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Mort de Pelé : de vitrine de la dictature à ministre, un destin politique paradoxal

Au Brésil, Pelé a très vite dépassé le cadre du simple joueur de football, jusqu'à devenir ministre dans les années 1990.
France Télévisions - Rédaction Sport
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Pelé aux côtés de Lula, président du Brésil, le 26 juin 2008. (JOEDSON ALVES / AFP)

On peut être roi sans régner. Sacré par le peuple brésilien O Rei pour ses prouesses ballon aux pieds, Pelé avait une influence bien en dehors des terrains dans son pays natal. A plus d'une occasion, son football a pris une dimension politique, qu'il en soit conscient ou pas. A tel point que lors de sa retraite sportive, le plus célèbre des numéros dix a été nommé ministre des Sports, élaborant même une loi à son nom.

L'histoire politique de Pelé a toutefois démarré dans l'ombre : celle de la dictature de la junte militaire, au pouvoir de 1964 à 1985. Sous son joug, le joueur de Santos, déclaré "trésor national non exportable" en 1961, n'a jamais pu quitter le Brésil pour jouer en Europe. Même si son club de Santos était alors l'un des meilleurs au monde, et que le roi a souvent justifié son immobilisme par l'amour de son pays. Du genre taiseux sur le sujet, Pelé a toujours ménagé la junte militaire dans ses sorties, de sorte qu'on n'a jamais su s'il était un allié ou un prisonnier de la dictature.

Quatre ans au ministère des Sports

Souvent dépeint comme un instrument de propagande pour la dictature, Pelé avait fini par sortir de son silence sur le sujet en 2021, dans un documentaire Netflix : "Je ne crois pas que j'aurais pu agir différemment, je ne suis pas un surhomme ou un faiseur de miracles. J'étais une personne normale à qui Dieu avait permis de jouer au foot. Mais je suis absolument certain que j'ai fait bien plus pour le Brésil avec mon football que bien des hommes politiques payés pour le faire."

Toujours est-il qu'en 1995, après avoir été nommé ambassadeur de l'ONU, de l'UNICEF et de l'UNESCO, et multiplié les actions humanitaires, Pelé s'est engagé politiquement pour son pays. Déjà approché par plusieurs présidents, il accepte cette fois l'offre du social-démocrate de droite Fernando Henrique Cardoso. Sans étiquette politique, Pelé devient ministre des Sports, à la tête d'un ministère enfin séparé de l'Education. Et son projet est clair : réformer en profondeur le trésor national qu'est le football.

"D'abord, je voulais que les clubs se constituent en sociétés, gérées avec transparence et dans le respect de l'éthique. Ensuite, je voulais rendre les joueurs brésiliens maîtres de leur carrière, de manière, par exemple, à ce qu'en fin de contrat leur club ne puisse conserver aucun droit sur eux."

Pelé

dans son autobiographie

La bonne volonté du roi se heurte cependant à la fronde de ses anciens fidèles, menée par le président de la fédération brésilienne de football, et gendre de Joao Havelange, alors président de la Fifa : Ricardo Texeira. Tout puissant au pays du futebol, le lobby du ballon rond mine le projet de loi de Pelé, et ses quatre années au ministère des Sports. La loi Pelé, finalement adoptée en 1998, se trouve vidée d'une large partie de sa substance initiale.

O Rei se contente d'importer l'arrêt Bosman au Brésil, en incorporant les contrats de joueurs au régime général du travail. Concrètement : les joueurs et leurs agents reprennent la main sur leur avenir, auparavant scellé par le club. Appliqué dès 2001, le texte permet par exemple à Ronaldinho de rejoindre le PSG à l'été 2001, en provenance du Gremio Porto Alegre.

En 2014, Pelé émettra toutefois des regrets sur sa loi, qui a accéléré la fuite des talents vers l'Europe, et donc l'affaiblissement du football brésilien, tout en renforçant le pouvoir des agents. S'il s'est retiré de la vie politique le 1er janvier 1999, quatre ans jour pour jour après sa nomination, le roi s'est depuis souvent exprimé sur des sujets sociétaux. Proche de Lula, il n'a jamais soutenu Jaïr Bolsonaro, a dénoncé le racisme à maintes reprises, rendu hommage à la reine Elizabeth ou encore exhorté Vladimir Poutine à mettre fin à la guerre en Ukraine. Preuve que derrière l'icone se cachait aussi un citoyen impliqué dans la vie de son pays, et concerné par les enjeux contemporains. 

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