Non, l'équipe de France n'a pas encore gagné un nouveau Zidane
La nationalité est un concept très flou dans le football. Enzo Zidane, convoité par les sélections française et espagnole, n'en est que l'exemple le plus médiatique.
Zidane avec le maillot de l'équipe de France, c'est une image que les fans des Bleus attendent depuis longtemps. Pas Zinedine, mais son fils Enzo, 18 ans, qui effectuera une batterie de tests physiques à Clairefontaine du 3 au 5 mars. "C'est Enzo qui nous a fait part de son désir de porter le maillot bleu. Ça part de lui", confie le sélectionneur des moins de 19 ans, Francis Smerecki, à L'Equipe.fr. De là à imaginer qu'à nouveau, un Zidane porte le numéro 10 en équipe de France, il y a un gouffre. D'abord parce qu'Enzo Zidane, approché par la sélection espagnole quand il avait 16 ans, peut encore changer d'avis. Et quand il s'agit de récupérer des joueurs pour l'équipe nationale, tous les moyens sont bons.
Enzo Zidane, enfant de la mondialisation du foot
Etre sélectionné en équipe de jeunes n'est absolument pas une garantie de finir en équipe de France. D'abord parce que le chemin est long et que bon nombre d'espoirs ne percent pas au plus haut niveau, et aussi parce qu'un joueur peut effectuer ses classes en équipe de France U16, U19, U21, avant de rejoindre une autre sélection, une fois qu'il a 21 ans. "Nous avons fait une étude sur 30 joueurs sélectionnés dans les équipes nationales tricolores de jeunes. Sur ces 30, il y en a quinze qui terminent dans une autre sélection que la France, explique Loïc Ravenel, chercheur au Centre international d'études du sport, contacté par francetv info. Le phénomène est significatif en France, beaucoup plus marginal dans les autres pays."
Prenez Enzo Zidane, né à Bordeaux d'un père français et d'une mère franco-espagnole. L'enfant fait un bref passage à Turin pendant que son père évolue à la Juventus, puis le suit à Madrid, où il s'établit durablement. "Les footballeurs sont des populations hypermigrantes, poursuit Loïc Ravenel. Avec la croissance de la libre circulation des joueurs, on multiplie les potentialités." Prenez le nouveau phénomène du football européen, Adnan Januzaj, 18 ans, qui joue à Manchester United. Pas moins de sept sélections sont sur les rangs pour le récupérer. Il faut dire qu'il est né en Belgique, de parents kosovar et albano-croate, avec des grands-parents serbes et turcs pour compliquer le tout. Reste l'Angleterre, qui rêve d'obtenir sa naturalisation si le joueur reste sur le sol britannique jusqu'en 2018. Et qu'en pense le jeune prodige ? Pas grand-chose, en fait. "Si mon père me dit 'joue pour telle équipe', je le ferai", lâche-t-il au Daily Telegraph (en anglais). Sauf que ce dernier veut que son fils joue pour le Kosovo, fédération non-reconnue par la Fifa, d'après La Dernière Heure. "Il nous reste beaucoup de temps pour penser à tout ça", conclut Abedin Januzaj.
"Un pays va bientôt faire signer des joueurs"
Au Brésil, le joueur est devenu un produit d'export, pour les clubs étrangers mais aussi pour les sélections nationales. Diego Costa, l'attaquant vedette de l'Atletico Madrid, a choisi d'évoluer sous les couleurs espagnoles - où la place de titulaire paraît dans ses cordes - plutôt qu'au Brésil, son pays natal... dont il n'a porté les couleurs qu'en match amical. Un match amical, ça ne compte pas, précise le règlement de la Fifa (PDF, p.62). En représailles, le Brésil envisage de déchoir Diego Costa de sa nationalité, rapporte O Globo (en portugais). "Bientôt, un pays va carrément faire signer vingt joueurs et bâtir ainsi son équipe nationale", fulmine le sélectionneur brésilien Luiz Felipe Scolari, cité par le site spécialisé Inside Spanish Football (en anglais).
Bientôt ? Non, maintenant. L'année dernière, le Cameroun a envoyé une délégation de plusieurs membres de la fédération pour tenter de séduire des joueurs évoluant en France comme Samuel Umtiti (Lyon) ou Paul-Georges Ntep (Rennes). L'Indonésie a ratissé le championnat des Pays-Bas, l'ancien colonisateur, à la recherche de la perle rare, rapporte le Jakarta Globe (en anglais). L'argument du temps de jeu revient souvent, comme le reconnaît le sélectionneur du Sénégal, Amara Traoré, dans un entretien à Afrik.com : "Pourquoi jouer un ou deux matchs en équipe de France, par exemple, plutôt que cinquante ou soixante avec la Côte d’Ivoire ?"
Sélectionneur et aussi chasseur de têtes
Amir Abdou, sélectionneur des Comores, a eu la lourde tâche de rebâtir une équipe à partir d'une feuille blanche, sa fédération sortant d'une mise en sommeil de quelques années. "Ça a été un travail de longue haleine, explique-t-il à francetv info. J'ai contacté des joueurs en France : en Ligue 1 [notamment le gardien de Toulouse Ali Ahamada, l'arrière d'Evian-Thonon-Gaillard Kassim Abdallah], en Ligue 2, en National, mais aussi dans d'autres pays. J'en ai même un à Chypre. Je ne me suis pas déplacé pour tous les joueurs à l'étranger, mais je les ai eus longuement au téléphone. Et j'ai eu dans l'ensemble des réponses positives."
Il y a vingt ans, une telle tâche aurait relevé de la gageure. Mais depuis, internet est passé par là : on y trouve des bases de données considérables (comme le site Transfermarkt, qui fait autorité) et des sociétés décortiquent jusqu'au plus confidentiel des championnats de jeunes. Les Comores ne comptent pas rester longtemps à la 198e place du classement Fifa, qu'elles partagent avec Andorre. "Au total, j'ai trouvé une quarantaine de joueurs comoriens en France susceptibles d'intégrer la sélection, sans parler de ceux que j'ai repérés, toujours en formation, poursuit Amir Abdou. On dispose d'un réservoir plus vaste que celui du Cap-Vert, qui s'est bien qualifié pour la Coupe d'Afrique des nations. Alors pourquoi pas nous ?" "On paye d'une certaine façon notre savoir-faire, renchérit Jean-Luc Ruty, directeur du centre de formation du FC Sochaux, joint par francetv info. Si un joueur n'a pas la qualité pour briller avec les Bleus, il peut avoir largement le niveau pour une autre sélection."
Jordi Cruyff, l'autre "fils de" binational
Si Enzo Zidane a des doutes, il pourra toujours demander conseil à l'unique fils de star de foot qui s'est déjà trouvé dans son cas : Jordi Cruyff, fils de Johan, triple Ballon d'or dans les années 1970. Né à Amsterdam, mais transféré à Barcelone en même temps que son père, le fils du prodige sera sollicité par les sélections néerlandaise et espagnole. A 20 ans, en 1994, il explique dans El Pais (en espagnol) qu'il "n'est pas prêt pour choisir" entre les deux. Diplomate, il coupera la poire en deux, en disputant neuf matchs (oubliables) avec les Pays-Bas en 1996, et neuf autres avec la sélection catalane de 1995 à 2004, non-reconnue par la Fifa.
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