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Un premier tournoi de golf féminin en Arabie saoudite, entre "moment historique" et instrumentalisation du sport

Pour la première fois de son histoire, l'Arabie saoudite accueille du 12 au 19 novembre deux tournois de golf exclusivement féminins. Les organisateurs souhaitent utiliser cet événement historique pour développer la pratique du golf chez les Saoudiennes. Si ces tournois féminins apparaissent comme une réelle avancée pour les libertés des femmes dans ce royaume ultraconservateur, certaines ONG estiment que ces compétitions ne sont que des prétextes pour "blanchir" l'image du pays à l'international.
Article rédigé par franceinfo
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L'Anglaise Mel Reid est une des seules joueuses à avoir refusé de participer aux tournois saoudiens. (MIKE COMER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Semaine historique pour le golf féminin. Le circuit féminin européen, le LET (Ladies European Tour) s'arrête pour la première fois en Arabie saoudite. Pendant une semaine, du 12 au 19 novembre, deux événements sportifs exclusivement féminins vont s'enchaîner au Royal Greens Golf Club, près de la ville de Djeddah : un tournoi réservé à 108 professionnelles du circuit (le Aramco Saudi Ladies International) sera suivi d'une compétition par équipes (le Saudi Ladies Team International), mêlant 36 amatrices aux pro. Ces deux dates, originellement programmées en mars mais reportées avec la pandémie de coronavirus, seront les troisième et quatrième tournois professionnels de golf en Arabie saoudite - le pays accueillant depuis 2019 une étape du Tour européen masculin. 

La compagnie Saudi Golf profitera également de ces deux événements sportifs pour lancer un programme de développement de la pratique du golf féminin au niveau national, qui se traduira par des cours de golf gratuits et une année d'adhésion offerte dans un des trois clubs du pays aux 1000 premières inscrites.

Cette semaine de compétition est vantée dans un communiqué comme un "moment historique pour le sport féminin dans le royaume et un moment décisif pour les jeunes Saoudiennes" par Majed Al Sorour, à la tête la fédération saoudienne de golf, qui a "hâte d'accueillir ces grands noms du golf féminin dans un tournoi qui a l'ambition de devenir un événement sportif majeur". De son côté, la directrice du LET, Alexandra Armas, se réjouit de "faire partie de l'histoire en amenant le premier tournoi de golf féminin en Arabie saoudite".

Le sport, un levier diplomatique

Si le royaume accueille pour la première fois un tournoi de golf exclusivement féminin, il a multiplié l'organisation de grands événements sportifs ces dernières années. Ces compétitions incluent - entre autres - des matches de boxe et de catch, le rallye raid Dakar 2020 (ainsi que les cinq prochaines éditions) ou encore la Supercoupe d'Espagne jusqu'en 2022. Début novembre, le pays a également officialisé l'organisation d'un Grand Prix en 2021

Investir dans le monde du sport est un axe du projet "Vision 2030" du prince héritier Mohammed ben Salmane, un plan visant à "diversifier l'économie du pays et attirer les investisseurs et touristes étrangers", explique Raphaël Le Magoariec, spécialiste des politiques sportives dans les pays du Golfe. "A travers cette stratégie, les dirigeants saoudiens souhaitent redorer l'image du pays. C'est une opération de séduction du royaume, qui utilise les valeurs du sport pour masquer les réalités sociales d'Arabie saoudite, réalités qui ne sont pas forcément positives aux yeux du reste du monde", poursuit le doctorant à l'université de Tours. 

Une stratégie de "sport-washing" (ou instrumentalisation du sport) régulièrement dénoncée par certains activistes. Pour Inès Osman, avocate et fondatrice de l'ONG MENA Rights Group, le royaume "utilise le sport pour se donner l'image d'un pays moderne et camoufler la catastrophique situation des droits humains"

Une timide politique d'ouverture vers le sport féminin

Si les femmes ont investi "le monde sportif dès les années 1960-70 dans la région de Djeddah, une région historiquement plus ouverte vers l'extérieur et moins conservatrice que Ryad", explique Raphaël Le Magoariec, la pratique sportive féminine reste limitée dans l'ensemble du royaume. Première participation d'athlètes saoudiennes au JO de Londres en 2012, cours de sport pour les filles des écoles publiques depuis 2016 ou encore droit obtenu par les femmes en 2018 d'assister à des matches de football dans trois enceintes du pays : des avancées ont été réalisées ces dernières années en Arabie saoudite. Mais cette récente volonté affichée en faveur du sport féminin pose toutefois question : "L'impulsion des dirigeants saoudiens à l'échelle nationale va-t-elle vraiment se mettre en action sur le terrain ou va-t-elle seulement rester au stade de la communication ?", se demande le spécialiste des politiques sportives des pays du Golfe. 

La communication est en tout cas un outil que maîtrisent les organisateurs du Aramco Saudi Ladies International. Sur les réseaux sociaux, la dimension historique et novatrice des deux tournois féminins est constamment mise en avant par le hashtag #LadiesFirst ("les dames d'abord") et par une série de portraits de Saoudiennes inspirantes ayant "surmonté les obstacles pour atteindre leurs rêves". Une campagne "totalement hypocrite au vu de la situation désastreuse des droits des femmes en Arabie saoudite" selon l'avocate et militante des droits de l'Homme Inès Osman, qui rappelle l'existence d'un "système de tutelle masculine qui limite considérablement l'émancipation des Saoudiennes". À titre d'exemple, jusqu'à l'année dernière, les femmes devaient avoir l'autorisation d'un homme de leur famille pour pouvoir voyager.

