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Reportage West Ham-Lyon : d’Upton Park au stade olympique de Londres, les Hammers déracinés

Article rédigé par Denis Ménétrier, franceinfo: sport - De notre envoyé spécial à Londres
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le stade olympique de Londres où évolue le club de West Ham, le 19 juin 2021 (MACIEK MUSIALEK / NURPHOTO)

Jeudi soir, l'Olympique Lyonnais affronte West Ham en quart de finale aller de la Ligue Europa au stade olympique de Londres. Une enceinte qui ne sied guère à une partie des supporters des Hammers, six ans après avoir quitté l'historique Upton Park.

Derrière le comptoir, Amanda s'active et prend en charge les premiers clients qui viennent se réchauffer à l'intérieur, alors que la pluie tombe à torrents dehors sur Londres, en fin d'après-midi, mercredi 6 avril. Entre deux commandes, la serveuse du Boleyn Tavern, l'un des bars iconiques dans l'histoire du club de West Ham, nous explique qu'elle s'attend à voir débarquer plusieurs supporters des Hammers le lendemain après-midi. Le programme : s'enfiler quelques pintes avant de rejoindre, cinq kilomètres plus loin, le stade olympique de Londres. 

Là-bas s'y déroulera le quart de finale aller de la Ligue Europa entre West Ham, 6e de Premier League, et l'Olympique Lyonnais. Un match très attendu par les Hammers, qui n'ont plus atteint ce stade d'une compétition européenne depuis plus de quarante ans. Un signe traduit l'excitation latente : en à peine quelques minutes, les 60 000 places pour le match ont été vendues sur le site de la billetterie du club. Et c'est au Boleyn Tavern qu'une partie des supporters va se retrouver avant le match.

"On en voit moins des supporters depuis le déménagement du club", concède Amanda, dont le bar n'est situé qu'à cent mètres du lieu où se trouvait l'ancien stade de West Ham : Upton Park, également appelé Boleyn Ground. Depuis 2016, le club de l'est de Londres a quitté cette enceinte pour le stade olympique et les fans ont progressivement déserté l'East End, l'un des quartiers les plus défavorisés de la capitale. Mais certains nostalgiques continuent de venir régulièrement dans le quartier pour vivre les avant-matchs avant de rejoindre le London Stadium en métro ou en bus.

Plus de traces de West Ham... ou presque

C'est le cas de Paul Colborne. L'homme, à la soixantaine passée, se rend à chaque match dans son pub fétiche à Plaistow, à dix minutes d'Upton Park. "Il n'y a rien dans le coin qui permette de se souvenir que le club a été présent par le passé", regrette le président du groupe Hammers United Supporters Club, qui compte 18 500 membres. Le stade d'Upton Park, où West Ham a joué entre 1904 et 2016, a été entièrement démoli après le déménagement du club. Là où se trouvait la pelouse s'élèvent désormais des barres d'immeubles dont certaines sont encore en construction.

En cherchant bien, dans une impasse située à quelques encablures de l'ancien stade, un élément marque le passage de West Ham dans la zone. Un graffiti célèbre Boleyn Ground, pour l'éternité espère-t-on chez certains supporters mélancoliques. Depuis six ans que le déménagement a eu lieu, une partie des fans des Hammers n'a toujours pas digéré le fait de quitter Upton Park.

Il faut chercher une impasse pour trouver un graffiti célèbrant Boleyn Ground. (Denis Ménétrier)

Leur nouvelle maison, le stade olympique de Londres, contraste avec l'authenticité de l'East End. En cette veille de match, on s'affaire également autour du London Stadium pour réapprovisionner les foodtrucks qui serviront burgers et bières aux fans présents lors de l'avant-match jeudi. Le basculement dans la modernité de West Ham nous accueille avec un écran géant qui annonce le concert à venir des Red Hot Chili Peppers, le stade accueillant également des concerts. En 2013, après une longue bataille juridique, West Ham a obtenu un bail pour 99 ans dans le stade, aux dépens de leurs rivaux londoniens de Tottenham.

