Poutine, racisme et grosses combines : bienvenue au Zenit Saint-Petersbourg, l'adversaire de Monaco
Le club de la principauté joue son match décisif de Ligue des champions face à un club qui a une riche histoire. Trop riche ?
Le surnom du Zenit Saint Petersbourg, c'est toujours "Bomzhi", "les clochards" en français. L'époque où leurs supporters squattaient les gares moscovites après les déplacements dans la capitale, faute d'avoir les moyens pour passer la nuit à l'hôtel. Mais l'équipe contre qui l'AS Monaco joue sa qualification en 8e de finale de la Ligue des champions, mardi 9 décembre, n'a plus grand chose à voir avec les démunis. Récit de la métamorphose d'un club qu'on appelle maintenant "le Chelsea russe".
Un match sous les bombes nazies
Le Zenit Saint Petersbourg, c'est d'abord un club 100% stalinien. Fondé en 1925 par les ouvriers métallurgistes de Léningrad (le nom de la ville pendant la période soviétique), les joueurs répondent au doux surnom de "Stalinets". Principal titre de gloire, à défaut du moindre trophée jusqu'en 1984 : l'incroyable match du blocus. En plein Leningrad, assiégée par les Nazis de 1941 à 1944, se tient un improbable match entre le Zenit et le Dynamo Leningrad. Les deux équipes éprouvent les pires difficultés à rassembler onze joueurs, entre ceux qui ont fui et ceux qui ne sont pas en état de jouer. Hagards, affamés, les joueurs tiennent à disputer un vrai match de 90 minutes. "Le terrain me paraissait immense, mes jambes répondaient bizarrement", se souvient Vladimir Frolov dans The Observer (en anglais). Le match, retransmis en direct à la radio, se déroule pendant un bombardement, sans que les joueurs quittent le terrain. L'équipe rassemblant les joueurs du Zenit l'emporte 6-0.
Voilà pour l'histoire glorieuse du Zenit au XXe siècle. L'autre fait marquant de l'histoire du club se déroule en 1967. Cette année-là, le Zenit est relégué sportivement en deuxième division. Sauf que se priver de la ville berceau de la révolution bolchévique l'année de son cinquantième anniversaire ferait désordre. Résultat : les autorités soviétiques maintiennent d'autorité le club dans l'élite en augmentant le nombre de clubs dans le championnat.
Poutine et Medvedev comme fan-club
Le Zenit devient vraiment un club qui compte en 2005, grâce à un tour de passe-passe. Le géant du gaz Gazprom rachète son concurrent Sibneft, qui sponsorise généreusement le CSKA Moscou. Logiquement, Gazprom aurait dû continuer son partenariat avec le club moscovite. Mais, curieusement, l'entreprise détenue par le Kremlin décide de lâcher le CSKA pour investir dans le Zenit. "Un choix politique", constate un analyste financier, cité dans le Saint Petersburg Times (en anglais). Au plus haut niveau de l'Etat, on a influencé cette décision. Vladimir Poutine est né à Saint-Petersbourg, comme son actuel premier ministre Dmitri Medvedev, fidèle supporter du club. "Même si le président n'est pas un grand amateur de football, il apprécie de voir le club de sa ville régner sur la Russie", souligne un homme d'affaires moscovite, cité dans le livre Football Dynamo (en anglais).
Avant, l'entraîneur du club de l'époque, Vlastimil Petrzela, s'était résigné à la domination écrasante de la capitale : "les clubs de Moscou ne nous laisseront jamais gagner". Avec l'arrivée de Gazprom, les choses changent vite. Surnommé le "Chelsea russe" en raison de l'épaisseur du compte en banque du propriétaire, le Zenit décroche son premier titre de champion deux ans plus tard. Pour les emmener défier le FC Saturn pour le match décisif, les joueurs embarquent dans un avion doré. La saison suivante, en 2008, le club remporte sa première coupe d'Europe, la coupe de l'UEFA face aux Glasgow Rangers en finale. Comme le remarque The Guardian (en anglais), les joueurs de Glasgow s'étaient vu promettre 63 000 euros de prime de victoire. Une bagatelle à côté des sommes en jeu côté russe : 500 000 euros pour avoir atteint la finale, et 650 000 supplémentaires en cas de victoire.
