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Petits pots sur le practice, clubs sciés et shows télé : comment Tiger Woods est devenu un champion de golf avant ses 5 ans

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le tout jeune Tiger Woods, deux ans, lors de son apparition au "Mike Douglas Show", le 6 octobre 1978. (CBS PHOTO ARCHIVE / CBS / GETTY IMAGES)

Obélix est tombé dans la potion magique quand il était petit. Tiger aussi.

Après coup, il est tentant de réécrire la légende. Le père de Tiger Woods a raconté à un des biographes de son fils que dans le ventre de sa mère, venue suivre son mari lors d'un tournoi californien, le fœtus s'était brutalement arrêté de donner des coups de pied aux abords des greens. Et il était demeuré étonnamment calme tandis que sa maman, Kultida Woods, respirait le bon air d'un 18 trous.

Chouette anecdote. Invérifiable, certes. Mais qui colle formidablement bien au récit des premières années de Tiger Woods, incontestable star du golf mondial, qui va fouler l'herbe de Saint-Quentin-en-Yvelines à l'occasion de la Ryder Cup, du 27 au 30 septembre. Une histoire qui montre que tomber dans la potion magique quand on est petit, ça aide. Car si des enfants prodiges comme Andre Agassi ou Nadia Comaneci ont attendu d'être propres avant d'éclater à la face du monde, le petit Tiger Woods s'y est mis bien avant. La preuve.

Premier swing à 11 mois

Poc. Poc. Poc. C'est le bruit de fond tous les soirs chez les Woods. Earl, le paternel, s'est découvert une passion pour la petite balle blanche, au moment où il fuit sa première femme pour changer de vie. Pour travailler son swing par tous les temps, il a transformé son garage en practice. Un carré d'herbe, un tee et un filet pour récupérer les balles. De plus en plus souvent, s'y ajoute une chaise haute. Le petit Tiger est fasciné par ce spectacle. Sa mère s'est rendu compte qu'il était plus facile de lui faire ingurgiter son petit pot au rythme des coups paternels. Poc. Une cuillerée pour papa. Poc. Une cuillerée pour maman.

Jusqu'au jour fondateur où le gamin à la démarche maladroite descend de son piédestal, titube sur le green et emprunte un des clubs de papa. Et tente d'envoyer à son tour la balle dans le filet. Que croyez-vous qu'il arriva ? Le gamin réussit du premier coup. "J'étais sidéré", raconte Earl à John Strege, auteur d'une biographie de son fils sobrement intitulée Tiger. "Je n'avais jamais rien vu d'aussi terrifiant." Le mouflet n'a que 11 mois. "Sa capacité à m'imiter était troublante", poursuit le paternel, dans Sports Illustrated (en anglais) en 1991. "C'était comme me regarder en miniature, dans un miroir." Kultida a conservé d'autres souvenirs, plus pratiques, de cette période où l'enfant tue le temps avec une balle de tennis et le manche de l'aspirateur : "Quand il avait fini de taper, je le remettais dans sa chaise haute et il s'endormait aussitôt après."

Première télé à 2 ans

Après le practice, place aux choses sérieuses. C'est à 18 mois que Tiger débarque pour la première fois sur un 18 trous. 374 mètres et onze coups plus tard, l'enfant prodige envoie sa balle dans le premier trou. Sept coups au-dessus du par, le score théorique pour un golfeur moyen, qui lui ne joue pas avec un club scié de moitié et en sachant à peine marcher. Six mois plus tard, Earl décide de prendre la carrière de son fils en main et passe un coup de fil à la filiale locale de CBS en Californie et demande à parler à Jim Hill, journaliste sportif. "Mon fils a 2 ans et je ne vais pas y aller par quatre chemins : il sera la prochaine grande révélation du golf. Il va tout révolutionner, y compris les relations entre les différentes races." Une entrée en matière plutôt directe, racontée dans la monumentale biographie Tiger Woods, de Jeff Benedict et d'Armen Keteyian, traduite en français chez Hugo Sports.

Le lendemain, Hill débarque avec une équipe au Navy Golf Course, près de Los Angeles, où les Woods ont leurs habitudes. "Il faisait moins d'un mètre et envoyait des coups de fusil à cinquante mètres à chaque fois", se souvient Hill. Le journaliste hasarde une question au marmot, lors d'une pause sur les genoux de son papa. "Tiger, dis-moi ce que tu aimes dans le golf ?" Silence. "Tiger, ma carrière est entre tes mains. Il faut que tu me dises pourquoi tu aimes tant le golf." L'enfant ne desserre pas les dents... avant de lâcher : "Il faut que j'aille faire caca." Déjà meilleur club en main plutôt qu'avec un micro, le Tiger. Confirmation lors de son deuxième passage, lors d'un show télé avec l'acteur Jimmy Stewart en plateau.

