Mondial 2019 : Dumoulin et Gérard partent "à la guerre ensemble"
13h35. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix-neuf, Cyril Dumoulin, décontracté, café à la main, rejoint le fond du hall d’entrée de la Maison du Handball, pour s’asseoir sur le canapé flambant neuf où nous étions installés. Tout juste le temps de prendre une douche et d’avaler le déjeuner, après deux heures d’entrainement, le gardien du HBC Nantes prend le temps de découvrir le mur photos, face à nous, où sont affichés les joueurs qui ont marqué l’histoire des équipes de France.
Pendant qu’il nous rassurait sur son état physique, après quelques gros pépins en début de saison, mais maintenant résolus, Vincent Gérard, le gardien du Montpellier Handball, arrive à son tour avec quelques minutes de retard. "Il met du temps à se coiffer", plaisante Cyril Dumoulin. L’entretien peut commencer.
"Maintenant, c’est Vincent et moi."
Vous avez disputé votre première compétition ensemble à l’Euro 2014, jusqu’à vous retrouver l’an dernier, à l’Euro en Croatie, au poste de numéro 1 et 2. Comment jugez vous votre évolution ?
Vincent Gérard : "2014 ne compte pas vraiment, dans le sens où on attendait que Thierry revienne. On ne peut pas dire que l’on était gardien de l’équipe de France tous les deux à ce moment là, je pense. Il y avait Thierry et nous derrière. Après, l’an dernier a plutôt été une réussite parce que l’on a tous les deux apporté notre pierre à l’édifice."
Cyril Dumoulin : "C’est complètement différent de ce que l’on vit aujourd’hui. A l’époque c’était Vincent ou moi, pour être dans l’équipe. C’était même pas pour être sur le terrain. Maintenant on est tous les deux dans l’équipe, c’est Vincent et moi. Je le répète souvent, c’est une différence énorme et une situation beaucoup moins frustrante. C’est une autre manière d’aborder notre relation. On ne se pose plus la question : « Qui va être en tribune ? ». Le temps de jeu va être partagé et on part à la guerre ensemble."
L’année dernière Thierry Omeyer était présent dans la liste élargie des 28. Cela a posé beaucoup d’interrogations. Comment l’avez-vous vécu ?
V.G. : "Il avait clairement pris sa retraite internationale et sa présence dans le groupe élargie était en cas de blessures. C’est Thierry Omeyer ! C’est faire injure de dire que son nom n’a pas plané quand tu as eu le meilleur gardien de tous les temps dans ton équipe pendant 10 ans. Il nous a très bien préparé quand on était à ses côtés, il a partagé, il a échangé. A partir du moment où il a pris sa retraite, c’était à la nouvelle génération de se prendre en main. On n’assume pas ses responsabilités quand il y a quelqu’un qui te dicte quoi faire. Il a très bien fait son boulot, avant, en nous donnant les ficelles. A nous de voler de nos propres ailes."
C.D. : "Très bien résumé. C’est exactement ça. On a tous les deux partagés des années à ses cotés, on a beaucoup appris avec lui. Maintenant, il y a cette volonté de prendre la suite. On a eu le droit à ses encouragements et son soutien pendant l’Euro."
"Thierry tu ne le remplaces pas !"
Vous êtes libérés de ce poids un an après ?
C.D. : "C’est cliché mais Thierry tu ne le remplaces pas ! Ce qu’il faut c’est faire le « deuil » de Thierry en équipe de France. Nous on l’avait fait et on n’avait pas à s’en plaindre (rire). C’est les gens, autour, qui prenaient plus de temps à nous comparer, mais c’est deux choses différentes. C’est pareil aujourd’hui, on ne remplace pas Nikola Karabatic, on fonctionne autrement."
V.G. : "Oui, tu es obligé de faire différemment. L’erreur à commettre c’est se dire : « faut que je sois comme Titi, faut faire comme Titi ». Non. Encore une fois, la pression ce n’est pas que de remplacer Titi, c’est d’être performant car un gardien est important dans une équipe. Si on n’est pas performant, c’est compliqué d’aller au bout de la compétition. La pression doit être positive, nous forcer à travailler pour donner le meilleur de nous-même, mais n’essayons pas de remplacer Thierry."
