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Témoignage Ligue 1 : "Les gestes ont dérapé avec une fouille au niveau des parties intimes", raconte une supportrice lensoise qui a porté plainte après le match au Havre

Deux supportrices lensoises ont déposé une plainte pour "outrage sexiste et sexuel", et neuf autres une pré-plainte, à la suite de fouilles que l'une d'elles qualifie de "honteuses" lors de leur entrée en parcage visiteurs du match Le Havre-Lens le 20 octobre.
Article rédigé par Hortense Leblanc, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Des supporters du RC Lens le 24 septembre 2023. (MAXPPP)

Membre active d'une section de supporters du RC Lens, Amandine*, 28 ans, n'avait jamais connu cela. Lors de son déplacement au Havre, le vendredi 20 octobre dernier, la supportrice des Sang et Or raconte avoir subi une fouille "poussée au niveau des parties intimes" avant l'entrée dans le stade Océane. Elle a déposé plainte, jeudi 2 novembre, pour "outrage sexiste et sexuel : propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste portant atteinte à la dignité ou créant une situation intimidante, hostile ou offensante imposée à une personne", d'après un document que franceinfo: sport a pu consulter. D'autres supportrices lensoises présentes au Havre attendent encore d'être reçues comme elle dans un commissariat pour porter plainte.

Contacté lundi 6 novembre, le club du Havre précise qu'à date, il n'a reçu aucune plainte contre lui à ce sujet. Il rappelle que "l'entrée de la tribune visiteurs se fait en présence des stadiers du club visiteur ainsi que des forces de l'ordre" et souhaite proposer "à partir de la semaine prochaine au club visiteur de mandater une personne supplémentaire lors des contrôles du parcage de l'équipe adverse."

Franceinfo: sport : Que s’est-il passé lors de la fouille à votre arrivée au stade Océane avant Le Havre-Lens ?

Amandine* : L’organisation était compliquée. On est arrivés un peu tard, environ 45 minutes avant le coup d’envoi. On passe à la fouille, avec une seule stadière. Je précise bien que c’était une stadière d’une société privée, pas la SIR [Section d’intervention rapide, une unité de police], ni les CRS. Dans nos souvenirs, les CRS n'étaient pas présents sur le lieu, et nos stadiers géraient les flux en amont. Elle nous a fouillées d’une manière honteuse. D’habitude on nous fait enlever la capuche et ouvrir la veste, ce qu’elle a fait, et ensuite les gestes ont dérapé, avec une fouille poussée au niveau des parties intimes. Normalement, on nous passe déjà les mains sur les contours des seins et entre les deux, pour voir s’il n'y a pas de fumigènes ou d’explosifs. Je trouve déjà ça limite, sauf que là, on s’est retrouvées avec nos deux seins dans ses deux mains, et elle a malaxé. Je me suis raidie. Ensuite, elle est descendue sur le long des jambes, elle est remontée au niveau du fessier, et m’a touché les fesses. Puis elle est passée vers l’avant et j’ai clairement senti son doigt sur mon sexe.

Vous participez souvent aux déplacements. C’était la première fois que la fouille se déroulait ainsi ?

Oui, c’est la première fois que j’ai ressenti une telle gêne. Des fouilles musclées, on en a déjà connu notamment par les CRS ou la SIR, mais jamais à ce point-là. Une policière ne m’a jamais touché le sexe. Les filles qui sont avec moi sont habituées aussi, et toutes m’ont dit la même chose : elles n’ont jamais ressenti cela. Les plus jeunes, qui sont moins habituées, n’ont rien dit, parce qu’elles pensaient que c’était normal. On est en période de vigilance attentat renforcée, donc elles se sont dit qu’ils cherchaient peut-être des explosifs plus que d’habitude.

Avez-vous interpellé la stadière à ce moment-là ?

Non. Je suis une habituée des parcages et je me suis dit que cette fois, je n’avais pas de chance. Je me suis posé beaucoup de questions : peut-être qu’elle maîtrise mal ses gestes, peut-être qu’elle débute, mais je n’ai rien dit. Une fois la fouille passée, j’ai commencé à en parler aux filles que je croisais, et toutes – j’insiste bien sur toutes – m’ont dit qu’elles avaient vécu une fouille horrible. Certaines m’ont même dit que leur soutien-gorge ou leur brassière étaient remontés au-dessus de la poitrine tellement c’était violent. Certaines ont eu les seins pincés. Au niveau du sexe, on est cinq ou six personnes à avoir subi ça, ce qui est déjà trop.

