Affaire des paris illicites : le procureur les attend de pied ferme
C’est un réquisitoire particulièrement sévère du parquet de Montpellier que nous avons pu consulter. Il est basé sur quelques évidences qui frappent et dont les prévenus, s’ils sont renvoyés devant le tribunal, devront se défaire ; comme celle-ci « Au total les sommes engagées… par les joueurs impliqués et leurs proches atteignaient donc le montant de 103 100 euros, soit 99% des paris engagés dans tout l’hexagone… cela signifiait donc que les joueurs du MAHB impliqués et leurs proches étaient les seuls parieurs en France (et même dans le monde, via les paris par internet) à être parvenus à la conclusion que la défaite du MAHB à la mi-temps était un résultat envisageable et même inéluctable puisque tous avaient engagé des sommes conséquentes, pour ne pas dire démesurées au regard des ressources de certains. » et de conclure qu’ils étaient donc « les seuls à avoir gagné et empoché 2,9 fois la mise qu’ils avaient passée ».
Comment lutter contre les évidences ?
Dès la page 20, le procureur énonce donc le débat autour duquel pourrait tourner le procès, une tautologie : comment un joueur qui parie une forte somme contre son équipe ne pourrait-il avoir envie de rentrer dans son argent ? Car si personne n’a avoué avoir truqué le résultat du match, certains des mis en cause ont reconnu avoir parié de manière concertée, même s’ils sont revenus sur leurs déclarations par la suite. Comme Jennifer Priez, la compagne de Luka Karabatic, qui reconnaissait à chaud « je savais qu’il fallait parier le plus tôt possible, aux alentours de 10h avant que la cote baisse…C’est Luka qui me l’avait dit ».
Ou encore Guiseppe Palumbo, employé de Pizzeria et ami de Mladen Bojinovic, joueur emblématique du MAHB à l’époque qui lui avait conseillé de « jouer Cesson gagnant à la mi-temps » ce qui lui permettait d’affirmer en audition avant de se rétracter « je savais qu’il n’allaient pas jouer le match comme d’habitude ». Le parquet pointe ces déclarations, puis ces dénégations quelques temps après, tout comme le système commun à presque tous les prévenus de faire valoir leur droit au silence durant les gardes à vue.
En défense comme en attaque la stratégie sera-t-elle payante ?
Au fil des pages le procureur met au jour une stratégie de défense commune qu’il met en parallèle avec la stratégie de paris le 12 mai 2012 et qu’il qualifie d’un mot : concertée. En somme, il suggère déjà aux juges que des prévenus qui adoptent tous la même défense ne peuvent qu’être liés par le même secret. Et qu’en plus quatre d’entre eux étaient sur le terrain.
Mais il s’appuie aussi sur des faits beaucoup plus tangibles comme les relations téléphoniques entre tous les protagonistes -dont certains ne s’appellent à aucune autre occasion qu’autour de ce 12 mai- des dizaines d’appels la veille au soir, dans la nuit, le matin, encore plus de sms échangés dans cette période, et beaucoup disparus puisqu’effacés à l’occasion de plusieurs judicieuses réinitialisation de téléphone mobile. Autant de communication qui prouvent selon le parquet une organisation, avec un top départ vers 10h du matin pour parier plus de 100 000 euros en moins de deux heures. C’est à ce stade qu’apparait Nikola Karabatic, puisque c’est sur son téléphone qu’on a chargé l’application « parions sport » la veille au soir, et qu’elle a été consultée juste avant le déclenchement des paris.
Le Cas NK
Concernant NK, si un jour il est reconnu coupable d’escroquerie devant un tribunal, il pourra longtemps se poser des questions sur sa stratégie de défense, car lui n’a pas parié directement, n’a pas joué, n’a pas retiré de ticket gagnant. Mais comme il s’est toujours retrouvé dans l’environnement des parieurs et en particulier de sa compagne Géraldine Pillet, qu’il a adopté la même défense que les autres, il termine finalement pour le procureur dans le même sac. Même pas complice d’escroquerie mais tout bonnement auteur d’escroquerie, entre autre parce qu’il a lui aussi fait partie du voyage à Ibiza, financé par les tickets gagnants misés avec la cagnotte des joueurs. Pour le procureur, les tentatives de sa compagne de lui servir d’alibi ne sont pas crédibles…
Comment se prendre les pieds dans le parquet ?