Le stade qui valait un milliard
Le palmarès du club s'est étoffé depuis (deux nouveaux titres), ses casseroles aussi. En novembre 2008, un parrain russe explique avoir acheté la demi-finale retour de la coupe de l'UEFA, où le Zenit rencontrait le Bayern Munich : l'outsider russe avait pulvérisé le grand favori de la compétition 4-0. Manque de chance : il était sur écoute. L'affaire, révélée par le journal espagnol El Pais, fait grand bruit, mais l'enquête ne débouche sur aucun autre élément concret. Plus embarrassant, le témoignage du défenseur norvégien Erik Hagen (au club de 2005 à 2008) sur l'achat d'un match de coupe d'Europe. "On recevait d'énormes bonus pour nos victoires européennes - 10 000 euros, dénonce Hagen dans le tabloïd norvégien Verdens Gang. Avant le début du match, on nous a dit d'en donner chacun 2 000 à l'arbitre. Je me suis levé, et j'ai protesté : 'c'est n'importe quoi ! On est nettement meilleurs que nos adversaires, de toute façon'. Les joueurs ont quand même donné l'argent."
Le club a montré qu'il ne regardait pas à la dépense en lâchant 100 millions d'euros sur l'attaquant brésilien Hulk et le milieu belge Witsel en deux heures, le dernier jour du marché des transferts de l'été 2012. C'est encore plus vrai avec le dossier de son stade de 60 000 places. La date de livraison a été repoussée 19 fois (série en cours), et la facture a été multipliée par trois en sept ans. Au dernier pointage, cet écrin de 60 000 places qui ressemble à un vaisseau spatial et qui sera relié au centre-ville par un téléphérique va coûter un petit milliard d'euros. La moitié de ce qu'ont coûté les douze stades bâtis ou rénovés par l'Allemagne pour la Coupe du monde 2006.
"Il n'y a pas de noir dans les couleurs du Zenith"
L'image du Zenit pâtit aussi du comportement détestable de ses supporters, dont l'Europe entière a découvert le racisme lors d'un déplacement de l'OM à Saint-Petersbourg, en 2008. Plusieurs joueurs noirs olympiens ont été pris à partie par des supporters déguisés en membres du Ku Klu Klan.
Nouvel épisode en 2012, avec la lettre ouverte d'un groupe d'ultras du club, demandant aux dirigeants de ne pas recruter de joueur noir ou gay. Face à un tel public, les dirigeants ont longtemps été complaisants. Ainsi l'entraîneur Dick Advocaat, en 2007, cité par la BBC : "J'aimerais faire signer au club des joueurs noirs, mais les fans ne les aiment pas. Pour moi, il n'y a aucune différence entre un joueur blanc, noir ou rouge. Mais les fans sont le bien le plus précieux du Zenit. C'est pour ça que je dois demander leur avis avant de signer un joueur de couleur. S'ils refusent, je ne le prendrai pas."
Lors de la signature du défenseur portugais Bruno Alves, la première réaction des fans n'a pas été de se réjouir de cette nouvelle recrue. "Faites un tour sur les forums de supporters, soupire Artur Petrosyan, rédacteur en chef du site Sport-express.ru, cité par ESPN (en anglais). "Les gens ne débattent que pour déterminer s'il est assez blanc pour jouer au Zenit." Un temps pressenti au Zenit, le milieu international français Yann M'Vila a renoncé à signer au club à cause de menaces de mort, rapporte Russia Today. Le club a depuis entamé des mesures pour endiguer ce fléau, en s'associant au rappeur Noize MC pour une chanson baptisée "Pushkin Rap" et en recrutant deux joueurs de couleur (Hulk et Witsel).
Le refrain :
"Tu fusilles du regard ceux qui ne te ressemblent pas
Tu marmonnes quelque chose sur la vraie culture russe
Voilà une réponse de cette même culture russe
Oseras-tu dire que Pouchkine n'est pas un poète russe ?"
Argument massue : le fils chéri de Saint-Petersbourg, le grand poète Alexandre Pouchkine, pierre angulaire de la littérature russe, avait un arrière-grand père noir. Pas sûr que l'argument porte : la même année, des supporters du Zenit ont réalisé un tag de 50 mètres de long sur les bords de la Neva, avec écrit : "il n'y a pas de noir dans les couleurs du Zenit".
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