Élection à la présidence de la FFF : Noël Le Graët face à Frédéric Thiriez, le retour du combat des chefs
Ces dernières années, les apparitions de Frédéric Thiriez dans le monde du football s’étaient faites de plus en plus rares. C'est à peine si son nom était évoqué alors qu’il défendait les intérêts de Mathieu Valbuena dans l’affaire très médiatique dite de la sextape. Tout laissait à penser que l’avocat de profession, ancien énarque, en avait terminé avec le ballon rond après sa démission de la présidence de la Ligue de football professionnel (LFP) en avril 2016, après quatorze années de bons et loyaux services.
En avril 2019, le président de la République Emmanuel Macron l’avait chargé de réfléchir à la réforme de l’ENA. Une mission remplie et un rapport rendu en février 2020. Un an plus tard, Frédéric Thiriez se retrouve donc candidat à l’élection à la présidence de la Fédération française de football (FFF) après être réapparu dans le paysage du football à mesure que la crise sanitaire liée au Covid-19 venait frapper les clubs de l’Hexagone. Le 13 mars prochain, Thiriez affrontera Michel Moulin, également candidat, mais aussi et surtout Noël Le Graët, président de la FFF depuis 2011 et favori à sa propre succession.
Un duel passionnant entre deux hommes qui se connaissent de longue date et dont les piques lancées ces dernières années ont entamé la relation. L'une des plus connues : en octobre 2016, alors que Thiriez a démissionné quelques mois plus tôt et qu’il propose de venir en aide à une Ligue en proie au doute, Le Graët clôt le débat en déclarant à l’AFP : "Il est parti. Je ne suis pas certain que la Ligue ait besoin de lui aujourd’hui. (…) Il est parti en avril et il n’a pas été retenu par beaucoup". Ambiance.
Aux origines du mal
Pendant plusieurs années pourtant, "les relations entre Thiriez et Le Graët ont été empreintes de grande politesse", assure un ancien dirigeant de club de Ligue 1, qui connaît bien les deux hommes mais qui préfère garder l'anonymat. Le Graët, président de la FFF à partir de 2011, côtoie Thiriez, président de la LFP depuis 2002. Dans les années 1990, le premier, alors président de la Ligue nationale de football (le nom de la LFP à l’époque), convainc d’ailleurs le second de le rejoindre alors que celui-ci travaille comme avocat à la FFF.
Cette relation professionnelle est entamée par l’usure du pouvoir dans les années 2010 et par les fonctions qu’exercent les deux hommes au sein des deux instances les plus puissantes du football français. "Ça a pu chauffer entre les deux, mais ça fait partie du fonctionnement de notre football français", soutient l’ancien dirigeant de club. À l’été 2015, une crise éclate en effet entre la FFF et la LFP. La Fédération, garante de l’intérêt général du football français, et son président Le Graët, invalident une décision du conseil d’administration de la Ligue.
Le passage à deux montées et descentes et l’apparition d’un barrage dans les championnats sont bloqués par la Fédération, qui souhaite repousser d’un an son application, à la fin de la saison 2016-2017. Une trahison selon Thiriez, qui soutient avoir obtenu l’accord de Le Graët quelques semaines plus tôt. "La Fédération vient de prendre la lourde responsabilité de créer un conflit majeur avec la LFP. C’est une décision que j’estime illégale et grave pour l’avenir du football. (…) La FFF aurait tort de déclarer la guerre à la LFP", s'emporte le président de la LFP. "À ce moment-là, les tensions, c’est logique, parce que Thiriez, de par sa position, défendait le football professionnel", analyse l’ancien dirigeant qui avait assisté de près à cet épisode.
"Le Breton secret" face à "l'avocat brillant"
Mais Thiriez, qui dépose un recours devant le Conseil d’État, n’est soutenu que par les clubs de Ligue 1, ceux de Ligue 2 approuvant la démarche de Le Graët. La méfiance s’installe. "Les deux hommes sont extrêmement dissemblables, ça n’a pas aidé à régler le problème", juge un ancien cadre de la FFF qui a travaillé avec Thiriez et Le Graët et qui souhaite également conserver l'anonymat. D’un côté, "le Breton secret, manœuvrier, plutôt taiseux, ne goûtant pas l’exposition médiatique et encore moins les effets de tribune", et de l’autre, "l’avocat brillant, l’alpiniste aux goûts éclectiques." Les deux gros poissons du football français ne fraient pas dans les mêmes eaux et créent une forte tension entre la FFF et la LFP, à un an de l’Euro organisé en France.
