Ligue des champions : peut-on (enfin) dire que Zidane est un grand entraîneur ?
Le coach du Real Madrid marche sur l'eau depuis un an et demi et dispute sa deuxième finale de Ligue des champions d'affilée. Pourtant, des doutes subsistent encore sur ses talents en tant que coach.
Cette fois, il ne va peut-être pas craquer son pantalon. En un an et demi sur le banc du Real Madrid, Zinédine Zidane a appris une ou deux ficelles du métier, comme prévoir des costumes plus larges pour sauter de joie le long de la ligne de touche en cas de succès. Face à la Juventus, samedi 3 juin, le chauve souriant dispute sa deuxième finale de Ligue des champions en un an, en ayant glané au passage son premier titre de champion d'Espagne. De quoi le propulser dans la catégorie des grands entraîneurs, aux côtés de Pep Guardiola ou Carlo Ancelotti ? Pas sûr...
Un entraîneur "pragmatique"
En cas de victoire face aux bianconeri, Zizou effacera des tablettes Arrigo Sacchi, dernier coach à avoir inscrit deux ans de suite son nom au trophée avec le Milan AC, en 1989 et 1990. Sauf que le technicien transalpin a aussi révolutionné tactiquement le football, avec des déplacements de joueurs jamais vus auparavant. Bien malin qui pourra définir le style de Zinédine Zidane autrement que par le mot "pragmatisme". "Même quand le Real a le ballon, ils restent à cinq joueurs derrière la balle pour annihiler toute contre-attaque, abonde Florent Toniutti, qui rédige le blog Chroniques tactiques. S'il a hérité de l'équipe de Rafael Benitez [son prédécesseur, remercié en cours de saison 2015-16], il n'a réellement changé qu'un joueur au milieu de terrain, le défensif Casemiro."
Joueur, Zinédine Zidane est resté marqué par Aimé Jacquet chez les Bleus, et Marcello Lippi à la Juventus, tous deux se revendiquant de l'école italienne. Ordre est donné à Casemiro de ne jamais franchir la ligne médiane, à l'image de Claude Makelele à l'époque des Galactiques, quand un certain Zinédine Zidane revenait rarement défendre.
L'équipe de l'ancien meneur des Bleus n'a pas l'obligation de bien jouer. Le "madridisme", c'est la culture de la gagne, de l'exploit avant tout. Même si de grands noms comme Fabio Capello ou Bernd Schuster ont dû faire face à la grogne des tribunes pour insuffisance de spectacle. "Le modèle du Real Madrid coïncide avec son objectif prioritaire : la victoire. Son style, c’est gagner. S’il joue bien, tant mieux. Si ce n’est pas le cas, il l’oublie dans les bulles de champagne", abonde le journaliste Enrique Ortego dans la revue spécialisée Panenka.
"Je n'ai pas révolutionné le football"
Le Français, en plein état de grâce, "n'a même pas à expliquer ses choix", constate Florent Toniutti. Zinédine Zidane parle peu et quand il ouvre la bouche c'est souvent pour enchaîner les banalités. "C'est ce qui fait sa force, estime Thibaud Leplat, auteur du livre Football à la française. Un peu à l'image de Chirac, c'est 'prenez moi pour un idiot, ça m'arrange', et dans la foulée, il gagne les élections." En découle l'image d'un personnage lisse, un peu ennuyeux, qui fonctionne en vase clos et se méfie de l'extérieur.
Sa grande qualité, c'est de maîtriser son vestiaire. Autant, avant son arrivée, les secrets du groupe madrilène fuitaient systématiquement dans la presse - l'entraîneur portugais Jose Mourinho avait lancé une canette de soda sur le gardien Iker Casillas, soupçonné d'être la taupe - et la fronde grondait contre Rafael Benitez, qui avait voulu astreindre la star Cristiano Ronaldo à des tâches défensives. Autant, le début de l'ère Zidane se déroule sans accroc. Thibaud Leplat souligne qu"il fait preuve d'une grande intelligence du vestiaire, un trait peut-être hérité de Vicente del Bosque." L'entraîneur moustachu l'avait dirigé dans la capitale espagnole au début des années 2000. Principaux faits d'armes : deux Ligues des champions glanées dans un vestiaire composé d'egos surdimensionnés.
Zinédine Zidane incarne le côté glamour, papier glacé, voulu par le club merengue. "Zidane n'a aucun détracteur, contrairement à un théoricien du football comme Guardiola, qui était l'homme à abattre pendant son passage au Barça. Personne n'étudiera le Real de Zidane dans les années à venir", insiste Thibaud Leplat. L'intéressé lui-même a conscience de ne pas boxer dans la même catégorie qu'un Pep Guardiola : "Je n'ai pas révolutionné le football."
Du chemin a tout de même été parcouru depuis ses débuts à la tête de l'équipe réserve du Real. Les relations entre un coach taiseux et des jeunes sans grandes perspectives d'intégrer l'équipe première étaient très mauvaises. Finis les changements inconsidérés, comme en finale de la précédente Ligue des champions, où il avait effectué ses trois remplacements très rapidement alors que le score était indécis (Laurent Blanc avait été étrillé pour moins que ça).
"Personne ne gagne un championnat par hasard"
Que le palmarès ne soit pas une condition sine qua none pour rentrer dans l'histoire, c'est établi depuis un bail. L'intérimaire Roberto di Matteo a beau avoir gagné la Ligue des champions avec Chelsea en 2012, il s'est fait virer du club comme un malpropre quelques mois plus tard. Aux dernières nouvelles, il cherche un club depuis un an depuis son éviction d'Aston Villa. "Le palmarès ne suffit pas. Qui peut soutenir qu'Arsène Wenger n'est pas un grand entraîneur, alors qu'il n'a jamais soulevé la Ligue des champions ?, argumente Thibaud Leplat. Le palmarès, c'est un raccourci pour ne pas se souvenir du style."
Signe que le débat n'est pas tranché, le quotidien AS, pourtant peu versé dans la critique contre le Real Madrid, a encore soulevé la question fin avril : "Entrenador o alineador ?" Zidane est-il un "entraîneur ou un "aligneur", qui a eu la chance de débarquer à l'apogée du plus bel effectif du monde ? La critique a été faite en son temps à Pep Guardiola. Comme en couverture du magazine anglais When Saturday Comes, qui glissait une bulle dans la bouche du coach catalan sous le titre "La philosophie de Pep" : "Toujours choisir le club le plus riche du championnat !" Réponse du quotidien Marca : "Personne ne gagne un championnat par hasard, et encore moins la Liga espagnole", le journal soulignant l'indispensable régularité nécessaire pour triompher sur 38 journées, quand une coupe est forcément plus aléatoire.
La une de @WSC_magazine. La philosophie de Guardiola? S’assurer d’aller dans le club le plus riche du championnat. pic.twitter.com/PjRkIeOAfQ
— Cahiers du football (@cahiersdufoot) 15 février 2016
Zinedine Zidane ne fait pas mystère de son envie de prendre la tête de l'équipe de France. Pourquoi pas en relais de Didier Deschamps après la Coupe du monde en Russie ? Ce n'est peut-être qu'à ce moment-là qu'on pourra se faire une idée de sa valeur sur un banc : "Il a enchaîné les succès, mais si vous me demandez s'il peut en faire autant s'il prend en main Tottenham, Chelsea ou Manchester United, mon instinct me dirait 'non, ça va être un désastre', s'interroge John Carlin, auteur du livre White Angels: Beckham, Real Madrid and the New Football interrogé dans le Bleacher Report. Mais qui sait, après tout ?"
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.