EDITO : la VAR en Premier League, d'assistance à assistés
Ne dites plus d’un joueur qu’il était hors-jeu d’un cheveu, mais d’un pixel. Le principal acteur du week-end de Premier League ne se situait pas sur le terrain mais bien au chaud dans un camion-régie. L’assistance vidéo, la fameuse VAR, s’est distinguée à plusieurs reprises lors de la 20e journée par son zèle pour annuler des buts que l’œil humain n’avait pas jugé illicite. C’est son boulot après tout, nous direz-vous. Son principe est bien de prêter main forte à l’arbitre quand une situation incertaine peut faire basculer une rencontre de football. Mais samedi et dimanche dernier, elle a surtout montré toute l’étendue de son absurdité quand elle est utilisée pour faire du sport une froide réalité de millimètres plutôt qu’une histoire d’émotion et de bon sens.
Reprenons par la base. La VAR ou Video Assistant Referee est un dispositif lorsqu’un incident "a été identifié comme pouvant changer un match", comme l’explique la FIFA dans ses documents officiels. Elle ne peut être utilisée que dans des situations bien précises (but, penalty, carton rouge et l’identité d’un joueur ou d’une joueuse) à l’initiative de l’arbitre principal pour vérification, ou sur recommandation de cet arbitre vidéo qui a constaté une situation litigieuse. Ça, c’est pour la règle, implacable. Et puis il y a l’esprit. Et c’est là que le bât blesse.
A mort le jeu
A cinq reprises samedi et dimanche dans le championnat d’Angleterre, la VAR a annulé des buts que les arbitres de terrain n’avaient pas signalé pour des positions de hors-jeu tellement peu évidentes que quatre paires d’yeux n’y ont vu que du feu sur le pré.
• Brighton – Bournemouth (2-0) : but refusé à Dan Burn (Brighton)
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• Norwich – Tottenham (2-2) : but refusé à Teemu Pukki (Norwich)
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• Liverpool – Wolverhampton (1-0) : but refusé à Pedro Neto (Wolverhampton) pour un hors-jeu préalable de Jonny
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• Manchester City – Sheffield (2-0) : but refusé à Lys Mousset (Sheffield)
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• Southampton – Crystal Palace (1-1) : but refusé à Max Meyer (Crystal Palace) pour un hors-jeu préalable de Wilfried Zaha
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Cinq buts invalidés à grands coups de traits sur nos écrans, comme si le fait que la rétine ne puisse pas disséquer pareille situation avec la précision d’un double décimètre était une erreur.
C’était pourtant tout sauf une des intentions premières de l’IFAB, le board des règles du football qui propose des évolutions de règlements afin de faire évoluer le ballon rond, et un des premiers instigateurs de l’arrivée de cette technologie au bord des terrains. Sur son site, l’organisation définit la "philosophie" et le "but" de cet outil comme "n’étant pas d’arriver à 100% de précision dans toutes les décisions, de même qu’il n’y a aucun désir de détruire la dynamique et les émotions du football. […] La décision de l’arbitre ne peut être changée que si le ralenti montre une erreur manifeste, que la question n’est pas de savoir si la décision était correcte, mais si elle était clairement fausse." De ces intentions, à l’origine tout à fait louables, la Premier League en est devenue le contre-exemple parfait.
Sur les cinq situations litigieuses du week-end anglais, ces prétendues erreurs manifestes, mises bout à bout, devaient représenter la longueur d’un avant-bras. Le problème n’est pas tant de savoir s’il y avait bien hors-jeu sur ces différentes situations, ce qui semble bien parfois être le cas pour quelques millimètres. Mais bien de savoir si tout cela est bien au nom du jeu. Et non pour devenir une parodie de cours de géométrie dans l’espace.
Libre arbitre, où es-tu ?
La VAR devait être, comme son libellé l’indique, une assistance. Elle est devenue par son utilisation systématique un substitut. La vidéo devait à son origine lever des doutes ou corriger des injustices. Mais on ne voit plus ces derniers temps les arbitres vérifier sur le terrain une incertitude, mais plutôt être téléguidés à distance par une aide technique extérieure.
"Je ne veux pas mentionner le VAR. La seule chose que je veux dire, c’est que les décisions sont prises par un arbitre à des kilomètres du stade en train de regarder un écran de télévision, et qui n’a aucun ressenti du match", a réagi Nuno Espirito Santo, coach lésé de Wolverhampton dimanche.
La vidéo n’est pas en réalité le nœud de la discorde, on ne s’en plaint pas d’ailleurs quand elle révèle avec justesse des situations mal jugées dans un premier temps. Mais à être la raison d’une décision, plutôt qu’un support, elle a créé dans l’Europe toute entière, et en particulier de l’autre côté de la Manche, une génération d’hommes en noir frileux, pendus aux lèvres de la vidéo et de ses arrêts sur image. Le libre arbitre n’a ainsi jamais aussi mal porté son nom. La pression d’une erreur ou des notations fédérales sont autant d’explications à cette tendance qui ne semble faire que grandir. Mais elles risquent aussi de tuer le jeu à pas si petit feu.
"Un minimum d’interférence pour un maximum d'avantage"
Alors qu’elle ne devait apporter que la clarté et l’irréfutable, la vidéo devient synonyme de frustration. Il n’y a rien d’étonnant alors qu’un des chants les plus populaires cette saisons dans les travées de l’Albion soit "It’s not football any more" , en V.F., "ce n’est plus du football". "C’est un bazar monstre" confirme Pep Guardiola, qui a pourtant vu la VAR empêcher son équipe d’être menée 1-0 dimanche par Sheffield. "Il n’y a pas de preuves concluantes, rien que des angles et des lignes floues" s’est lamenté son vis-à-vis de United Chris Wilder.
S’il n’existe aucune solution magique, le football reste un sport d’hommes et donc soumis à l’erreur. L’application de l’arbitre vidéo doit être revue, voire repensée. Ce même dimanche à des milliers de kilomètres de là, l’Australie en a montré une version bien plus convaincante. Dans un match entre le Sydney FC et le Melbourne City, un tacle dangereux a entraîné l’utilisation de la VAR à la suite d’une recommandation faite par l’arbitre vidéo dans l’oreillette de l’arbitre principal. La séquence a été diffusée après la rencontre aux téléspectateurs de la chaîne Fox Sports.
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Communication, échange, vocabulaire simple et précis et transparence pour une décision limpide et qui n’aura pris qu’une minute à être prise. Après avoir été précurseur en étant le premier championnat à utiliser la vidéo dès 2017, l’A-League est peut-être aussi pionnière dans l’équilibre entre les bienfaits de l’image pour servir le jugement de l’arbitre. Après tout, un des autres préceptes de l’IFAB au moment d’expliquer l’esprit de la VAR était "un minimum d’interférence pour un maximum d’avantage."
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