"Il y a alors une défiance, un désamour, sans aller jusqu’à la haine, entre les deux. L’opposition est très forte", assure l’ancien cadre de la FFF. Face au blocage, Patrick Kanner, le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports de l’époque, intervient et dénonce dans L’Équipe ce "combat des chefs". Thierry Braillard, secrétaire d’État aux Sports assure dans France Football "qu’une structure ne sera pas victime [de ce clash, ndlr], c’est la Fédération". Car le ministère donne l’agrément et la mission de gérer le football à la FFF, qui missionne ensuite la LFP. "La sagesse voudrait que les présidents de la LFP n’oublient jamais cette clause statutaire qui les met dans une position de dépendance", insiste l’ancien cadre de la FFF.
Mais la confrontation persiste. Alors que le football français se demande s’il peut se permettre d’avoir deux présidents aussi influents, et qu’un rapport est déposé au Sénat pour clarifier la gouvernance du football, le Conseil d’État donne raison à la FFF sur les montées-descentes. Thiriez finit par démissionner en avril 2016, quelques mois après une énième pique de Le Graët lors d’une conférence de presse : "Quelqu’un a-t-il déjà parlé de football récemment à Frédéric Thiriez ? (…) Je prétends que 100% des journalistes considèrent que Thiriez n’y connaît rien en football. Et je ne discute qu’avec ceux qui connaissent le ballon." Quelques jours après cette déclaration, une assemblée fédérale glaciale voit les deux hommes s’échanger quelques amabilités.
Un rapport de forces déséquilibré
"Le Graët a ensuite naturellement pris le pas parce qu’il y avait moins de pouvoir à la Ligue après le départ de Thiriez", assure l’ancien dirigeant, avant de poursuivre : "Quand il y a des vides, on s’engouffre. C’est ce qu’a fait Le Graët." Le président de la FFF réaffirme même, en pleine crise sanitaire, qu’il est le patron du football français : fin mai 2020, le Breton oppose son veto au projet de la LFP de passer à 22 clubs en Ligue 2, et annonce fin avril, sans avoir consulté la Ligue, l’annulation de la fin des championnats. "Peut-être qu’avec Thiriez président de la LFP, on n'aurait pas arrêté le football en mars", précise l’ancien dirigeant, qui souligne la faiblesse de la Ligue depuis plusieurs années.
C’est d’ailleurs l’un des piliers du programme de Thiriez, qui a affirmé dernièrement vouloir rendre son autonomie à la LFP, dorénavant dirigée par son grand ami, Vincent Labrune. L'homme de 68 ans va aussi et surtout axer sa campagne sur le football amateur, en s’attaquant au bilan de Le Graët sur le sujet. L’actuel président de la FFF, qui aura 80 ans en décembre prochain souhaite enchaîner un quatrième mandat. Pour bloquer Thiriez ? "Je n’y crois pas", indique l’ancien cadre de la FFF. "Déjà, en 2015, il m’avait dit qu’il ne se représenterait pas et finalement il y est allé. Le Graët fuit la retraite avec ses déplacements à Paris, sa très chère équipe de France. C’est pour ça qu’il y va, pas pour faire blocage à Thiriez."
Dorénavant, c’est sur le terrain électoral que les deux vont s’affronter. Mais en opposant chacun leurs propres mesures, Le Graët et Thiriez ayant indiqué qu’ils ne feraient pas campagne spécifiquement l’un contre l’autre. Pas si sûr, selon l’ancien cadre de la FFF : "Je ne saisis pas bien pourquoi Thiriez souhaite briguer ce genre de mandat, ces responsabilités. A-t-il une revanche à prendre sur le Graët ? Et si c’est le cas, est-il vraiment en mesure de le faire ?" Résultat ce samedi 13 mars.
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