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Reportage Football : le Mondial des sans-abri, un objectif sportif au service de la réinsertion sociale

Article rédigé par Gabriel Joly, franceinfo: sport - Depuis Montpellier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
L'ensemble des joueurs présents à Montpellier pour le tournoi de pré-sélection à la Coupe du monde des sans-abri, le 12 mai 2023. (GABRIEL JOLY / FRANCEINFO: SPORT)
Près de 80 joueurs en situation de précarité se sont affrontés à Montpellier, vendredi, lors d'un tournoi de pré-sélection pour tenter d'intégrer l'équipe qui défendra les couleurs de la France à la prochaine Coupe du monde des sans-abri.

"Ensemble les gars", "si on peut gagner 20-0, on gagne 20-0 les mecs", "Moussa, si tu rates le pénalty, tu rentres à pied"... De l'extérieur, la bonne humeur et les poncifs hurlés par les entraîneurs sur les bancs laissent penser qu'il s'agit d'un tournoi de football comme un autre. Pour les 80 joueurs présents, vendredi 12 mai, au complexe de Grammont, là où le Montpellier HSC a ses quartiers, cette journée revêt pourtant une importance capitale.

Parmi eux, seuls huit seront sélectionnés pour faire partie du voyage avec l'équipe féminine et représenter la France à la Homeless World Cup, la Coupe du monde des sans-abri, organisée du 8 au 15 juillet prochain à Sacramento (Etats-Unis). Pour participer, une unique condition : avoir été en lien avec une structure sociale d'accueil au cours des deux dernières années. Conviées par le collectif En Jeu, quatre associations ont donc amené leurs équipes de bénéficiaires dans l'Hérault.

Comme les pros

Pour l'occasion, des arbitres ont été réquisitionnés, l'ensemble des repas a été pris en charge par le tissu associatif montpelliérain et du personnel médical a été mis à disposition. "Prince, ça va la cuisse ? John, le poignet ?" Venue pour jouer la gagne comme l'année passée, l'équipe du Collectif Partage et Projets de Clermont s'est déplacée avec "Nico", son propre soigneur.

Les joueurs clermontois autour de leur masseur, Nico, dans leur vestiaire avant le début du tournoi. (GABRIEL JOLY / FRANCEINFO: SPORT)

Avant le premier match de la journée, une odeur de baume du tigre emplit le vestiaire, tandis que l'éducateur auvergnat s'affaire à masser ses joueurs. "Être là pour eux, c’est avant tout les valoriser. C’est important parce que le reste du temps, ils sont isolés. On leur adresse à peine la parole, déplore ce travailleur social. Et puis je sais que je ne vais pas m'ennuyer : il y a de quoi faire avec les bobos, la rue ça casse".

L'inclusion par le sport

Patrick Mbongue, fondateur d'En Jeu, chapeaute depuis plus d'une décennie tous les préparatifs à la Coupe du monde. Ce vendredi encore, il est au four et au moulin. "Avec ce tournoi national, on fait d'une pierre deux coups. Non seulement on organise un événement festif dont profitent toutes ces personnes en situation de précarité mais en plus, cela nous donne l'occasion de repérer les meilleurs, lâche celui qui est également impliqué dans un CHRS à Montpellier, entre deux allées et venues du parking au terrain. 

Pour ce premier rendez-vous pré-Mondial, En Jeu veut se limiter à une dizaine de joueurs à l'issue de la journée et faire un nouveau tri plus tard, lors du rassemblement prévu au Z5, le complexe de Zinédine Zidane en Provence. "La principale qualité que l'on recherche chez eux, c'est la technique pour faire la différence dans des petits espaces", précise Patrick en réajustant sa casquette grise sur son crâne. Car si le tournoi de sélection se déroule sur un demi-terrain à 7 contre 7, la compétition estivale a opté pour du "street soccer" à 4 contre 4 avec possibilité d'utiliser les parois comme au five.

Le gardien de La Boussole 1, Taha, s'est illustré avec une superbe parade face à Avignon 2. (GABRIEL JOLY / FRANCEINFO: SPORT)

Pas de quoi inquiéter, Taha, 23 ans, qui réalise justement des prouesses dans les cages de La Boussole 1, l'une des deux équipes de Montpellier. Un des superviseurs est passé le voir pour prendre son nom. "J'espère que c'est de bon augure, sourit le Marocain, le torse bombé dans sa liquette violette. Ce serait incroyable de faire la Coupe du monde, d'autant que je n'ai jamais été aux Etats-Unis". Aujourd'hui, il est venu tenter sa chance alors qu'il n'avait pas d'équipe. "Je me suis intégré facilement. En tant que gardien, tu communiques beaucoup avec ta défense. Le foot, ça permet de créer des liens. Avant j'étais plutôt renfermé, c'est souvent comme ça quand tu es seul". Arrivé en France il y a six ans, il a longtemps connu une situation délicate. "Je n'avais pas de logement donc j'étais hébergé chez des collègues, mais parfois, certains ne veulent plus et tu te retrouves à la rue", se remémore-t-il. Un parcours de précarité parmi tant d'autres.