A ce titre les déclarations contradictoires ou même infondées de Samuel Honrubia et Dragan Gajic, les deux ailiers de l’époque du MAHB (seul Gajic a joué le match) semblent amener de l’eau au moulin de l’accusation. Ils ont le plus grand mal à justifier l’utilisation des sommes en liquides qu’ils ont retirées. Pour Gajic après avoir tenté d’expliquer que les 4000 euros retirés de son compte avaient servi à payer une transaction chez un notaire (ce qui s’est avéré faux puisque le notaire a été payé par chèque), il a ensuite expliqué qu’il les avait prêtés à Samuel Honrubia, sans pour autant lui demander ce qu’il désirait en faire.
Quant à Samuel Honrubia, on sent qu’en retraçant ses déclarations le procureur boit du petit lait… Honrubia affirme dans un premier temps que les 3000 euros retirés de son compte avaient servi à acheter « un téléviseur 3D » ! Ce qui s’avérait faux puisque là aussi il y avait un chèque ! Puis il change d’avis et se souvient que finalement il a prêté cet argent à son ami Ayoub Chah -un des parieurs- sans savoir ce qu’il allait en faire. Puis il avouait avoir accompagné M.Chah jusqu’au bureau de tabac pour parier le jour du match vers 10h, reconnaissant donc qu’il avait lui-même parié mais niant que le match aurait été « arrangé ».
Les Boss
Pour le parquet, au dessus de cette pyramide de paris trônent deux hommes, des parieurs compulsifs, Mladen Bojinovic (une légende du club) et son ami Nicolas Gillet, tenancier de bar dans la banlieue de Montpellier et de point FDJ –sic- et donc très au courant des pratiques. C’est par eux que le système de paris éclair aurait été mis au point ainsi que celui consistant à attendre que la cote du pari à la mi-temps proposé par la FDJ baisse à 2,9 pour lancer l’action. Car autre point important, tout le monde a opté, comme par hasard pour le même mode opératoire, à savoir parier dans la même heure, des tickets de 100 euros que l’on passe des dizaines de fois.
Pourquoi ? Flairant le coup monté à midi, la FDJ bloque les paris sur le score à la mi-temps, mais les jeux sont déjà faits pour nos parieurs. Avec des tickets à 100 euros et une cote de 2,9 soit 290 euros de gains les gagnants restent anonymes puisqu’on ne doit décliner son identité qu’à partir de 500 euros de gains. Pour le procureur, seuls des pros du pari peuvent connaître cette « combine ». Les communications téléphoniques mettent Dougui- le surnom de Bojinovic- au centre du système donnant « le top départ » des paris le matin du 12 mai 2012. Jennifer Priez demandait d’ailleurs le matin du match si Luka Karabatic « avait eu Dougui ? ». Son ami Gillet lui est le plus gros parieur avéré, d’abord dans son établissement (15 000 €) puis dans le tabac d’en face (10 000 €). Bojinovic reconnaît lui 4000 € mais l’enquête le soupçonne de plus de 15 000 € également.
Une particularité du droit français
Au détour d’une parenthèse Patrick Desjardins résume sa vision du dossier au départ « une petite combine, devenue une escroquerie d’envergure puis un scandale majeur du sport français ». Ce qui en terme juridique peut se dire aussi « Le fait de parier sur un résultat que l’on est sûr de pouvoir maîtriser grâce à la présence de joueurs impliqués dans l’entente préalable et ayant eux-mêmes investi de fortes sommes, selon un mode opératoire tendant à garantir l’anonymat des parieurs, à rechercher l’effet de surprise pour déjouer les système de protection de la FDJ, constituent des manœuvres frauduleuses de nature à tromper la FDJ et la déterminer à remettre des gains indus au regard de la tricherie réalisée. »
Car c’est une particularité du droit français, l’escroquerie peut être constituée même sans la preuve de la tricherie –le match truqué en l’occurrence- voici pourquoi chez nous l’église de scientologie ou les témoins de Jéovah ont par exemple été épinglés et pas au Etats-Unis ou en Allemagne par exemple. En France un faisceau de présomptions concordant (des évidences) peut suffire… Ainsi, et c’est la surprise pour beaucoup, le parquet n’évoque presque pas l’expertise du match qui amène à la conclusion que l’équipe de Montpellier aurait sous-performé le 12 mai 2012. C’est pourtant un terrain sur lequel les avocats de la défense voudront batailler… Mais ils risquent d’être bien seuls, car ils ne trouveront pas l’accusation en face d’eux. Elle estime que le reste du dossier suffit largement à son bonheur accusateur.
Le procès, qui sans doute s’annonce, sera passionnant. Une première en France dans ce domaine, il pourrait se tenir vers la fin du printemps. Les juges d’instruction ont encore trois semaines avant de décider de renvoyer les seize prévenus devant le tribunal correctionnel de Montpellier. Ils risquent en théorie jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et jusqu’à 500 000€ d’amende.
Par Thierry Vildary
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