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Football européen : le calendrier post-covid a-t-il provoqué plus de blessures que d'habitude ?

Alors que les ultimes matches de cette année 2020 se jouent ce mercredi soir en Ligue 1, de nombreux entraîneurs de clubs européens se plaignent de blessures en cascade au sein de leur effectif. En cause selon eux : le calendrier surchargé de l'après-Covid. Pourtant, les premiers chiffres tendent à nuancer ce lien, et en disent beaucoup plus sur la nature du football aujourd'hui.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
 

Le football européen a charrié son lot de blessés sur ces premiers mois de compétition post-covid. Il suffit de s’attarder sur l’infirmerie du Paris Saint-Germain en cette période de Noël pour s’en rendre compte : ce mercredi, les Parisiens compteront neuf blessés au total face au RC Strasbourg. "A chaque match, on perd un joueur en ce moment", relevait l’entraîneur Thomas Tuchel avant d'affronter Nantes le 13 novembre dernier, et de perdre Kylian Mbappé dans la foulée. L’entraîneur parisien n’est pas le seul en Europe à se plaindre. Jürgen Klopp et Ole Gunnar Solksjaer en Angleterre, ou encore Diego Simeone et Zinédine Zidane en Espagne, ont tous déploré le surmenage de leurs joueurs.
 

Au cœur de leurs griefs : le calendrier resserré du football européen depuis la reprise cet été. Même la Fifpro, le syndicat mondial des joueurs professionnels, a constaté le 6 novembre dernier une "accumulation de la charge de travail pour les joueurs au cours du premier trimestre de la saison 2020-2021", une "charge mentale et physique" qui risque de perdurer "jusqu’à 2022". Les joueurs sont-ils vraiment mis en danger par l’accumulation des matches ? 

Seulement certaines blessures plus nombreuses

Du fait du manque de recul, il n'y a pas encore de véritable étude scientifique sur la question. Certains acteurs suggèrent des tendances : le Dr Pedro Luis Ripoll, médecin de plusieurs footballeurs professionnels en Espagne, a assuré au quotidien espagnol ABC que le nombre de blessures avait augmenté de 30% par rapport à la saison précédente. En Premier League, le site spécialisé Premier Injuries a dénombré 78 blessures musculaires au cours des cinq premières semaines de compétition, soit une hausse de 42% par rapport à la saison précédente. Mais ce ne sont que des études partielles, omettant un certain nombre d'éléments. Il est à ce jour impossible d'affirmer avec certitude que ce début de saison fait plus de dégâts physiques que les précédents. 

Au contraire, les premières tendances d'une étude lancée par l'UEFA montrent un effet a priori inverse. "Par rapport à la saison précédente, l y a eu 10% de blessures en moins à l'entraînement, 20% de moins en match. En revanche, les blessures musculaires ont augmenté de 35%", d'après un tweet de Jan Ekstrand, responsable de la gestion des blessures au sein de l'organisation.

Moins de blessures en match et à l'entraînement mais plus de blessures musculaires... comment lire ces chiffres en apparence contradictoires ? Pour Richard Page, chercheur en biomécanique à l'Université Edge Hill, au Royaume-Uni, et spécialiste des blessures résultant de l'accumulation des matches, cela confirme des tendances observées depuis plusieurs années. "Cela veut dire que d'un côté, la part de blessures augmente lorsqu'il y a accumulation de matches, et que de l'autre, les blessures sont moins sévères".

Ainsi, dans les "blessures musculaires" qui ont augmenté de 35% pendant la période, on trouve par exemple les déchirures musculaires. La plupart des absents que déplorent les entraîneurs tels que Thomas Tuchel ou Jürgen Klopp ne le sont que pour trois ou quatre semaines maximum.

Manque de vraie trêve 

La surcharge des matches, même si perçue de manière plus nette cette année par les acteurs du fait du contexte, n'est cependant pas nouvelle du tout. Thomas Tuchel s'était par exemple beaucoup plaint d'une reprise hors-normes en termes de densité. Depuis sa reprise le 10 septembre, à peine 18 jours après la finale de Ligue des champions perdue à Lisbonne, le PSG a ainsi disputé 12 rencontres, plus trois rendez-vous en sélection pour ses internationaux. Soit un match tous les 3,6 jours en moyenne pour les internationaux. 

Mais si on compare cette densité à celle de 2019, le constat est le même : du 10 septembre au 21 décembre 2019, les joueurs du PSG avaient joué 21 matches. En 2020 ? 22. C'est en réalité une tendance beaucoup plus lointaine. Pour Franck Le Gall, médecin de l'équipe de France de football et auteur de "Traumatologie du football et Return to play" (Editions Geoffroy, 150 pages, 28 euros) pas de doute : les calendriers sont surchargés, et ce depuis plusieurs années. "C’est trop. Il n'y a plus de vrais matches amicaux, l'entraîneur ne peut plus se dire qu'il va faire tourner par exemple. La trêve internationale n'est une "trêve" que pour ceux qui ne sont pas sélectionnés... Il y a toujours de l'enjeu, donc toujours un minimum d'intensité".

A l'entraînement comme en match, l'accumulation des rencontres à haute intensité a des conséquences sur ce que les joueurs exigent de leur propre corps. "Nous avons observé une tendance, pendant ces périodes, à ce que les joueurs ralentissent leur pas quand ils n'ont pas le ballon, consciemment ou inconsciemment pour préserver leur corps". Le problème, soulevé par Richard Page, est que l'accélération en match est typiquement perçue comme ce qui amène au but, à l'occasion de but, ou au bon tacle. Alors, quand l'occasion se présente, le joueur a tendance à oublier ses capacités du moment. "Dans ces moments, les joueurs n'ont pas la capacité de le faire mais le font quand même. Cela explique l'augmentation des blessures musculaires lorsqu'il y a accumulation de matches".

Au-delà de la problématique du calendrier, toute la question est donc de cibler les joueurs qui sont en état de fatigue, pour prévenir cette éventuelle blessure. "Nous avons des éléments objectifs, des données GPS, des charges de travail, des temps de jeu, des questionnaires de fatigue, le retour des staffs médicaux, qui nous permettent de dire si un joueur est plus susceptible qu'un autre de se blesser".

Une fois le diagnostic fait (joueur en état de jouer ou pas, ndlr), le médecin passe le relais. "Nous les médecins, on fait notre recommandation à l'entraîneur, et c'est à lui de trancher". Et c'est là que le bât peut blesser. Car, hormis l'avis du médecin, un joueur fatigué ressemble - visuellement - à un joueur apte à jouer. Il arrive donc que l'entraîneur fasse prévaloir l'intérêt sportif du match. Ne reste alors plus que la bonne - ou la mauvaise - fortune du joueur : "Parfois il y en a qui enchaînent des matches, qui sont dans le rouge, qui jouent quand même et qui ne se blessent pas, nous raconte Franck Le Gall. Heureusement, il y a cette part d'irrationnel dans le sport qui fait que tout n’est pas figé". 

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