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Mondiaux de gymnastique : Libérez Simone Biles !

Edito. Simone Biles a laissé un peu plus sa trace dans l’histoire de la gymnastique samedi en réussissant des figures jamais vues dans les annales et qui porteront à jamais son nom. Pourtant, les instances mondiales de la discipline ont cru bon d’en atténuer la portée en en limitant le score que lui rapportent ses prouesses. Une hérésie.
Article rédigé par Loris Belin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
 

Ce n’était pourtant que les qualifications des Mondiaux de Stuttgart. Les choses sérieuses n’avaient pas vraiment commencé, notamment pour Simone Biles. La nouvelle moisson de médailles de la reine de la gymnastique en Allemagne ne fait pas - sauf blessure - le moindre doute. Les Américaines étaient d’ores et déjà qualifiées par équipes pour les prochains Jeux de Tokyo. Samedi, Biles n’aurait dû avoir pour seule préoccupation et pour seul enjeu que de marquer l’histoire de deux sauts inédits, irréels, suspendus dans le temps. Pour la beauté du sport, pour les annales. La Fédération mondiale a foulé du pied des instants qui ne devaient être que magiques. Et qu’elle a transformé en polémique.

Dans l’ombre de l’actualité sportive et de sa propre aura qui rend ses exploits d’une éclatante banalité, Simone Biles a donc fait vivre à la gymnastique une de ses plus belles journées. La quadruple championne olympique a débarqué outre-Rhin avec comme objectif de faire valider deux nouvelles figures, des œuvres d’art dont elle seule a le secret. Deux mouvements jamais vus en gym : une sortie en double-double (double vrille - double salto) à la poutre et un triple-double (trois vrilles, deux saltos) au sol.

Deux nouveaux mouvements porteront à jamais son nom

Ce dernier, Biles l’a passé avec une facilité déconcertante, décollant après seulement dix secondes de programme à une hauteur vertigineuse (elle ne mesure pourtant qu’1,45m !) pour tutoyer les étoiles. Pour le désormais nommé "The Biles II", tout va pour le mieux.

Vient le tour de son petit frère. Cette pirouette, dont le commun des mortels considérerait la réussite comme un authentique exploit, Biles en a fait une routine à l’entraînement. Elle l’avait déjà réalisée un mois plus tôt lors des Championnats des Etats-Unis. Mais pour qu’une figure passe à la postérité, la règle veut qu’elle doive être réalisée dans une compétition régie par la Fédération Internationale de Gymnastique (FIG).

Qu’à cela ne tienne, c’est donc au Hanns-Martin-Schleyer-Halle de Stuttgart que l’histoire serait écrite. Biles a tout fait pour, exécutant quasi impeccablement sa prouesse. "The Biles I" était né. Mais il ne portera jamais le sceau de la perfection. Les dirigeants de son sport en ont décidé ainsi. Chaque figure en gymnastique se voit ainsi attribuer une note technique de A à J, chaque lettre correspond à un dixième de point, de 0,1 point à un point complet, une rareté. La semaine passée, la FIG a annoncé que ce double-double, inventé et donc proposé par l’Américaine, valait un G. Soit la même note que s’il avait été réalisé au sol, avec pourtant toute la difficulté que comporte la poutre.

Quelle autre prestation qu’un enchaînement qu’aucune autre athlète n’a réussi à cause de sa complexité et sa technicité aurait plus mérité la note maximale ? Biles a préféré en rire, d’un tweet tout de même ponctué d’un "bullshit", connerie en VF, pour signifier son mécontentement sans en faire des tonnes.

Imiter, pas limiter

La voilà qui possède désormais quatre figures à son nom, elle en avait déjà signé une autre au sol, "The Biles I" et une au saut de cheval. La belle affaire ! Mais à quoi bon vouloir la limiter dans sa notation, en dépit de tout bon sens ? Le comité technique de la gymnastique féminine (WTC) a attendu que la grogne enfle avant de s’expliquer. "Dans l’assignation d’une valeur à tout nouvel élément, le WTC prend en considération de nombreux aspects différents : le risque, la sécurité des athlètes et la direction technique vers laquelle va la discipline. Réussir un double salto ajoute un risque à la réception à la sortie de la poutre, notamment d’une réception sur la nuque. Il y a de nombreux exemples où nous avons pris des décisions pour protéger les gymnastes et préserver l’orientation de la discipline."

L’explication d’une mesure de précaution a bien du mal à convaincre. Vouloir limiter la valeur d’un saut sans commune mesure, c’est comme vouloir passer un coup de gomme à une trace indélébile pour en atténuer la netteté : un non-sens absolu. L’argument qu’il est trop dangereux de réaliser ce que Biles effectue quotidiennement ne fait que renvoyer à ses adversaires qu’elles n’ont pas les moyens de lutter. Voir une icône de son sport réaliser ce qui n’a jamais été fait devrait les pousser à vouloir l’imiter pour parvenir à son niveau. L’assassine WTC préfère tuer dans l’œuf l’essence-même du sport : créer l’émotion, voir l’impossible se dérouler sous nos yeux ébahis. Et comment justifier alors l’existence des degrés techniques les plus hauts, I et J, puisqu’ils impliqueront systématiquement une prise de risque, savamment contrôlée par des heures d’entraînement, pour pouvoir être réalisés ? Ne parle-t-on pourtant pas de "sauts périlleux" ?

"Est-ce que je suis une classe à part ? Oui"

C’est aussi brider une artiste en lui montrant que réussir des exploits sans précédents n’est pas suffisant pour justifier d’une note parfaite. A quoi bon repousser ses limites de créativité et d’efforts quand vous savez que de toute façon, la froide vérité mathématique du concours sera exactement la même ? La fédération internationale de gymnastique fait payer à Simone Biles d’être simplement hors normes. "Est-ce que je suis une classe à part ? Oui, a répondu Biles à la chaîne américaine NBC. Mais cela ne signifie pas que vous ne pouvez pas m’en attribuer le mérite. Ils ne cessent de nous demander de mettre plus de difficulté, et encore plus de talent artistique. Alors nous le faisons, et derrière nous n’en sommes pas récompensés. Et je ne pense pas que ce soit juste."

La Fédération internationale devrait faire de Biles un exemple, un étendard pour sa discipline comme elle n’en connaîtra peut-être que tous les 50 ans. Au lieu de cela, elle l’a placée de force dans un cadre bien trop étriqué pour elle. Tant pis pour la FIG, elle ne pourra en sortir grandie. Biles, elle, ne semble pas vouloir s’arrêter de nous émerveiller. D’un H ou d’un J.

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