Le vent souffle fort dans le Queen Elizabeth Olympic Park, où se situe le London Stadium. Le village olympique, conçu pour accueillir les Jeux de 2012, "sera bientôt l'un des plus grands et ambitieux districts culturels et éducationnels" de la ville, à en croire Sadiq Khan, le maire de Londres. Sur le papier, le projet avait à l'époque séduit les supporters de West Ham : le club allait désormais pouvoir accueillir 60 000 personnes par match, plutôt que 35 000 à Upton Park. Le changement de stade préfigure le changement de dimension du club, comme l'annonce Karren Brady. La vice-présidente de West Ham promet "une équipe de classe mondiale et un entraîneur de classe mondiale dans un stade de classe mondiale".

"Ce n'est pas un stade de football, c'est un stade d'athlétisme"

Mais les alentours du village olympique, où seront employés plus de 40 000 personnes d'ici à 2025 ne sont cependant pas l'endroit le plus propice à accueillir un avant-match digne de ce nom… ni un match de football, à en croire certains supporters. "Ce n'est pas un stade de football, c'est un stade d'athlétisme. La première fois que j'y suis allé, je me suis dit : 'C'est impressionnant, ça rend bien de l'extérieur.' Et en rentrant dedans, j'ai vu que les tribunes étaient très loin du terrain", assène Andrew McConnell, membre du Hammers United Supporters Club.

Avec les restes de la piste d'athlétisme du stade olympique, les tribunes sont en effet situées loin de la pelouse. Une aberration pour le football anglais où les supporters peuvent généralement sentir le souffle des joueurs qui se trouvent sur le terrain. "On déteste cet endroit", déclare Paul Colborne, qui ne se rend plus au London Stadium depuis quatre ans... contraint par une interdiction de stade.

En mars 2018, alors que le club lutte contre la relégation deux ans après les promesses d'évolution faites par les propriétaires, le supporter se fait connaître en s'introduisant sur la pelouse du London Stadium lors d'un match entre West Ham et Burnley. "Je voulais imiter un supporter de 1992 qui avait planté le poteau de corner au milieu du terrain pour protester contre la politique de billetterie du club", explique Colborne.

Le président du Hammers United Supporter Club ne parvient pas à planter le drapeau de corner – "il était en plastique" – mais le brandit au milieu du terrain. L'image reste gravée dans les esprits. Paul Colborne décide alors de mener la fronde contre les propriétaires. En février 2020, une première manifestation se déroule et 8 500 supporters y participent. La grogne se fait entendre alors que l'équipe est en difficulté sur le plan sportif.

Paul Colborne entouré de joueurs de West Ham lors de l'envahissement du stade olympique de Londres, le 10 mars 2018 (BEN STANSALL / AFP)

L'une des raisons de ces résultats médiocres ? "L'absence d'ambiance comme à Upton Park, rétorque sans hésiter Andrew McConnell. Les supporters et les équipes adverses craignaient d'aller à Upton Park parce qu'ils avaient peur de cette ambiance, de nous, du douzième homme. Ça nous permettait de gagner des matchs. Tout ça a disparu d'un coup en arrivant dans le London Stadium. Quand vous entendez les supporters adverses chanter 'vous n'êtes plus vraiment West Ham', c'est difficile de leur répondre, parce qu'ils n'ont pas complètement tort."

Colborne, qui soutient les Hammers depuis 50 ans, regrette lui aussi l'ambiance d'Upton Park qu'assurait "la fanbase la plus fanatique de Londres, voire du pays", selon lui. "Au début, je me suis dit qu'au London Stadium, ça serait comme à Upton Park mais avec 20 000 personnes de plus. Mais je n'avais pas anticipé que ces 20 000 personnes ne seraient pas supporters de West Ham et qu'ils soutiendraient d'autres équipes pendant les matchs", décrit-il. Un affront pour les supporters des Hammers.

