Ligue des Champions : Juanma Lillo, l'homme qui murmure à l'oreille de Pep Guardiola
Arrivé sur le banc de Manchester City l'été dernier en tant qu'entraîneur adjoint de Pep Guardiola, l'Espagnol Juanma Lillo incarne une personnalité mystérieuse, le tout parsemé d'une forte relation avec le Catalan et d'un parcours atypique.
Il est un personnage hors du commun et comme on en croise de moins en moins dans le football moderne. Décrit comme un technicien aux principes de jeu aboutis - dont le coach Pep Guardiola s'est largement inspirées à ses débuts - sans aucun résultat marquant à son actif comme entraîneur principal, l'Espagnol de 55 ans, Juanma Lillo, cultive les anecdotes et les paradoxes à son sujet depuis toujours, et ce bien avant d'affronter Chelsea en finale de Ligue des Champions, sous les couleurs de Manchester City samedi 29 mai en tant qu'adjoint de l'ancien barcelonais.
Le précurseur du 4-2-3-1 moderne
Beaucoup parlent de Marcelo Bielsa, Pep Guardiola ou encore Jorge Sampaoli lorsqu'il s'agit d’évoquer des entraîneurs bâtisseurs à la forte personnalité et à l'identité latine. Mais très peu évoquent les tacticiens hors-pairs comme le Basque Juan Manuel dit "Juanma" Lillo, lui qui a théorisé un 4-2-3-1 en mouvement, revisité à sa sauce. Des enchaînements, de la vitesse et du surnombre en permanence tout en respectant une certaine géométrie sur le terrain : il est à l'origine de ce qu'on appelle en espagnol le "juego de posición".
Sa vision avant-gardiste pour l'époque, au milieu des années 1990, était celle de diviser un terrain de foot en 20 zones bien distinctes et d'échelonner les joueurs en fonction de lignes verticales et horizontales. L'objectif étant d'offrir au moins trois possibilités de passes à chaque joueur en possession du ballon. Un casse-tête complexe et que seuls les adeptes de tactique pure peuvent réellement juger.
Pour lui : "Quiconque prétend que le jeu de position ne fonctionne que s'il est joué par de grands footballeurs ne veut mettre en avant qu'une chose : éviter la difficulté de mettre en œuvre cette philosophie complexe." Un côté, que certains jugeront prétentieux, dans ses idées, dont il n'a jamais vraiment su tirer la quintessence dans ses expériences d'entraîneur, contrairement à d'autres qui en ont bien profité quelques années plus tard.
Un instable entraîneur de seconde zone
Malgré ses grandes capacités d'évaluation du jeu, ses faibles qualités de joueur l'ont propulsé très tôt sur le banc. À 29 ans, Juanma Lillo devient le plus jeune technicien de l'histoire en Liga avec Salamanque après avoir fait ses gammes dans les divisions inférieures. Une exception supplémentaire dans son parcours de prodige du coaching, sans vraiment avoir de résultats à la hauteur.
Passé par plusieurs clubs mineurs en Espagne, à l'exception d'Almeria, la Real Sociedad ou encore Séville en tant qu'adjoint de Jorge Sampaoli, sa route va rapidement l'amener à l'étranger en s'exilant vers la Chine, le Japon, le Mexique, la Colombie ou encore les rangs de la sélection chilienne (là aussi sous l'ère Sampaoli). L’Espagnol est par conséquent un globe-trotter du ballon rond, avide de défis en terres méconnues et de la remise en question perpétuelle, ses choix de carrière passant bien après ses idées.
Un contraste existentiel qui lui a souvent joué des tours, lui qui n'a jamais eu la possibilité de tenir les rênes d'un club majeur durant ses années en tant que numéro un. "Pour Lillo, le jeu est plus important que le résultat. Il arrive à entretenir un discours particulier avec ses joueurs qui l'ont toujours soutenu dans tous les clubs où il a exercé. Il est sans doute meilleur professeur qu'entraîneur", analyse Elias Baillif, journaliste suisse et spécialiste du football espagnol. Une nuance qui a son importance, dans cette relation proche et fusionnelle avec ses joueurs et qui lui portera chance quelques années plus tard, sans le savoir.
