Foot : comment la France peut (enfin) rendre la Ligue 1 séduisante en Chine
Le match Nice-PSG a été avancé à 13 heures, dimanche, pour tomber pendant le prime time chinois. La suite d'une série d'expérimentations du championnat de France, en retard sur ses concurrents européens dans la conquête de l'Empire du milieu.
C'est un petit pas pour la Ligue 1, mais peut-être une révolution à venir. Dimanche 18 mars, la rencontre Nice-PSG n'est pas programmée à 14 heures, horaire habituel du match du début d'après-midi, mais à 13 heures. Si cette heure ne fera qu'avancer les engueulades lors du repas dominical chez belle-maman dans l'Hexagone, elle a l'immense avantage de correspondre au prime time chinois. Il sera en effet 21 heures à Pékin, à Shanghai ou à Canton, les nouvelles cibles de notre championnat, qui accuse un sérieux retard sur la concurrence. Mais les solutions pour inverser la tendance existent et les clubs français s'y penchent de plus en plus.
Investir sans tarder le marché
Pour l'instant, l'idée de croiser des locaux vêtus du maillot de Dijon ou de Bordeaux place Tian'anmen peut sembler saugrenue, tant les clubs anglais de Premier League trustent le marché. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas une place à se faire pour la Ligue 1. "Les championnats occidentaux doivent croître pour survivre. Quand votre marché intérieur est saturé, comme c'est le cas en Allemagne ou en France, vous n'avez pas d'autre solution que d'aller chercher des relais à l'international, explique Sascha L. Schmidt, professeur de marketing sportif, spécialiste de la prospective. Et la Chine, c'est le marché à investir maintenant. Alors qu'il est à peine mature, il pèse déjà neuf fois plus que le marché allemand." Et les perspectives sont très alléchantes.
Chaque fan de football chinois dépense en moyenne 15 euros par an pour sa passion, bien moins que son homologue européen. La part de son portefeuille dévolu au football va mécaniquement croître dans les années à venir.
Sascha L. Schmidt, professeur de marketing sportifà franceinfo
En revanche, s'il n'est pas trop tard pour se lancer dans l'aventure – la Ligue de football professionnel a d'ailleurs ouvert un bureau à Shanghai l'an passé –, le temps presse. Chaque année, le rapport Red Card quantifie la pénétration des clubs européens en Chine, et distribue bons points et bonnet d'âne par championnat. Pour 2017, la Bundesliga allemande est créditée de 90 points, devant la Premier League anglaise (56), la Liga espagnole (26) et la Ligue 1... avec 3 points. Celle-ci échappe au bonnet d'âne, dont hérite la Série A italienne, même pas présente dans le classement.
Passer à la télé avant 3 heures du matin
Le nerf de la guerre, c'est la visibilité, surtout quand il y a sept heures de décalage horaire entre la Chine et l'Europe. Vous pouvez dépenser tout le budget marketing du monde, si vos matchs passent à 3 heures du matin, ça ne servira à rien. Or, côté diffusion en clair, le téléspectateur chinois n'a droit qu'à des résumés dans le "Téléfoot" local, diffusé sur CCTV, le bouquet de chaînes publiques. Quant aux rencontres en direct, "la plupart des fans les regardent sur leur mobile via l'application PPTV", un service de pay-per-view où le match est facturé 1 euro, explique Sevag Baroudjian, patron du fan-club du PSG en Chine. Lequel concède avoir du mal à rameuter les foules autour du club parisien, effet Neymar ou pas. "Je ne vous cache pas que 80% des matchs sont regardés à la maison avec quelques fans mais on n'en rate pas un, et on en discute avec ceux qui sont plus loin via Wechat, le WhatsApp chinois."