Mais le London Stadium a également permis l'arrivée de nouvelles têtes. "C'est le plus grand succès du changement de stade", assure David Blackmore, rédacteur pour le fanzine Blowing Bubbles. Lui comprend la difficulté de quitter Upton Park et conçoit que "de nombreux supporters ne considéreront jamais le stade olympique comme leur maison". Pourtant, il s'est habitué à "cette conception très moderne et commerciale du football", même s'il continue de vivre ses avant-matchs dans un bar à quinze minutes à pied d'Upton Park.

L'histoire du club pour apaiser les tensions 

D'autres supporters préféreront se retrouver dans l'immense centre commercial qui borde le village olympique et dans toutes les nouvelles infrastructures sur lesquelles le club mise, symbole de la nouvelle ère dans laquelle est entré West Ham il y a quelques années. Réceptive aux critiques du Hammers United Supporters Club, la direction des Hammers a tout de même opéré de légers changements pour améliorer l'ambiance au London Stadium, comme le rapprochement des tribunes derrière les buts de la pelouse.

Les propriétaires ont aussi fait appel à l'histoire du club pour tenter d'amener un peu de consistance à ce lieu aseptisé qu'est le London Stadium. Les vieilles grilles d'Upton Park sont ainsi exposées dans la boutique officielle du club et une statue représentant trois légendes de West Ham (Bobby Moore, Martin Peters et Sir Geoff Hurst) a été inaugurée il y a quelques mois sur le parvis du London Stadium.

 

"C'est un pas dans la bonne direction, admet McConnell. Mais il y a encore tellement de choses à faire." Mais alors que les résultats du club s'améliorent, et que West Ham s'apprête à participer à son premier quart de finale européen en 40 ans, la grogne se fait moins importante. En octobre dernier, la manifestation organisée par le groupe de supporters n'a rassemblé que 400 personnes. 

"Les bons souvenirs que sont en train de créer les joueurs permettent davantage de se sentir à la maison dans ce stade", défend David Blackmore. Croisé à la sortie de la boutique officielle du club mercredi, Andrew Smith, un supporter des Hammers installé aux États-Unis, abonde : "D'avoir ce stade magnifique, c'est génial. Ça permet d'envisager sur le long terme une place dans le top 4 et de jouer la Ligue des champions, surtout avec la bonne équipe qu'on a en ce moment."

Une accalmie due aux bons résultats

Toujours mécontent de la tournure des événements, le Hammers United Supporters Club réclame encore le départ des propriétaires. Mais le groupe temporise pour le moment. "On doit aussi accepter que pour les gens, la priorité, c'est que l'équipe fonctionne bien", assume Colborne. Loin d'espérer la chute de son équipe en Premier League et en Ligue Europa, le supporter des Hammers soutient que les choix de la direction, à qui il reproche un manque d'investissement en termes de transfert, auront un impact négatif sur l'équipe. Auquel cas, la fronde repartirait de plus belle.

Pour l'instant, West Ham vit un rêve éveillé, porté par son capitaine Declan Rice, véritable idole du club. Ce dernier pourrait quitter les Hammers en cas de non-qualification en Coupe d'Europe la saison prochaine. Un déchirement de plus, "qui illustrerait les mauvaises décisions des propriétaires", selon Colborne. En attendant, lui et ses collègues continuent de panser les plaies d'un départ du stade Upton Park qui ne passe pas.

Leur dernier projet en date : après avoir racheté une immense plaque présente sur les murs de Boleyn Ground dans les années 1980, le groupe de supporters souhaite l'installer proche de Boleyn Tavern, ce bar mythique du club à la devanture récemment refaite. Une manière pour les supporters de rappeler qu'un jour, le club de West Ham a vécu, à cinq kilomètres du stade olympique de Londres, au cœur de l'East End, une grande partie de sa riche histoire.

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