J’en ai parlé à notre référent supporters, qui m’a demandé de lui décrire les faits, pour qu’il puisse les remonter au club du Havre. J’ai lancé un appel à témoins le lendemain aussi, et désormais on a un groupe WhatsApp avec 17 Lensoises. Aujourd’hui, on est en attente, parce qu’on a voulu aller porter plainte au commissariat de Lens, mais il y avait 3h30 d’attente, donc on nous a conseillé de remplir des pré-plaintes. On est onze à avoir fait la pré-plainte, deux à avoir signé la plainte au commissariat, et les autres sont en attente d’un appel pour aller signer.

Avez-vous reçu des témoignages de supportrices d’autres clubs qui auraient également subi ce type de fouilles au Havre ?

Oui, j’ai eu pas mal de retours de Lilloises, qui étaient au Havre deux semaines avant nous. Elles ont connu la même fouille, très probablement par la même personne, puisque leur description physique de la stadière correspond à celle qui nous a fouillées. J’ai aussi eu quatre retours de Lorientaises et Brestoises pour le moment, qui m’ont décrit exactement les mêmes faits et gestes.

Le club du Havre s’est-il excusé envers vous ?

Non, nous n’avons reçu aucune excuse du Havre. Mais le club a demandé que la plainte soit déposée contre lui. [Contacté lundi 6 novembre, Le Havre conteste avoir fait cette demande.] On comptait porter plainte contre la société privée de sécurité, mais le HAC veut assumer sa responsabilité en tant qu'organisateur du match. C’est le seul retour qu’on a eu. Maintenant, ce qui est fait est fait. On pense aux filles passées avant nous qui n’ont osé rien dire et à celles qui passeront après nous. Ce n’est pas logique d’avoir une appréhension d’avoir une fouille musclée en allant au stade. Tout en sachant aussi que les hommes ont très régulièrement des fouilles très poussées et personne ne parle parce qu’on a banalisé cela.

Vous avez reçu des critiques pour avoir osé parler de cela ?

Oui, j’en ai parlé dans d’autres médias, et il y a des commentaires bien dégueulasses. "Si on n’est pas contentes, il faut rester à la maison". "La place des femmes n’est pas dans les parcages". "Si on n’est pas prêtes à assumer ce genre de choses, il faut rester chez soi…". Un mec nous a dit que c’était normal qu’on soit plus fouillées parce qu’on rentre les fumigènes dans notre vagin. Il y a une pression de certains mecs sexistes qui poussent certaines à ne pas parler. Moi aujourd’hui, j’incite justement les filles à prendre la parole. Il ne faut pas avoir peur de ces gens-là et j’ai l’impression que les filles sont assez révoltées. Il y a des chances que ça aille plus loin encore, parce que les Lilloises sont prêtes à nous rejoindre, donc il y aura peut-être dépôt de plainte de leur part aussi. On ne réclame pas le licenciement de cette stadière, mais surtout une meilleure formation des stadiers. Je reste persuadée que la dame qui nous a fouillées a reçu des consignes de sa hiérarchie. Elle était aussi seule pour fouiller de nombreuses femmes, et c’est un problème. Tout le monde sait que les Lensois se déplacent en nombre, donc ça devrait être anticipé, pour que tout se passe mieux.

C'est intervenu dans un contexte où les déplacements des supporters sont de plus en plus encadrés...  

On est clairement considérés comme des animaux. Des animaux, ou des prisonniers. On est parfois parqués sur des parkings trop petits pour contenir tout le monde, entourés de CRS armés, qui nous parlent mal et nous hurlent dessus pour nous donner leurs consignes. À Monaco on nous a fait enlever les chaussures, on nous a alignés 10 par 10 le long d’une barrière et on se fait renifler tout le corps par des malinois ou des bergers allemands. J’ai l’impression d’entrer en prison. Et on a le droit de ne rien dire, alors qu’on est là pour voir du foot et faire la fête. Et encore, chez les hommes c’est pire. Des amis me le racontent : il n’y a pas un match où personne ne se plaint de s’être fait tâter les parties génitales. Toujours en déplacement, je le précise, parce qu’à domicile c’est beaucoup moins poussé. J’entends qu’il y a une lutte contre les pétards, les fumigènes, que c’est pour notre sécurité. Mais là c’est quoi la prochaine étape ? Se mettre nu ?

*Le prénom a été modifié

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