Pour lui, ce Nice-PSG à 20 heures, heure locale, soit l'horaire idéal, représente un gros test. En lien avec le club, il prépare depuis plusieurs semaines l'évènement avec des concours et des lots à gagner. "Le PSG fait bien les choses. Cette année, on va organiser un jeu avec, à la clé, un séjour à Paris et un match au Parc des Princes pour quelques supporters chinois." La LFP envisage de pérenniser ce créneau réservé à l'Asie lors du prochain appel d'offres des droits télé, en 2020. Les matchs à l'heure du déjeuner sont déjà monnaie courante en Angleterre, en Italie ou en Espagne.
Copier le Bayern Munich
"Le modèle, c'est le Bayern", tranche Simon Chadwick, spécialiste du marché chinois à la Salford Business School. Le club bavarois a été érigé en exemple par la Harvard Business School. Son secret : avoir d'abord cherché à comprendre l'amateur de foot chinois plutôt que d'appliquer des recettes marketing efficaces en Europe. Le club de Franck Ribéry est donc arrivé près de dix ans après les Anglais en Chine, mais a refait son retard en un temps record. Le PSG est en train d'appliquer les mêmes recettes, illustre Sevag Baroudjian.
Nouveau venu dans le football, le fan chinois n'a pas baigné dans l'histoire d'un club et a soif de connaissances. D'où la tentative de Sevag Baroudjian d'éduquer ses ouailles en leur montrant des vidéos des grands moments du club – le but de Kombouaré contre le Real Madrid en 1993, la victoire en Coupe des Coupes en 1996… – et leur apprend les chants. Ça donne quoi Ô ville lumière avec l'accent chinois ? "Ça vient petit à petit", euphémise-t-il. Le fan chinois est aussi, selon lui, demandeur de reconnaissance : "Cela les touchera beaucoup plus que Neymar leur souhaite une bonne année du chien dans leur langue que d'avoir un maillot floqué en mandarin", pointe cet importateur de matériel de fast-food. D'où la nécessité d'un contenu spécifique pour le marché chinois, réalisé par des Chinois.
Une des différences majeures entre le supporter européen et le fan chinois, c'est que ce dernier suivra un joueur plutôt qu'un club. Du coup, si Cristiano Ronaldo, le joueur le plus suivi sur les réseaux sociaux en Chine, est trop cher pour un club désireux de conquérir l'Empire du milieu, mieux vaut qu'il déniche un joueur chinois ! "Parmi les fans de foot de la première heure en Chine, on en trouve qui soutiennent l'AS Nancy Lorraine, parce qu'un grand espoir chinois, Jinyu Li, y avait signé [en 1998]", raconte Shi Menghui, une Chinoise qui tente de propager sa passion pour le Werder Brême, où plusieurs joueurs chinois sont passés. L'expérience avait tourné court : Jinyu Li n'avait joué que six matchs avant de rentrer au pays une demi-saison plus tard.
Dénicher un bon joueur du cru
De nombreux joueurs chinois ont tenté leur chance en Europe, mais rares sont ceux qui se sont imposés. Prenez Xizhe Zhang à Wolfsburg en 2014 : 50 millions de téléspectateurs devant sa conférence de presse, pour aucun match avec l'équipe première. "Ce qui peut être à double tranchant : certes, votre club acquiert de la notoriété rapidement, mais s'il est avéré que ce recrutement n'est qu'un coup marketing, votre image peut être abîmée", tempère Sascha L. Schmidt.
Le seul joueur chinois qui a joué en Ligue 1 est Li Jinyu à l'AS Nancy-Lorraine lors de la saison 1998-1999. pic.twitter.com/fHgrupRa0K
— Xavi McBeal (@XaviMcBeal) 1 février 2018
L'enjeu est considérable. "Un jour, nous aurons un joueur chinois au Bayern, a prophétisé Uli Höness, ancien président du club dans le journal suisse Blick en 2017. Et ce jour-là, quand nous disputerons un match en début d'après-midi, en plein prime time à Shanghai ou Pékin, 300 millions de fans chinois le regarderont sur leur iPhone. Et chacun d'entre eux aura payé 1 euro pour le voir."
