Cet article date de plus de dix ans.

Wenger et Mourinho : une rivalité qui sonne de plus en plus faux

L'entraîneur français a poussé son homologue, lors d'un match de championnat anglais, dimanche 5 octobre. Ce coup de sang traduit une rivalité vieille de bientôt dix ans.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le quatrième arbitre sépare Arsène Wenger (G) et José Mourinho, après une altercation dans le match de Premier league entre Arsenal et Chelsea, le 5 octobre 2014.  (ADRIAN DENNIS / AFP)

Coup de chaud sur la Premier league anglaise. D'habitude si flegmatique, Arsène Wenger a montré les muscles face à José Mourinho, dimanche 5 octobre. L'entraîneur français a bousculé le Portugais, au beau milieu de la rencontre entre Arsenal et Chelsea (0-2), à tel point que le quatrième arbitre, Jonathan Moss, a dû séparer les deux hommes. "Est-ce que je l'ai poussé ? Un petit peu", a reconnu Arsène Wenger après le match, tout en refusant de présenter ses excuses. "Mais ça se voit quand j'essaie vraiment de pousser quelqu'un."

Sans surprise, les tabloïds britanniques ont largement commenté ce geste, qualifié de "honte" par The Sun. "Wenger pète les plombs", titre le Daily Mail, quand le Daily Star adopte un subtil : "Casse-toi, José !" Mais tous rappellent combien Arsène Wenger avait des raisons d'être agacé. Ce match est le douzième sans victoire face à une équipe entraînée par "The Special One".

Est-ce suffisant pour expliquer un tel coup de sang ? Après dix ans d'invectives dans les médias, en effet, la guerre entre Arsène Wenger et José Mourinho est devenue un classique de la Premier league. 

Un bras de fer engagé dès l'arrivée du "Mou" à Londres

Tout débute lors de la saison 2004-2005. A cette époque, le "Mou" pose ses valises à Londres, après avoir décroché la Ligue des champions avec Porto. Le technicien abreuve la presse de petites phrases assassines, comme se rappelle Sir Alex Ferguson, dans My Autobiography, paru en octobre 2013. "Je me dis alors : quel jeune garçon effronté (...). Mais je refuse d'engager un bras de fer psychologique", écrit l'ancien entraîneur de Manchester United.

Arsène Wenger, lui, fonce tête baissée pendant les mois qui suivent. "Pourtant, avant d'arriver à Chelsea, Mourinho n'a jamais caché son admiration pour Arsenal", alors champion en titre, explique Thibaud Leplat, auteur du Cas Mourinho (éd. Hugo Sport) et d'Ici c'est Paris (éd. Solar, à paraître). "Rapidement, les deux hommes éprouvent une jalousie réciproque. Le premier, pour l'impunité dont dispose Mourinho en Angleterre, alors que lui adopte un comportement exemplaire. Le second, parce que Wenger incarne l'establishment."

A la tête d'une équipe d'outsiders, José Mourinho choisit d'attaquer sur ce terrain, en accusant Arsenal d'être favorisé dans le calendrier des matchs : "Certains clubs sont traités comme des diables, d'autres comme des anges." A la surprise générale, le flegmatique Arsène sort de sa réserve, un mois plus tard, pour brocarder la tactique mise en place par le Portugais : "Depuis que le sport encourage les équipes qui refusent de prendre l'initiative, le sport est en danger."

Bingo. Alors que Rafael Benitez ou Manuel Pellegrini évitent le piège, le "Mou" semble avoir trouvé son client. "Quand il arrive en Angleterre, il renouvelle l'idée de l'entraîneur en plaçant le mind-game [la guerre psychologique] au centre du jeu", analyse Thibaud Leplat. Et le Portugais frappe fort : "Je pense qu'Arsène Wenger est un voyeur", enchaîne-t-il au mois d'octobre. "Il y a des gens qui ont de grands télescopes à la maison pour espionner les autres familles. Lui, il parle encore et encore de Chelsea." Cette fois, le Français sort de ses gonds. "Quand des gens stupides ont du succès, cela les rend parfois encore plus stupides." A la fin de la saison, Mourinho empoche le titre de champion.

