Ligue Europa : le Qarabag FK, fenêtre sur l'histoire (et le présent) du conflit du Haut-Karabagh
Nous sommes à la demi-heure de jeu dans la rencontre entre le club luxembourgeois de Dudelange et le FK Qarabag, le 4 octobre 2019, lorsqu’un drone fait son apparition au-dessus du stade Josy-Barthel. Dans son sillage flotte un drapeau indépendantiste de la région du Haut-Karabagh. Cette région, majoritairement peuplée d’Arméniens chrétiens, a fait sécession de l’Azerbaïdjan, Etat musulman, en 1991, et est aujourd’hui de nouveau au coeur d’une guerre qui a fait plus de 700 morts selon les derniers décomptes. Comme son nom l’indique, le FK Qarabag est né au coeur des montagnes du Haut-Karabagh. Il est devenu, au fil des déplacements forcés, des actes de “résistance”, des revendications politiques, un symbole fort pour les plus de 600 000 natifs du Karabagh “réfugiés” en Azerbaïdjan (chiffre de 2009). Alors que le club s’apprête à entamer une nouvelle campagne européenne face au Maccabi Tel Aviv ce jeudi, son histoire et son positionnement, sans cesse martelés par la communication politisée du club ces derniers jours, trouvent un écho particulier dans la situation actuelle.
Le Qarabag, club des exilés
La dernière fois que des joueurs du Qarabag FK ont pu jouer dans leur stade originel, c’était en 1988. “Avant la guerre on était le seul club d’Azerbaïdjan à ne recruter que des joueurs locaux, se souvient dans The Independant (article en anglais) l’ancien capitaine du club Shaid Kasanov. Il y avait les amis, la famille, les voisins. C’était spécial. C’était notre temple”. L’Azerbaïdjan était alors encore sous le joug soviétique, même si l’URSS s’étiolait déjà. C’est d’ailleurs cette fragilisation évidente qui a conduit les Arméniens chrétiens (majoritaires à 70% dans le Haut Karabagh) à mener les premières offensives pour l’indépendance. Ce fut alors l’ère des bombardements et des destructions.
Leur stade fut très vite visé par les indépendantistes : deux fois avant 1990, deux fois en 1991. Face à l’intensification des combats, l'équipe s'est éloignée de la ville d'Agdam, où est né le club et où se trouvait leur stade. Mais le championnat, lui, s'est poursuivi. Les joueurs retournaient dans une ville déjà en partie désertée, pour évoluer devant un public de soldat. "Nos fans avaient troqué leurs habits pour des uniformes, mais ils restaient les mêmes, se souvient Mushvig Huseynov, ancien buteur de l’équipe, pour Le Monde. Et c’était notre devoir de jouer au football pour eux."
Les joueurs de Qarabag ont même voulu aller plus loin et abandonner leur maillot de foot pour celui de militaire. Face à cette proposition collective des joueurs, l'armée aurait répondu, dans une formule reprise depuis à l'envi et participant grandement au mythe du club en Azerbaïdjan : "Je peux facilement trouver onze soldats, mais onze joueurs, je ne le peux pas." Le 23 juillet 1993, la ville d’Agdam est conquise par les arméniens, et très vite totalement rasée. Ce qui n'empêche pas Qarabag d'être sacrée championne d'Azerbaïdjan pour la première fois de son histoire.
Aslan Kerimov, plus de 150 apparitions sous le maillot de Qarabag, raconte dans des propos rapportés par le blog de football La Grinta : "Il n’y avait pas de fête au coup de sifflet final. Une partie de l’équipe est montée dans la voiture et a foncé vers Agdam, à la recherche d’amis et de membres de la famille parmi les réfugiés. Avec un ami, nous sommes allés sur le boulevard de Bakou, nous avons acheté une canette de coca à un vendeur ambulant et l’avons bu en regardant la mer Caspienne."
L'équipe entame alors un exil qui les mènera dans quatre villes différentes, avant d'atterrir à Bakou. La capitale deviendra leur nouveau quartier général. Mais jamais, jusqu'aujourd'hui, ils ne cesseront de revendiquer ce qu'ils estiment être "leur terre" du Haut-Karabagh.
Des ultras se rêvant soldats
Aujourd'hui, le club est une véritable vitrine de la cause des Azéri réclamant leur retour en Haut-Karabagh. "Le club est la meilleure manière d’apprendre au monde l’histoire du Karabakh" professe Elvin Ibrahimov, un ultra du club, au Monde. D'après le quotidien, les 200 membres actifs du groupe Imarat (du nom du stade d’Agdam) revendiquent le slogan "Aujourd’hui ultras, demain soldats". Ils s'affirmeraient prêts "à prendre à tout moment les armes pour 'reprendre leur terre'".
La ferveur des réfugiés pour le club s'est construite au fil des années. L'un des éléments fondateurs a sans doute été le sauvetage du club par le président de l'Azerbaïdjan lui-même. "Face au risque de faillite au tournant des années 2000, le président du club a sollicité le président Heydar Aliyev, explique au Monde Nurlan Ibrahimov, chargé de la communication à Qarabag. Et celui-ci en a fait une cause nationale." Selon le blog la Grinta, pendant des années, un bus financé par le club partait des villages de réfugiés près de la frontière du Haut-Karabakh en direction de Bakou, pour assister aux match du Qarabag FK. Le temps de trajet atteignait parfois sept heures pour ses supporters traversant le pays pour voir leur club jouer.
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Heydar Aliyev, puis son fils Ilham Aliyev, au pouvoir en Azerbaïdjan depuis la chute de l'Union Soviétique, n'ont jamais hésité à afficher leur soutien au club. Car celui-ci porte en lui un discours intrinsèquement favorable aux Azéris. Voire un discours de propagande, selon ce porte-parole du First Armenian Front, un groupe d'ultras arménien. "Ils racontent l'histoire qu'ils veulent, a-t-il avancé au média britannique The Independant. Ca fait partie de leur programme de propagande. Ils nomment le club Karabagh, puis le promeuvent comme représentant l'Azerbaïjan. C'est psychologique. Pour nous en Arménie, ça nous fait mal. Nous n'avons pas d'équipe portant le nom d'Artsakh (le nom officieux du Haut-Karabagh revendiqué par les indépendantistes, mais non reconnu par la communauté internationale, ndlr) en Arménie".
En vue de leur premier match dans cette Ligue Europa face au Maccabi Tel-Aviv, le club n'a pas hésité à publier une capture d'écran des tweets d’Ilhan Aliyev, le chef de l’Etat. Celui-ci y énumère des noms de villages qu’il revendique avoir “libéré”, avant de clamer : “Longue vie à l’armée de l’Azerbaïdjan ! Le Karabagh est l’Azerbaïdjan !”.
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