Florentino Pérez, le "politicien frustré" devenu tout-puissant patron du Real Madrid
C'est en grande partie grâce à cet homme, président du club madrilène, que 450 millions de personnes suivront samedi le clasico face au Barça.
Samedi 3 décembre, à 16 heures, une partie de la planète va s'arrêter. Le clasico Real Madrid-FC Barcelone – le seul, l'unique – va tenir en haleine 450 millions de téléspectateurs à travers le monde. L'un des metteurs en scène de ce spectacle planétaire, c'est l'homme d'affaires Florentino Pérez, qui préside aux destinées du club madrilène depuis 2000, excepté une parenthèse de trois ans. Un loser en politique, couronné roi du football ibérique.
Le ballon rond n'est pourtant pas le premier amour de Florentino Pérez. C'est la politique. Quand le franquisme s'écroule à la mort du Caudillo, celui qui enseigne alors les mathématiques à l'Université polytechnique de Madrid sent qu'il y a des places à prendre. Il grimpe les échelons de la fonction publique pour dégoter une place au ministère de l'Agriculture, avant de se lancer dans l'arène à la tête du Parti réformiste démocratique, classé au centre. Avec seulement 0,96% des voix au niveau national, sa carrière politique est déjà terminée. Officiellement, en tout cas.
Le "roi Midas" à l'assaut du Real Madrid
Pour une poignée de pesetas, Pérez se reconvertit dans le BTP en rachetant l'entreprise ACS, alors en faillite. La société compte alors 150 salariés et fait un chiffre d'affaires modeste. Vingt ans plus tard, elle emploie 141 000 ouvriers et génère 16 milliards d'euros annuels. Le boom de l'économie espagnole y est pour beaucoup, la personnalité et le carnet d'adresses de Pérez aussi. Pendant près de vingt ans, celui qui gagnera le surnom de "roi Midas" a son rond de serviette dans le même restaurant que José Maria Alvarez del Manzano, maire de Madrid de 1991 à 2003, rappelle Publico (en espagnol). Dans un marché aussi dépendant de la commande publique, cette proximité est un plus appréciable. Ainsi, quand le Real vend à prix d'or son ancien centre d'entraînement, situé en plein cœur de la ville, à la mairie, c'est ACS qui obtient des contrats pour bâtir trois des quatre immeubles prévus sur le terrain...
En 1995, sa boîte ne lui suffit plus. Pérez se lance à l'assaut du Real Madrid. Pour l'époque, les moyens déployés pour séduire les 80 000 socios, supporters-actionnaires de l'équipe, semblent surdimensionnés. "Le débat entre les candidats était télévisé, comme entre Trump et Clinton aux Etats-Unis", se souvient Pérez sur le site Cinco Dias. Conseiller en communication, détectives engagés pour fouiller les poubelles des adversaires, notaires qui fouinent dans les parrainages des concurrents pour y détecter des faux... "Pérez a des manières de politicien frustré", le tance en direct le président sortant Ramon Mendoza, rappelle El Pais. Touché. L'élection se conclut de manière houleuse. Mendoza, vieux notable espagnol au teint bronzé et aux cheveux blancs, l'emporte de 695 voix sur plusieurs dizaines de milliers de votants contre son rival au look austère de chef d'entreprise, front dégarni et éternels costumes bleus.
Des promesses très onéreuses
Pour l'élection suivante, Pérez a recours... à des trucs de politiciens frustrés, mais qui marchent, cette fois : des promesses. Son argument massue, choisi à l'aide de coûteux sondages auprès des socios : le recrutement de Luis Figo, tête de gondole du Barça, le rival honni. Pérez a négocié en sous-main un deal avec la star portugaise, raconte Vice (en anglais). S'il est élu, il mettra les moyens pour le faire venir. Et s'il échoue, Figo touchera un confortable dédommagement pour son silence. L'affaire perturbe l'intersaison du Barça et l'Euro 2000 de ce dernier, harcelé par son club juste avant la demi-finale ultra-importante contre la France. Le Portugais est même contraint de signer un communiqué écrit par le Barça affirmant qu'il restera bien au club. Pipeau !
Pérez ne croit pas en ses chances, car jamais un président du Real sortant n'a été battu à une élection. Contre toute attente, il l'emporte... et doit lâcher 60 millions d'euros pour débaucher Luis Figo. Après coup, ses proches, qui composent ensuite le comité directeur du Real, tressent des louanges de celui qui a tout vu avant tout le monde : "Florentino a quinze ans d'avance sur nous, il pense déjà ce que nous allons faire dans le futur, des choses qu'on n'imagine même pas encore", confie l'un d'eux à un journaliste. Son biographe, Juan Carlos Escudier, résume le personnage.