"Arsène Wenger est un gentil garçon"

Les saisons suivantes sont un peu plus calmes et José Mourinho frôle même la contrition. Il juge que "tous les deux [sont] coupables" des égarements passés, dans un entretien accordé en 2006 au Telegraph (en anglais). Mais il y a toujours quelques rechutes. "Les Anglais adorent les statistiques. Vous saviez qu'Arsène Wenger a seulement 50% de victoires dans le championnat anglais ?" lance José Mourinho en avril 2008. Cette année-là, il décolle pour l'Italie, direction l'Inter Milan.

Fin du match ? Pas vraiment. Loin des yeux et loin du cœur, le Portugais pense toujours à son meilleur ennemi, même en 2010, quand il est à la tête du Real Madrid : "Peut-être que Wenger devrait expliquer aux supporters d'Arsenal comment il a fait pour ne pas remporter un seul trophée depuis 2005." Et quand José Mourinho se plaint de l'arbitrage contre Barcelone, en demi-finale de la Ligue des champions 2011, Arsène Wenger se fait un malin plaisir de commenter. "Je refuse de croire qu'il y ait un scénario en coulisses et que Barcelone soit avantagé."

Finalement, José Mourinho revient à Chelsea à l'été 2013. Les journalistes se frottent les mains, mais cette fois, l'entraîneur se fait tout doux. "Arsène Wenger est un gentil garçon", explique-t-il au Guardian (en anglais). Entre-temps, José et Arsène se sont croisés à Nyon (Suisse), lors du forum annuel des entraîneurs de clubs d'élite de l'UEFA. "Nous étions avec d'autres entraîneurs, l'ambiance était bonne et nous avons discuté de football, décrit le Portugais. C'est quelqu'un de très cultivé."

Cette rivalité, aujourd'hui, c'est "un tube qui sonne faux"

A son tour, Arsène Wenger estime que "Chelsea a peur de perdre". Mal lui en prend. "Huit ans sans trophée, c'est un échec. Arsène Wenger est spécialiste de l'échec", rétorque José Mourinho le 14 février, jour de la Saint-Valentin. Cette fois, certains observateurs ne cachent plus leur agacement, à commencer par Brendan Rodgers : "Cela devient stupide maintenant, n'est-ce pas ? C'est sûrement pour les médias." L'ancienne gloire d'Arsenal, Bob Wilson, commence également à se lasser de ce ping-pong verbal. "Les attaques [de Mourinho] sont personnelles et je le trouve ennuyeux, en ce moment."

Arsène Wenger fête son 1 000e match à la tête des Gunners… face à Chelsea. Avant la rencontre, José Mourinho lui rend hommage à sa façon : "J'admire Wenger et Arsenal, un club qui soutient son manager dans les mauvais moments, et il y en a eu beaucoup." Avant la rencontre, les médias guettent la poignée de main entre les deux hommes. Elle a bien lieu, mais dans une ambiance glaciale. L'entraîneur français repart humilié de Stamford Bridge, après une défaite 6-0. "La marche est de plus en plus haute pour les joueurs d'Arsenal car cette rivalité nourrit la mystique de Chelsea, commente Thibaud Leplat. José Mourinho sait parfaitement se servir du contexte qui entoure un match. Il utilise aussi la gestion émotionnelle des joueurs durant la rencontre, ce que ne fait pas Arsène Wenger." 

L'entraîneur d'Arsenal, Arsène Wenger (G), serre la main de son homologue de Chelsea, José Mourinho, le 22 mars 2014 à Londres (Royaume-Uni), dans le stade de Stamford Bridge. (JAVIER GARCIA / BPI / REX / SIPA)

"José Mourinho est devenu sa propre caricature, juge aujourd'hui Thibaud Leplat, après la passe d'armes de dimanche. Ce qui s'est passé, c'est du cirque, cela n'a plus rien du combat psychologique théorisé par le Portugais." Difficile de viser Liverpool, dirigé par Brendan Rodgers, son ancien adjoint à Chelsea. Difficile aussi de viser Manchester United, entraîné par Luis Van Gaal, son mentor. "Mais comme il a besoin de créer une adversité, il s'en prend à Arsène Wenger. Pourtant aujourd'hui, c'est un tube qui sonne faux, car il n'y a plus le même enjeu qu'en 2005, quand Chelsea avait tout à construire" et faisait figure d'outsider. Aujourd'hui, la situation s'est inversée et c'est Arsenal qui court après Mourinho.

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