Le gardien est fortement exposé au handball. Pourquoi votre rôle est si important ?
V.G. : "Si tu brilles, on ne voit que toi, et quand tu n’es pas bon, on a l’impression de voir que toi aussi. Quand on défend bien et que le gardien fait son boulot, l’attaque a l’impression de ne plus avoir de solutions. On est là pour compléter le travail de la défense mais parfois pour réaliser des exploits, rattraper, quand on peut une erreur de la défense. Le poste est important, c’est une évidence, c’est là où c’est bien mais où c’est aussi dangereux."
C.D. : "C’est ce que l’on aime tous les deux. C’est un poste à responsabilité où tu ne peux pas te cacher, ça rend les choses plus intenses et plus intéressantes. Comme disait Vincent, on est un peu plus exposé mais dès que tu te loupes on ne te rate pas, ça c’est sûr (rire). Mais ça fait partie du jeu. Personnellement, c’est ce que je trouve plaisant à ce poste."
"Accepter de laisser la place."
Votre poste a évolué et fonctionne par paire maintenant. Comment l’expliquez-vous ?
C.D. : "Aujourd’hui c’est devenu quasiment indispensable ! Le rythme a vachement accéléré, physiquement et dans la tête, c’est difficile d’enchainer 12 rencontres (10 matches jusqu’à la finale du Mondial et les deux matches amicaux, ndlr.) à haut niveau en un mois. A deux, à bon niveau, ça permet d’alterner et dans les moments moins bien, de laisser la place à l’autre. Les filles ont été le parfait exemple en devenant Championnes d’Europe. Si on prend les équipes qui gagnent et qui sont au top niveau, en club ou en équipe nationale, tout le monde s’appuie sur une paire."
V.G. : "Quand tu n'as qu’un gardien, il peut se trouer et à ce moment là c’est fini. Il est important de pouvoir compter sur deux personnes, c’est une vraie plus-value. Là est l’importance du binôme et son mode de fonctionnement. Si les deux acceptent de laisser la place de temps en temps, et de ne pas être une heure sur le terrain, ça peut très très bien se passer."
"C’est un deuxième cerveau disponible."
L’entente et la complémentarité sont donc primordiales ?
C.D. : "C’est exactement ça. C’est le besoin de recul, car celui sur le terrain ne peut pas tout voir. L’échange est important pour continuer d’avancer, même mentalement ça nous offre un petit moment pour respirer. Je ne vais pas dire que l’on sort du match à ce moment-là mais pendant quelques secondes, on retrouve un peu de calme et on peut échanger. La complémentarité est intéressante aussi techniquement. On a deux façons différentes d’évoluer qui permettent de répondre aux problématiques des tirs proposés par l’adversaire."
V.G. : "On a besoin d’avoir un oeil extérieur. C’est un deuxième cerveau disponible sur le banc pour pouvoir faire des arrêts, réfléchir, penser à des choses auxquelles on n’a pas eu idée dans le feu de l’action."
Comment définissez-vous votre binôme ?
C.D. : "Bonne chance !", ils rigolent tous les deux.
V.G. : "Cyril est grand et prend beaucoup de place, il sait se servir de sa taille pour fermer tous les angles. Il est capable de piéger les adversaires, et quand il prend l’ascendant sur les joueurs : ils ont l’impression qu’il n’y a plus de place dans le but. Ils n’ont plus aucune solution".
C.D. : "Vincent c’est un jeu plus posé que le mien. Il travaille beaucoup en amont, en vidéo où il décortique le jeu des adversaires pour rentrer dans leurs têtes. Où certains gardiens vont douter après un échec, lui il continue et ne lâche rien. C’est l’une des clés de sa régularité. Il permet à tout le monde de prendre le dessus sur l’adversaire et une fois qu’il les a entre les mains, il les étouffe complètement."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.