Se démarquer pour se faire connaître
Quand vous n'êtes ni le Bayern, ni le Real, et encore moins le PSG, il faut trouver des voies détournées pour entrer dans le cœur des Chinois. L'OGC Nice a ainsi tenté une approche par l'oreiller. Grâce à un accord avec la chaîne d'hôtels 7 Days Inn, la cinquième du pays, prisée des jeunes, on trouve désormais des chambres premium entièrement décorées aux couleurs du club azuréen. Quand on dit "entièrement", on n'exagère pas : les oreillers sont aux couleurs du club, des peluches à l'effigie des joueurs attendent sous la couette, un service de replay permet de revoir les matchs de Nice, sous le regard de joueurs grandeur nature, ou presque, affichés au mur…
Une des chambres 7 Days Inn redécorée aux couleurs #OGCNice
— Sky la Souquetista (@pantalon_blanc) 19 décembre 2017
Avec CE COUSSIN @FinallyMario A POIL qui ravirait @Etbim56 @OGardenArt pic.twitter.com/kZeV8NXLw9
"Ces chambres sont proposées quelques euros plus cher, mais elles ne désemplissent pas, se félicite-t-on au club. Le but est bien sûr de séduire les clients de l'hôtel, et de les garder dans le giron de l'OGCN par la suite." Ce qu'on ne pourra quantifier que dans quelques années.
Nouer le bon partenariat
Cela fait une dizaine d'années que les clubs chinois font les yeux doux à leurs homologues européens pour conclure des accords. Des grands club hexagonaux comme Monaco n'ont pas encore franchi le pas. D'autres, comme Nice, Paris ou Lyon ont déjà un pied dans l'Empire du milieu. A Toulouse, le succès du partenariat initié avec le club de Shenzhen SPHQ, qui paye pour que des formateurs toulousains entraînent les éducateurs chinois, et qui envoie des enfants sur les bords de la Garonne lors d'un stage d'été, a donné des idées à d'autres équipes. "On est très sollicités par des clubs chinois, mais on ne veut surtout pas faire n'importe quoi. On veut maîtriser la croissance de notre club et pouvoir assurer un service de qualité", justifie Rémy Loret, le patron du centre de formation du "Tef".
La référence en la matière est là encore à chercher du côté de l'Allemagne, avec l'Eintracht Frankfürt, qui capitalise sur le passage réussi de Yang Chen, 21 buts en une centaine de matchs sous le maillot bleu au début du siècle, et sur l'image de "Deutsche Qualität" que martèle l'Allemagne depuis un demi-siècle. "Notre objectif est d'ouvrir une centaine d'académies en lien avec des clubs amateurs dans tout le pays et de ne pas nous limiter à une seule zone en nous liant à un club pro, détaille Michael Müller, responsable du développement en Chine du club allemand. Pour l'instant, nous en avons deux, nous négocions pour six autres et comptons investir sur le long terme. Nous prenons notre temps, nous voulons de bons éducateurs pour une formation de qualité. Si nous allons trop vite, nous allons mal faire et cela va durablement abîmer notre marque." Si les meilleurs enfants sont invités dans une école installée spécialement pour eux en Allemagne, le but n'est pas de détecter la pépite du foot chinois. Enfin, pas encore.
Le but est plus politique, à court terme. "Nous nous sommes calqués sur l'accord de coopération footballistique signé entre le gouvernement allemand et le gouvernement chinois [en 2016]", reconnaît Michael Müller. Car le ballon représente le meilleur des soft-powers qui soient, fait remarquer l'universitaire Simon Chadwick : "La NBA est devenue très populaire en Chine en construisant des terrains de basket dans chaque ville du pays. Elle a ainsi montré son implication pour aider la Chine à devenir une nation majeure dans ce sport." Aujourd'hui, le basket est le sport n°1 en Chine, devant le football.
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