Première comparaison avec Mozart à 4 ans

Hill s'était d'ailleurs hasardé à un pronostic : "Ce garçon sera un jour au golf ce que Chris Evert et Jimmy Connors sont au tennis." Les joueurs de tennis forts en gueule ne sont pas en cour chez les Woods. Kultida, consciente du potentiel de son fils, l'a mis en garde contre toute algarade : "Je refuse que tu détruises ma réputation de parent. A la seconde où tu te comporteras comme Connors ou McEnroe, tu prendras la fessée de ta vie." Pour l'instant, c'est surtout Earl Woods qui doit se prémunir du retour de bâton. Après avoir claironné que son fils avait terminé la moitié du parcours du Navy Golf Course en 48 coups à deux ans à peine – ce qu'un Jack Nicklaus n'avait réussi qu'à l'âge canonique de neuf ans – le patriarche a dû préciser que Tiger avait eu droit au tee tout le long du parcours et qu'il s'agissait de la version allégée du programme.

Quatre ans. L'âge des premières brimades pour Tiger Woods. Le Navy Golf Course décide d'appliquer une règle jusque-là inusitée dans le règlement, qui stipule que l'accès aux greens est interdit aux enfants de moins de 10 ans. Les Woods ont beau arguer que des bambins blancs peuvent s'égayer sur le parcours sans surveillance, rien n'y fait. Earl emmène son fils dans un autre club, près de Long Beach, où Tiger va développer ce qui constitue encore aujourd'hui les points forts de son jeu (le jeu court, sa capacité à se sortir de situations désespérées). Rudy Duran, un pro qui s'entraîne là-bas, tombe sous le charme du môme quand il lui fait passer une évaluation pour mesurer son niveau : "Le gamin est sorti de la cuisse de Magic Johnson ou de Mozart. Le talent suintait de chacun de ses doigts !"

Il n'y a pas que le talent qui suinte de Woods. Un beau jour, son père entend la poche de son fils tinter quand il frappe la balle. Interrogé sur l'origine du bruit, l'enfant répond : "Papa, j'ai gagné ces quarters [des pièces de 25 cents] en pariant lors de concours de putts avec des copains." Le paternel s'embarque dans une leçon de morale conclue par ces mots : "Tu me promets de ne plus jouer pour des quarters !" Quelques jours plus tard, il le surprend à compter les billets d'une liasse qu'il sort de sa poche. "Ben quoi, je ne joue plus de quarters, on fait des paris sur l'ensemble du parcours [un skins game, où chaque trou correspond à une mise différente]". Earl lui fait promettre de cesser tout jeu d'argent avant de se reprendre, "sauf quand je suis ton partenaire".

Premières frictions

C'est Earl qui dirige la carrière de son fils dans les moindres détails. Il lui fait écouter du jazz car il pense que ce style de musique stimule la créativité. Il glisse des cassettes de motivation personnelle dans son walkman quand les gamins de son âge ne jurent que par Michael Jackson. Et il ne rate jamais une réunion parents-profs, contrairement à tous les autres pères. Surtout quand est abordé le sujet, apparemment anodin, des activités extra-scolaires, comme le foot ou le baseball. L'institutrice, madame Decker, suggère que pratiquer des jeux avec d'autres enfants permettra à son fils de s'ouvrir. En quelques semaines de cours, il n'a pratiquement pas desserré les dents.

L'enseignante, qui raconte la scène dans la récente biographie Tiger Woods, n'a pas le temps de finir son argumentaire. Earl la coupe et lui explique qu'il sait mieux qu'elle ce qui est bon pour son fils. Ce qu'Earl ne sait pas, c'est que Tiger prendra sa maîtresse à part quelques jours après et lui demandera à voix basse : "Vous pouvez demander à ma maman si je peux jouer au soccer ?" Si Kultida n'y voit pas d'objection, Earl est catégorique, Decker impuissante : "J'ai eu de la peine pour Tiger, je voulais vraiment qu'il se mélange aux autres."

Dans l'esprit d'Earl, Tiger n'a pas de temps à perdre à taper dans un ballon. Et se plaît à entretenir la légende familiale d'un enfant surdoué et demandeur. "Il me demandait tous les soirs 'papa, est-ce que je pourrai jouer avec toi ce soir ?' Chaque soir, je faisais mine de réfléchir, pour qu'il craigne que je dise non, avant d'acquiescer, raconte un Earl Woods pas peu fier dans Newsweek (en anglais). Il était tellement excité !"  C'est à ce prix que Tiger décroche, à seulement cinq ans, son premier article dans le magazine de référence Golf Digest, qui le décrit comme "aussi grand qu'un nettoyeur de balles et pesant à peine 22 kilos". Dans un DVD revenant sur son enfance, Tiger résume cette période d'un laconique "le golf, c'était ma décision". Un peu réducteur, sans doute.

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