Premier League : d'un grand d'Europe à un candidat au maintien, Manchester United, monument en péril
"La relégation est une possibilité". Ces mots de Ruben Amorim, entraîneur de Manchester United depuis novembre 2024, ont provoqué une onde de choc parmi les observateurs du football anglais. Voilà une éternité, 51 ans exactement (1974), que le club mancunien n'a plus quitté l'élite. Mais le technicien portugais est conscient que son club, 13 fois champion d’Angleterre entre 1993 et 2013, est bien mal embarqué cette saison. Quatorzièmes, les Red Devils se déplacent à Liverpool, dimanche 5 janvier, alors qu’un monde et 23 points séparent les deux rivaux au classement.
"Imaginez-vous vivre dans une belle maison pendant des années. Vous l’entretenez, vous adorez y vivre. Un jour, vous partez. Puis vous passez devant en voiture et tout s’est envolé. Vous regardez à travers la fenêtre et vous pouvez voir à quel point tout est désordonné". Voilà ce qu’inspire le déclin de Manchester United à Rene Meulensteen, ancien assistant de Sir Alex Ferguson, dans des propos rapportés par The Athletic en octobre 2023.
Le club ne semble pas avoir digéré le départ de son mythique entraîneur, en fonction entre 1986 et 2013, et connaît depuis une longue période d’instabilité. Car si des trophées comme la Coupe d’Angleterre (2016 et 2024), la Ligue Europa (2017) ou la Coupe de la Ligue (2017 et 2023) viennent sauver le bilan de ces dix dernières années, Manchester United n’est plus de la lutte pour le titre en Premier League chaque saison. Depuis son dernier sacre en 2013, United a terminé en moyenne à 23 points du champion et ne s'en est jamais approché à moins de douze points (2020-2021).
"Aujourd’hui, que l’on marque ou que l’on prenne un but, je reste un peu indifférent. Avant j’organisais mon week-end autour des matchs de Manchester United, aujourd’hui je les regarde si je suis disponible, regrette Geoffroy Fisher, secrétaire du Manchester United Supporters Club en France, lassé également par le trop grand nombre de rencontres. De nos jours, les clubs qui viennent à Old Trafford se disent qu’ils peuvent gagner, alors qu’avant, ils se demandaient comment faire match nul".
Des mesures impopulaires pour résorber la dette des anciens propriétaires
Depuis le départ de Sir Alex, sept entraîneurs, sans compter les intérimaires, se sont succédé sur le banc mancunien. L’été dernier, malgré une campagne 2023-2024 désastreuse, Erik Ten Hag avait été prolongé, pour finalement être viré en octobre. Au poste de directeur sportif, les nouveaux dirigeants ont bataillé pour s’offrir les services de Dan Ashworth, ancien de Newcastle, en juillet, avant de trouver un "accord mutuel" de séparation en décembre. Sur le banc, ils ont finalement arraché Ruben Amorim au Sporting Portugal en pleine saison, pour un résultat de six défaites et 21 buts encaissés sur ses 11 premiers matchs.
La nouvelle direction, sous les ordres de Jim Ratcliffe, PDG d’Ineos et nouveau propriétaire depuis décembre 2023, avance à tâtons. L’homme le plus riche d’Angleterre a par exemple augmenté le prix des billets pour les abonnés et licencié 250 personnes, près d’un quart des effectifs du club. "Nous devons prendre des décisions difficiles et impopulaires", a-t-il reconnu en décembre auprès du fanzine United We Stand. Le club, devenu "médiocre", doit "économiser chaque livre" s’il veut retrouver sa gloire d’antan, a-t-il insisté. Old Trafford, lui, fuit carrément en cas de fortes pluies, signe que tout a fini par prendre l'eau dans ce qui était encore il y a peu le "Théâtre des rêves".
Mais imputer ce déclin de Manchester United à son nouveau propriétaire serait incorrect. La majeure partie des erreurs ont été commises par la famille Glazer, aux commandes du club entre 2005 et 2023. Ces Américains avaient racheté Man U grâce au modèle du "leverage buyout", des emprunts massifs mis au nom du club, resté endetté ensuite malgré une énorme croissance des revenus commerciaux.
Le club a aussi été le seul d’Angleterre à verser des dividendes à ses actionnaires. "En tout, la présence de la famille Glazer à la tête de Manchester United a coûté plus d’un milliard de livres, en additionnant dividendes (plus de 500 millions), intérêts payés aux créanciers et remboursement du capital", écrit Martine Benammar, consultante et chargée d’enseignements à l’EPF Paris-Cachan dans son article scientifique "La marque du maillot. Une histoire économique de Manchester United".
"Ils (les Glazer) ont incarné 10 ans de médiocrité en dehors et sur le terrain. Ils ont installé une culture de la cupidité, d’indiscipline, d’indécision et d’incertitudes qui ont traversé tout le club", fulmine Gary Neville, légende du club, cité par The Athletic. Le tout avec au poste de directeur général un ancien banquier, Ed Woodward, qui s’est chargé des transferts entre 2012 et 2022.
"Pendant des années, il n’y avait pas de directeur sportif à proprement parler. Ce n’était pas des personnes du métier qui géraient cet aspect-là, pointe du doigt Geoffroy Fisher. Pendant ce temps-là, Manchester City a commencé à gagner des titres, United n’a pas voulu être largué et a dépensé des millions pour acheter des gros joueurs. Ca n’a pas fonctionné. C’est ce qu’il s’est passé avec Jadon Sancho, Angel Di Maria, Edinson Cavani.
"Honnêtement, on aurait pu ajouter Messi à son meilleur niveau, je pense que ça n’aurait rien changé".
Geoffroy Fisher, secrétaire du Manchester United Supporters Club en Franceà franceinfo: sport
"Je m’en veux et j’en veux à Sir Alex Ferguson. Nous sommes partis trop tôt et c'est difficile pour les joueurs parce qu’ils n'ont plus d’exemple", regrettait Patrice Evra en octobre 2024 à BBC Sport. A l’été 2014, alors que le club venait de terminer 7e et donc non-européen pour la saison suivante, Manchester United avait vu de nombreux joueurs phares quitter le club, dont Patrice Evra, Rio Ferdinand, Nemanja Vidic, Nani ou Ryan Giggs.
Des entraîneurs qui héritent de joueurs non adaptés à leur projet de jeu
Pour les remplacer, le club n’a pas hésité à investir. Depuis 2019, il a ainsi dépensé un milliard et 122 millions d’euros sur le marché des transferts, d’après des chiffres du site spécialisé Transfermarkt, pour des résultats décevants avec des joueurs pas forcément adaptés pour les différents systèmes de jeu des entraîneurs qui se sont succédé.
C’est le cas de l’effectif actuel de Ruben Amorim, qui souhaite mettre en place le 3-4-3 avec lequel il a brillé au Sporting Portugal, mais qu’il n’a pas encore eu le temps de travailler suffisamment avec les Red Devils. "Il y a un vrai projet sportif avec une idée de jeu. On sait que ça va être une saison difficile, mais il ne faut pas vouloir le succès rapide, sinon on continuera dans le même schéma qui a échoué depuis des années en changeant d’entraîneur", soutient tout de même Geoffroy Fisher.
Pour entrevoir la lumière, les Mancuniens peuvent s’accrocher à leurs bons résultats en Ligue Europa, compétition dans laquelle ils pointent dans le top 8 après six journées. Avant peut-être de retrouver le succès en Premier League ? Les dirigeants ont évoqué un "Projet 150", qui vise à gagner le championnat pour les 150 ans du club, en 2028.
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