Appel au boycott d'ONG

Autre problème majeur dans le royaume selon les défenseurs des droits humains : la campagne nationale de répression contre des militantes saoudiennes, menée entre mai et juillet 2018. Cinq d'entre elles, qui réclamaient l'obtention du droit de conduire pour les femmes, sont emprisonnées depuis plus de deux ans. "Tenir des événements exclusivement féminins dans un pays où les personnes qui luttent pour améliorer le quotidien des femmes sont en prison, on ne peut que qualifier ça d'hypocrisie", déplore Inès Osman.

En tant que directrice de MENA Rights Group, l'avocate franco-algérienne a signé avec dix-huit autres organisations de lutte pour la défense des droits humains, une lettre ouverte appelant les joueuses à reconsidérer leur participation aux tournois saoudiens et à exhorter la libération des féministes emprisonnées. Pour ces ONG "si l’Arabie saoudite était sincère au sujet des droits des femmes, elle libérerait immédiatement et sans condition toutes les personnes encore détenues pour avoir défendu pacifiquement les droits humains".

"Petit pas vers le changement"

Mais l'appel des ONG a eu peu d'échos chez les joueuses professionnelles, qui voient plutôt les tournois saoudiens comme une manière de "promouvoir le golf féminin dans un nouveau pays". Manon Gidali, une des huit Françaises qui jouera en Arabie saoudite, considère cette semaine comme "un petit pas vers le changement", un sentiment partagé par Maha Haddioui. La Marocaine, seule golfeuse professionnelle du monde arabe, déclarait en mars à ArabNews être "fière de pouvoir inspirer les petites filles d'Arabie saoudite", et espérait que l'événement allait "créer des vocations chez les femmes arabes"

Seules deux proettes (terme désignant les joueuses professionnelles) se sont désolidarisées du tournoi : les Anglaises Mel Reid et Meghan MacLaren. La première, qui compte six titres du LET à son actif, a fait son coming-out en 2018 et a déclaré au magazine américain Golfweek ne "pas à être l'aise à l'idée de visiter ce pays", où l'homosexualité est passible de la peine de mort. De son côté, Meghan MacLaren, meilleure Britannique la saison dernière, avait annoncé en janvier faire l'impasse sur le tournoi saoudien, étant en désaccord avec "la façon dont il est utilisé en Arabie saoudite" : "j’essaie de prendre mes décisions en fonction de qui je suis en tant que personne, pas seulement en tant que joueuse de golf, avait affirmé le détentrice de deux titres en LET au Telegraph. C’est évidemment un tournoi énorme pour nous, mais pour moi cela dépasse le cadre du golf. Je souhaite que le sport dans son ensemble soit plus attentif aux implications et à ce qui est véritablement bénéfique, avec plus de recul."

Un gros tournoi dans un contexte difficile

Mais pour Alexandra Armas, directrice du LET "au courant des débats" sur le pays d'accueil de la compétition, "le tournoi a lieu pour les bonnes raisons (...) : développer la pratique du golf, sans prendre en compte l'âge, le genre ou le milieu socioéconomique", comme elle l'expliquait à l'agence de presse Reuters. Alexandra Armas soulignait également qu'en tant que directrice du circuit féminin, sa "responsabilité était de donner des opportunités de jouer (aux) athlètes". Alors que beaucoup de tournois du circuit ont été annulés cette saison en raison de la crise sanitaire mondiale, le maintien des compétitions saoudiennes est donc une aubaine pour le Tour européen féminin. Et pour les joueuses. Manon Gidali, l'actuelle quatrième meilleure Française du circuit, est "heureuse de participer (à Djeddah), ça permet de renouer avec la compétition. Le tournoi saoudien est une opportunité de pouvoir jouer, alors qu'on en a longtemps été privées cette année".

En plus de leur permettre de retrouver la compétition, les tournois saoudiens peuvent rapporter gros aux joueuses. Les deux événements ont une dotation totale d'1,5 million de dollars (environ 1,3 million d'euros). Avec son million de dollars de gain (860 000 euros), le Saudi Ladies International représente le troisième plus gros tournoi du circuit en termes de récompenses financières, après le Ladies Scottish Open et l'Open britannique féminin. Un argument financier non-négligeable pour inciter les proettes à venir, à l'instar de Manon Gidali : "C'est un tournoi qui offre une très belle dotation pour les femmes, ce qui est grande chance pour nous dans ce contexte compliqué. Le LET a perdu beaucoup de sponsors ces derniers temps et les gains du circuit féminin sont très faibles comparés à ceux des hommes." Difficile dans cette situation de lutter contre ce que l'avocate Inès Osman nomme la "politique du chèque" du prince saoudien Mohammed Ben Salmane.

Dans une "saison compliquée avec très peu de tournois joués", renoncer au Saudi International serait se tirer une balle dans le pied selon Manon Gidali. "Ce n'est pas qu'une histoire financière, mais aussi de ranking", explique-t-elle. Les joueuses professionnelles obtiennent chaque saison un droit de jeu, établi en fonction des résultats des tournois et des dotations. "Du coup, on se doit de faire quasiment tous les tournois parce que sinon, on risque de perdre notre droit de jeu", conclut la joueuse de 27 ans. 

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