Lillo et Guardiola : les "Blues" Brothers
Repéré par Pep Guardiola, alors joueur du FC Barcelone, après un match de Liga avec Oviedo lors de la saison 1996-1997, Juanma Lillo réussit à marquer les esprits du Catalan malgré une défaite (2-4). Mais c'est en 2003, année d'élection au sein club blaugrana, que les premières étincelles naissent entre les deux hommes.
Soutien du candidat Lluis Bassat pourtant favori, face à l'outsider et futur président Joan Laporta, le milieu défensif du FC Barcelone en fin de carrière, promet à Juanma Lillo d'en faire le coach du club catalan s'il parvient à devenir directeur sportif. Un coup d'épée dans l'eau, mais qui pourra se réaliser en D2 mexicaine aux Dorados de Sinaloa en 2005-2006. Sorti de sa pré-retraite de joueur, Pep Guardiola se mue alors en porte-voix de Lillo sur le terrain, tout en piochant dans le "corpus théorique" de l'entraîneur basque.
Une première expérience commune qui va consolider leur relation et même pousser Lillo à distiller ses conseils sur la manière de construire des séances à Guardiola, dès sa prise de pouvoir en tant que coach principal à Barcelone en 2008. Cette union footballistique va ensuite connaître un autre tournant douze ans plus tard en Angleterre, lorsque l'élève Guardiola, devenu maître incontesté du coaching, aura dépassé le professeur Lillo.
À la recherche d'un successeur à Mikel Arteta parti à Arsenal en décembre 2019, Pep Guardiola s'est orienté vers l'option Lillo, alors parti reprendre ses escapades d'entraîneur en Chine. Un choix évident et enfin concrétisé le 9 juin 2020. Guardiola, dans la position d'entraîneur principal et Lillo devenu son adjoint à Manchester City : la boucle est bouclée. Le Basque et le Catalan parlent en effet le même football : celui du mouvement et de la possession à tout prix, tout en incorporant les principes du "Professeur" Lillo dans les rouages de la machine des Sky Blues.
La parole est à la défense
L'entraîneur basque est une plus-value concluante et presque aussi précieuse que celle d'un joueur clé pour Guardiola. Cet ovni du football moderne a ainsi apporté de l'efficacité, notamment sur le plan défensif. Les décisions de reconfigurer la défense de City autour de Ruben Dias - recruté à 68 millions d'euros au Benfica Lisbonne en septembre dernier - et de responsabiliser encore plus ses latéraux, comme Joao Cancelo ou Kyle Walker, en les déplaçant vers le coeur du jeu en phase de mouvement avec le ballon a stabilisé le collectif "citizen".
Un équilibre retrouvé depuis sa prise de fonction à Manchester City, Juanma Lillo ayant permis d'apporter un second souffle à l'effectif de Guardiola. Résultat, une défense ultra-compacte, une attaque sans véritable numéro neuf toute la deuxième partie de saison pour favoriser les phases de surnombre. Des innovations mineures aux effets majeurs qui ont permis aux coéquipiers de Kevin De Bruyne de reconquérir la Premier League et de remporter une Carabao Cup.
Pour Pep Guardiola, Lillo apporte de la sérenité et représente la partie immergée de l'iceberg des Sky Blues : "C'est une personne qui a une grande capacité pour analyser le jeu. Il a aussi cette faculté à ne jamais parler mal d’une personne et toujours voir le positif chez les autres. C’est une grande chance car tu apprends constamment de lui. Cela te fait profiter beaucoup plus du métier que lorsque j’ai commencé à Barcelone, où tout était beaucoup plus stressant", expliquait Pep Guardiola dans un entretien à DAZN España, le 24 mai dernier.
L'Espagnol s'est parfaitement fondu au milieu d'un effectif rempli de stars en y posant sa patte et ses retouches auprès de Guardiola, sans être directement mentionné dans les principaux faits d'arme des Citizens. Une victoire face au Chelsea de Thomas Tuchel, samedi en finale de Ligue des Champions, ne le mettrait certainement pas sur le devant de la scène médiatique. Dans l'ombre, c'est là où il agit le mieux.
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