la ceinture, ça se complique : point de houppette, mais une longue tignasse, une casquette vissée sur le crâne, les doigts de la main tatoués à ses initiales et, quand il n'est pas sur la pelouse, une clope au bec.
German Burgos! Atletico Madrid no.2 looks to be taking charge of Europa League Final, never argue with a man that has tattoo fingers! pic.twitter.com/drSFvclwnM
— Scottish Footie Kits (@ScottishKits) 6 mai 2018
"Avec ma gueule, je n'aurais pas pu jouer au Real"
"Si je n'avais pas été footballeur... j'aurais été femme de footballeur", lance-t-il dans un grand éclat de rire à El Mundo*. L'homme est un passionné, un vrai. Il n'est pas titulaire quand il réalise en 1999 son premier coup d'éclat dans le championnat espagnol : 11 matchs de suspension après une bagarre mémorable contre un joueur de l'Espanyol Barcelone qui a eu le malheur de le traiter de "sudaca" (une insulte visant les Sud-Américains). Quand il tombe sur un match de l'Atlético à la télé, il est aussitôt conquis. Son prochain club, ce sera celui-là et aucun autre. Peu importe que l'Atlético croupisse en D2, qu'il traîne une réputation justifiée de poissard et que ses finances soient de la même couleur que les rayures de son maillot, rouges.
Avec ma gueule, je n'aurais jamais pu jouer au Real. Ils m'auraient au moins forcé à me couper les cheveux. L'Atlético, c'est le club des ouvriers, des maçons et des chauffeurs de taxi.
German Burgos
Une posture populiste pour séduire les travées du stade Vicente-Calderón ? Vous n'y êtes pas. "El Mono" aime les gens, et arrive deux heures en avance au centre d'entraînement pour prendre son petit déjeuner avec les maçons qui refont les installations du club. "Ils me demandaient : 'Ta femme t'a foutu dehors ?' Je répondais : 'Non, je suis en avance pour voir ma maîtresse'."
Au palmarès "d'El Mono", on trouve des titres de champion en Argentine, deux coupes continentales avec River Plate, mais son titre de gloire, demeure la ligne de champion de deuxième division avec l'Atlético Madrid, en 2002. Qui met fin à deux ans de purgatoire pour l'un des plus gros pedigrees du foot espagnol, et qui inspire aux communicants du club cette pub mémorable où on voit Burgos sortir des égoûts, et lâcher : "Nous y sommes !" Le gardien devenu tête de proue du club affirme avoir été choisi sur son physique : "Vous savez comment sont les marketeux..."
Sa carrière se termine abruptement, avec un cancer du rein diagnostiqué en 2003 alors qu'il dépasse à peine la trentaine. Les médecins veulent l'opérer au plus vite. Pourquoi pas dès dimanche ? "On ne peut pas remettre à lundi ? Parce que dimanche, on joue contre Majorque ?" Le corps médical le ramène à la raison, et lui laisse en souvenir une cicatrice de 35 points de suture, confie-t-il à la radio Cadena Ser*. Les infirmières présentes se souviendront longtemps de l'anesthésie : "Il paraît que j'en ai cogné une ou deux. (...) Quand on m'a raconté ça dans ma chambre d'hôpital, il y avait ceux qui riaient, et ceux qui riaient jaune", raconte-t-il au journal argentin Clarin* quelques jours après l'opération. Le moment qu'il choisit pour se teindre des mèches rouges dans les cheveux : "Ça indique le changement de cycle, ma première vie s'est achevée, une autre débute, comme quand on remet le compteur d'une voiture à zéro."
Le musicien a failli tuer le footballeur
Sa nouvelle vie s'articule davantage autour de la musique que du foot. Son groupe porte ses initiales (Garb, comme German Adrian Ramon Burgos) et pratique un rock tout à fait écoutable. German Burgos est au micro. Il n'a pas la langue des Rolling Stones tatouée sur l'épaule pour rien. "Je ne peux pas avoir le trac après avoir fait face à 90 000 supporters hostiles au Maracana [le stade de Rio, au Brésil]", se défend-il dans El País*. Avant, il donnait des concerts sur son temps libre, mais en 2006, il tente de passer pro. Il avait prévenu que "le musicien tuerait le footballeur" et qu'il empoignerait le micro quand "biologiquement", il devrait raccrocher les gants. "B.B. King ou John Lee Hooker ont duré très longtemps musicalement."
Mais German Burgos ne lâche pas le football. Il entraîne un petit club madrilène quand son compatriote argentin Diego Simeone, ancien milieu de terrain rugueux qu'il a longtemps croisé, l'appelle à ses côtés. "Nous n'avions jamais travaillé ensemble, mais nous nous sommes côtoyés pendant huit ans en sélection [nationale] et deux ans à l'Atlético de Madrid. En dix ans, j'ai donc pris plus de repas avec lui qu'avec ma famille !"
"Un ordinateur de la Nasa" sous le crâne
Ce qu'"El Cholo" ("le chef de gang") vient chercher chez "El Mono", ce n'est pas qu'une volonté de fer, mais un souci du détail qui confine à la folie. Quand il est coach en sixième division, Burgos envoie ses assistants mesurer les terrains adverses pour définir sa stratégie. Chez lui sont allumés en permanence trois téléviseurs qui diffusent trois matchs en même temps. "Tu as vu comment le n°14 ne couvre pas la ligne de passe ?" lance-t-il à un journaliste d'El País qui l'interviewe chez lui. "Euh, de quel match ?" répond, penaud, le plumitif. En 2014, il est devenu le premier coach à avoir suivi un match avec des Google Glass pour disposer des statistiques en temps réel.
Mes amis m'appellent 'Grosse tête'. Là-dedans, il y a un ordinateur de la Nasa.
German Burgosà "AS"
Entre Simeone et Burgos passe comme une fluide, une alchimie. "Il est Taureau et je suis Bélier, donc il y a une logique. Mes meilleurs amis sont Taureau, avance Burgos à El Mundo. Ça tombe bien, Simeone est féru d'astrologie, au point de préférer les Poissons en attaque et les Sagittaires en défense. Entre Burgos et Simeone, le rituel est le même. Après un quart d'heure de jeu, "El Mono" se lève pour indiquer au patron les points forts de l'adversaire, pour réajuster la tactique. "On fonctionne comme Robert de Niro et Joe Pesci [dans les films de gangsters de Martin Scorsese]", sourit Burgos, que les mauvaises langues comparent plutôt à Sancho Panza, l'acolyte rustaud de Don Quichotte.
Ne le dites pas trop fort, le sang de Burgos pourrait ne faire qu'un tour : il a déjà menacé "d'arracher la tête de José Mourinho", coach du Real à ce moment-là. Et la dernière fois qu'il a fait un esclandre sur le terrain, il a fallu six personnes pour l'empêcher d'aller en coller une à l'arbitre. Chassez le naturel...
*Les liens signalés par une astérisque renvoient sur des articles en espagnol.
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