Déménagement du PSG : avis de tempête dans un village des Yvelines
Alors que le club parisien lorgne un terrain de 300 hectares à Thiverval-Grignon, la communauté scientifique se mobilise pour défendre le site.
Une odeur de lait chaud et de fumier s'échappe de la salle de traite. Dans quelques minutes, en cette fin d'après-midi, jeudi 17 décembre, les 150 vaches de la ferme de Grignon (Yvelines) défileront dans le hangar, pour la deuxième traite du jour. En attendant, un groupe de scolaires parcourt cette exploitation de recherche appliquée de l'école AgroParisTech. A la fin de la visite, direction la boutique, pour acheter du lait, du beurre et des yaourts produits sur place. Une offre limitée. Dans quelques années, la boutique pourrait plutôt vendre des maillots, des peluches et du shampoing aux couleurs du Paris Saint-Germain.
Actuellement installé à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), le club de foot du PSG aurait, selon Le Parisien, choisi de déménager son centre d'entraînement et son centre de formation à Thiverval-Grignon, sur le site abritant AgroParisTech. La prestigieuse école d'ingénieurs doit en effet s'installer, en 2019, sur le futur pôle scientifique Paris-Saclay, laissant libre un terrain de près de 500 hectares.
Un château du XVIIe siècle et 18 terrains de foot ?
Le domaine de Grignon a de quoi séduire. Derrière un vieux mur d'enceinte de 7 km de long, un château de style Louis XIII est entouré d'un parc de 291 hectares, doté notamment d'un jardin à l'anglaise et d'un arboretum. Y ont été édifiés les bâtiments d'enseignement et d'administration d'AgroParisTech, ainsi qu'un gymnase et des résidences étudiantes. En dehors des murs, des terres agricoles dédiées à l'élevage, aux cultures et à la ferme expérimentale de la grande école complètent le domaine.
Pas question pour autant de s'entraîner sur un champ de patates. Le PSG a prévu un budget pharaonique de 300 millions d'euros pour son futur camp de base, qui, selon Le Parisien, comprendra 18 terrains, un stade de 5 000 places et un parking pouvant accueillir 1 000 véhicules. Les joueurs professionnels pourraient occuper une première partie du site dès 2017.
Plus de 5 000 opposants au projet
Si l'annonce officielle du déménagement n'est attendue que début 2016, un vent de colère souffle déjà au cœur de la plaine de Versailles. En trois semaines, une pétition en ligne demandant à l'Etat, propriétaire du site, de ne pas vendre "le fleuron de l'agronomie française" a recueilli plus de 5 000 signatures. "Vendre notre plus beau patrimoine au Qatar", propriétaire du PSG, est "une énorme faute", dénonce le texte.
Joint par francetv info, l'initiateur de la pétition, Léonce Vilbert, 85 ans, dit avoir agi à titre collectif en tant que "doyen des délégués de promotion" d'AgroParisTech, anciennement Institut national agronomique. "Ce site a été choisi en 1829 par l'entourage de Charles X pour la qualité et la variété de ses terres, raconte l'ancien élève. Le legs du site à la société royale d'agronomie par Charles X était conditionné à une activité d'enseignement. Deux siècles plus tard, ne nous privons pas du potentiel de ce site, ou alors, après la COP21, faisons-en un centre de recherche international sur le réchauffement climatique."
Tandis que d'anciens élèves de Grignon envisagent un sit-in en janvier, la mobilisation s'étend. La chambre d'agriculture d'Ile-de-France a publié, lundi, un communiqué contre le projet du PSG, jugé incompatible avec la "préservation" des terres agricoles. L'association Yvelines Environnement, tout aussi inquiète de la vente de ce "bijou de famille" patrimonial, a, elle, livré un texte de sept pages, dès septembre. "Le domaine abrite des arbres centenaires remarquables", explique sa présidente, Christine-Françoise Jeanneret, à francetv info.
"Le site fossilifère le plus riche au monde"
A son tour, le conseil scientifique régional du patrimoine naturel d’Ile-de-France, une instance consultative officielle, est entré dans la fronde, le 26 novembre, en signant une motion à valeur d'avertissement. "Grignon est le site fossilifère le plus riche au monde, avec plus de mille espèces fossiles marines, exceptionnellement bien conservées", alerte le géologue Jean-Pierre Gély, coauteur de la motion, contacté par francetv info.
"Emblématique de l'histoire des sciences, berceau des principes de l'évolution avant Darwin", Grignon a donné son nom à plusieurs espèces fossiles et même à la période géologique du Lutétien (entre il y a 41 et 48 millions d'années). "La communauté scientifique nationale et internationale est préoccupée par le projet du PSG", assure Jean-Pierre Gély, qui demande une "clause de sauvegarde" pour que ce patrimoine soit "protégé et valorisé", en cas de rachat par le club de football.
De la "racaille" au village ?
Contacté par francetv info, le PSG a refusé de s'exprimer sur le sujet. La mairie de Thiverval-Grignon joue aussi la carte de la discrétion. "Tout le monde s'affole, alors que rien n'est encore signé, ni même, à ma connaissance, vraiment décidé", indique le maire, Rémi Lucet, à francetv info.
Dans les rues paisibles de ce village aisé de 1 000 âmes, les habitants sont dans l'expectative. "Moi, je ne veux juste pas que cela nous ramène de la racaille et je souhaite qu'on puisse encore accéder au parc", confie "franchement" Christian Pains, président de l'association locale Sports Culture et Loisirs. Il est attentif à l'"importante manne financière qatarie", mais préférerait un pays "plus démocratique".
Dans la partie basse du village, au fond du bois, côté Thiverval, on se sent davantage à l'abri des éventuelles nuisances. "Sachant que 70% des terres de la commune vont de toute façon changer de mains, le projet du PSG a le mérite de sauver des espaces verts, plutôt qu'un promoteur immobilier", estime Guillaume Barral, un informaticien de 49 ans.
"Les footeux peuvent protéger le village d'éventuelles barres HLM", abondent ses voisins retraités, Charlotte et Thierry Pinte. Au pire, "on verra quelques Ferrari venir se paumer dans le village". Au mieux, les propriétaires qataris offriront une seconde jeunesse au château de Grignon, qui n'avait jamais connu une telle bataille.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.