Pérez est tellement malin qu’il pourrait même se faire des amis en enfer. D’ailleurs, si le diable décidait de construire une route vers le purgatoire, il lui confierait sûrement le projet.
Une équipe gérée comme à Hollywood
Pour Pérez, qui compare dans le Guardian (en anglais) le fait de diriger le Real à un "hobby", le concurrent du club ne doit pas être le Barça ou le Bayern Munich, mais Disneyland ou Hollywood. D'où la politique des Galacticos qui nécessitera l'achat d'une star par an : Figo en 2000, Zidane en 2001, Ronaldo en 2002 et Beckham en 2003. Un empilement de joueurs offensifs, sans aucun respect pour la tactique ou l'équilibre de l'équipe. Les tâcherons, pas assez glamour, se voient montrer la porte. Claude Makelele, le précieux milieu défensif tricolore, est exfiltré à Chelsea. Vicente del Bosque, le coach moustachu qui parvenait à gérer une concentration inédite d'ego au mètre carré dans le vestiaire, est remercié en 2003.
La garde rapprochée de Pérez, emmenée par José Angel Sanchez, file la métaphore cinématographique.
Nous sommes des producteurs de contenus, comme un studio de cinéma. Posséder une équipe avec Zidane, c'est comme monter un film avec Tom Cruise.
John Carlin, auteur d'un livre sur le séjour de Beckham dans la capitale espagnole, abonde dans le New York Times (en anglais) : "Perez a compris que gagner des trophées était du ressort des dieux du football. Mais quand on a des joueurs fantastiques dans son équipe, on peut générer une excitation énorme, qui se traduit par un intérêt colossal et les retombées économiques qui vont avec."
Après une série de résultats décevants, Pérez démissionne. Sur un coup de tête. Ce n'est pas pour rien que ceux qui le connaissent bien le décrivent comme un homme affable en public, colérique et impulsif en privé. Quelques minutes après cette décision, il s'enferme dans son bureau pour pleurer toutes les larmes de son corps. Fatalement, il regrette aussitôt son choix et s'ennuie pendant trois ans. On ne lui connaît aucun vice coûteux : tout juste entretient-il un yacht dans le port de Palma de Majorque.
L'homme qui ne voulait pas remplacer Bale
Devinez qui se présente aux élections de 2009 ? Pérez, avec dans la corbeille de mariage Cristiano Ronaldo, le petit jeune qui monte, alors à Manchester United. Le businessman au costume bleu revient aux affaires. Les achats dispendieux reprennent, les petits arrangements avec la comptabilité aussi. Les banques ont ainsi avancé des sommes colossales au club pour l'achat du Gallois Gareth Bale, valorisé à 100 millions d'euros, à un club surendetté... mais dirigé par un homme qui a multiplié par sept la valeur de son entreprise ACS, détenue en partie par ces mêmes banques.
Le patron du Real demeure un investisseur avisé, qui sait pouvoir compter dans son stade nombre de décideurs. Dans la tribune dévolue aux VIP, se pressent côte à côte l'archevêque de Madrid, le gratin politique de la région, des cadres du Partido Popular (conservateur) où penche le cœur de Pérez, mais aussi des syndicalistes et le gratin de la magistrature qui côtoie le patron de la mafia chinoise en Espagne ! Les journalistes "amis" ne sont pas oubliés, certains d'entre eux obtenant les confidences en off du grand patron pendant les 90 minutes de la rencontre, raconte Juan Carlos Escudier.
Florentino Pérez demeure aussi un patron exigeant, qui vire ses entraîneurs (presque) aussi vite que son ombre. Le motif qu'il a avancé pour avoir remercié Carlo Ancelotti, vainqueur de la Ligue des champions avec le club merengue, en a laissé plus d'un songeur : "Une fois, Ancelotti a remplacé Bale. Je le lui ai reproché, mais Carlo n'a pas compris. A partir de là, il a perdu ma confiance. Pour moi, remplacer Bale, c'était comme m'attaquer." Zinedine Zidane, actuel locataire du banc du Real, s'est tout de même permis ce sacrilège à trois reprises cette saison. Qu'il profite de l'aura que lui procure sa victoire en Ligue des Champions de mai dernier, tant qu'il est encore temps.
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