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Mais que vient faire l'Azerbaïdjan dans le foot français ?

Le RC Lens va se faire racheter par un homme d'affaires azerbaïdjanais. Pourquoi ? Eléments de réponse.

Article rédigé par Pierre Godon - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Le logo de l'Azerbaïdjan s'affiche sur le maillot de l'Atletico Madrid... et bientôt peut-être sur celui du RC Lens, qu'un homme d'affaires azerbaïdjanais est en passe de racheter. (ANGEL MARTINEZ / REAL MADRID / GETTY IMAGES)

Après les Qataris au PSG et les Russes à Monaco, un investisseur azerbaïdjanais est en passe de racheter le RC Lens. A première vue, cet investissement est surprenant. L'Azerbaïdjan en football est uniquement connu des amateurs de foot pour avoir perdu 10-0 une rencontre contre l'équipe de France en 1995. Samuel Lussac, auteur d'une thèse sur le pétrole en Azerbaïdjan, explique à francetv info les ressorts de ce rachat.

Qui est Hafiz Mammadov, l'homme d'affaires azerbaïdjanais qui veut racheter le RC Lens, associé à l'ancien président Gervais Martel

Hafiz Mammadov a connu une ascension rapide dans les années 2000 grâce au transport de pétrole par rail. Il est très proche du ministre des Transports et du Monsieur Sécurité d'Azerbaïdjan, l'éminence grise du président Ilham Aliyev. Tous les trois sont kurdes, une des minorités du pays. Le président Aliyev s'est appuyé sur eux pour contrebalancer l'influence des oligarques qui prospéraient quand son père était au pouvoir, et qui se sont enrichis dans les années 1990. La nébuleuse kurde qui gravite autour du président a récupéré les secteurs les plus lucratifs, comme le transport pétrolier ou le BTP. On ne peut donc pas tout à fait comparer Mammadov aux autres oligarques du foot, comme Roman Abramovitch (président de Chelsea) ou Dmitry Rybolovlev (patron de l'AS Monaco).

Traîne-t-il des casseroles ? 

Ses sociétés sont basées aux Emirats arabes unis, un des Etats où on demande le moins de comptes aux entreprises, ce qui n'est jamais bon signe. Il a aussi fait parler de lui au moment de l'Eurovision, organisée l'an dernier en Azerbaïdjan. Il a importé plus de 1 000 taxis londoniens dans des conditions suspectes [d'après Radio Free Europe, il a bénéficié de l'appui du gouvernement pour étouffer la concurrence des autres compagnies de taxis]

Pourquoi un investisseur comme Mammadov met-il de l'argent dans le RC Lens, après avoir investi dans l'Atletico Madrid ? 

Hafiz Mammadov est déjà président du FC Bakou. Investir dans un club de foot en Azerbaïdjan est une façon de se rapprocher du pouvoir. Racheter le RC Lens et y investir 20 ou 25 millions d'euros ne représente pas grand-chose pour sa fortune. En plus, une des conditions du rachat prévoit que des joueurs azerbaïdjanais évoluent avec le groupe pro, d'autres au centre de formation. Ça ne peut que rejaillir sur le niveau de l'équipe nationale, et plaire au président de la fédération… qui est le patron de la principale compagnie pétrolière du pays. Il existe déjà un exemple dans ce genre : le patron du club écossais des Hearts of Midlothian est lituanien et impose dans le onze titulaire plusieurs joueurs lituaniens qui n'ont pas vraiment le niveau.

L'investissement azerbaïdjanais dans le foot relève-t-il d'une logique d'Etat ? Un peu comme le Qatar avec le PSG, pour permettre au pays d'exister sur la scène internationale ?

C'est comparable, pour deux raisons principales. La première, c'est que la France copréside ce qu'on appelle le groupe de Minsk, qui est chargé de trouver une solution au conflit du Haut-Karabagh [une région frontalière incorporée à l'Azerbaïdjan pendant la période soviétique, qui tente de faire sécession et d'être rattachée à l'Arménie depuis une guerre, à la fin des années 1980]. L'idée est d'influencer la France, perçue comme pro-arménienne. La seconde, c'est que la première dame azerbaïdjanaise est francophile. En revanche, même si le slogan "Azerbaijan, Land of Fire" risque d'apparaître sur le maillot du RC Lens, le pays ne vise pas de retombées touristiques. Il faut savoir qu'entrer en Azerbaïdjan est devenu beaucoup plus difficile ces dernières années.  

Cet intérêt se limite-t-il au ballon rond ?

Pas du tout. Par exemple, la Fondation Heydar Aliyev, presidée par la première dame, Mehriban Aliyeva, a organisé un dîner il y a deux ans en présence de personnalités politiques comme Rachida Dati et Jean-Pierre Raffarin, mais aussi de Patrick Bruel et d'Alain Delon, pour fêter les vingt ans de l'indépendance du pays. C'était au musée Rodin, après un concert à la mairie du 7e arrondissement. L'investissement azerbaïdjanais en France ne se limite pas au foot : le pays a financé la rénovation de la cathédrale de Strasbourg ou encore celle d'une aile du Louvre

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