Une Coupe du monde qui change des vies

S'il sait qu'il fera plus de déçus que d'heureux une fois la liste de joueurs annoncée, Patrick reste persuadé des bienfaits de son action. Que les joueurs soient finalement sélectionnés ou non, la volonté de participer à la "Homeless" se révèle généralement bénéfique pour leur insertion sociale. "Quand un gars a cet objectif, il s'entraîne pour être au top. Or, quand tu es mieux physiquement, que tu fais attention à ta santé, cela te met dans un autre état d'esprit, une dynamique de remobilisation. Tu vas plus facilement te motiver à réaliser des démarches administratives, des choses que tu n'avais jamais pris la peine d'entreprendre". Depuis 2012, 83% des joueurs tricolores envoyés au Mondial ne sont pas retournés à la rue selon le collectif En Jeu.

"Imaginez quelqu'un de Quimper ou de Metz qui va à Sacramento puis rencontre un Argentin, un Sud-Africain et un Japonais dans la même situation que lui. Ils vont garder contact via les réseaux sociaux. Ça permet de se dire qu'on n'est pas tout seul."

Patrick Mbongue, fondateur d'En Jeu

à franceinfo: sport

En 2019, Ashraf était justement de l'aventure à Cardiff. "Tout le monde voulait prendre des photos avec nous. Jouer le Brésil, c'était assez fou, se souvient le jeune homme de 23 ans. On a perdu mais le plus important avec la Homeless, c’est ce qui se passe derrière". Quatre ans plus tard, l'ancien gardien a rangé les gants pour passer recruteur et dénicher ses successeurs. Mais il est surtout devenu éducateur à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Une victoire pour ce Nîmois "turbulent" selon ses dires, qui dormait encore dans sa voiture à l'époque. "Franchement je n'y aurais jamais cru, reconnaît Patrick. Ashraf, c'est l'exemple-type des gars pour qui on fait dans l'action sociale malgré les difficultés".

La crainte de rester à quai

Après trois éditions annulées en raison de la pandémie, les membres de l'ONG sont en effet préoccupés. A deux mois de la Coupe du monde, ils ne sont pas sûrs de pouvoir emmener le groupe à Sacramento. "Le projet avait pris pas mal d'ampleur depuis 2018 et puis le Covid nous a fait beaucoup de mal. Cette année, on repart de zéro", témoigne Sophie Buisine, qui s'occupe bénévolement de la communication de l'association. Malgré de généreux dons de la Fondation Abbé Pierre et du Crédit Agricole, En Jeu n'a pour l'instant récolté que la moitié des 53 000€ sur lesquels ils tablent pour le déplacement. En cause, la perte de certains sponsors historiques, à l'image de Nike qui équipait la sélection.

"A chaque fois que je parle de ce Mondial, les gens sont fans, on me dit que ce projet est magnifique... Mais ce n'est pas ça qui nous fera partir. Si on avait un Mbappé pour nous soutenir, c'est sûr que ce serait plus simple !"

Sophie Buisine, responsable communication d'En Jeu

à franceinfo: sport

"Là, je te parle mais l'argent, on ne l'a pas, confirme Patrick, qui fait donc attention à ce qu'aucun ballon ne soit égaré, son "côté Guy Roux". On a sollicité des partenaires mais on est dans le flou. Avec un budget moins important, on verra quelles coupes on pourra faire mais si les billets d'avion pour la Californie sont trop chers, la messe sera vite dite". Un problème de plus à gérer alors que la tenue de la compétition aux Etats-Unis cette année complique la donne pour de nombreux sans-abri.

Patrick Mbongue est le fondateur de l'association En Jeu. (GABRIEL JOLY / FRANCEINFO: SPORT)

Avec des critères d'entrée stricts - l'obtention d'un visa d'autant plus complexe pour les ressortissants de certaines nationalités et la présentation d'un casier judiciaire vierge -, tous ne pourront être du voyage malgré de bonnes performances. Certains joueurs sans papiers français se sont ainsi vu proposer de reporter leur participation à l'année prochaine si les conditions d'accueil du nouveau pays-hôte le permettent. Et ce, même si un doute subsiste sur la présence de la France. Si les Bleus ne parviennent pas à aligner leurs équipes en 2023, ils perdraient leur place pour les futures éditions du Mondial.

Mais pour le Secours catholique de Poitiers, l'essentiel est ailleurs. Invaincue en six rencontres et victorieuse de Clermont 3-1 en finale, l'équipe repart la coupe à la main, comme lors de sa dernière venue à Montpellier et sans oublier de chambrer. "Elle va finir par déborder cette armoire à trophées".

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