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Portrait "Avant même d'être handballeur, j'ai rêvé d'être artiste" : Luc Abalo poursuit son oeuvre avec les Bleus

Avec 257 sélections, Luc Abalo est l'un des tauliers de l'équipe de France de handball qui s'apprête à débuter les mondiaux de 2021 en Egypte cette semaine. Un an plus tôt, il revenait sur sa décision de stopper sa carrière après le report des JO à l'année suivante, et s'envolait pour une nouvelle aventure en Norvège ; un revirement symptomatique de l'homme-caméléon qu'il a toujours été.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
Luc Abalo face à l'Argentine lors des JO de Rio de Janeiro le 11 août 2016.

"J'ai tout ce qu'il faut là-bas ! Sauf peut-être un drone... oui, c'est ça, il me manque un drone, pour filmer les forêts enneigées et les montagnes." Sa respiration est un peu haletante, mais difficile de dire s'il s'agit d'enthousiasme ou d'essoufflement. Car Luc Abalo sort à peine d'une session d'entraînement intense. Il nous parle déjà de ses désirs et projets artistiques en Norvège, pays qu'il découvre ces derniers mois. L'international français de handball a quitté, l'été dernier, le Paris Saint-Germain pour Elverum, un club et une ville "à la culture scandinave" et donc "fascinante" pour lui. 

Sera-t-il d'humeur, dans la foulée d'un entraînement, à évoquer ses états d'âme ? A repenser aux moments de doutes éventuels qui l'ont parcouru lorsque, une année plus tôt, l'international français, taulier de l'équipe de France de handball depuis quinze ans, revenait sur sa décision d'arrêter sa carrière, et rempilait pour une année supplémentaire ? Aucun problème. Luc Abalo n'est pas du genre à cloisonner ses journées. Handball, photographie, peinture, famille : il suit le fil de ses désirs. C'est d'ailleurs peut-être bien ces vies multiples, menées de front tandis qu'il empilait les trophées avec l'équipe de France ces dix dernières années, qui lui ont permis de garder une fraîcheur mentale. "Certains préfèrent vivre et manger handball, moi j'ai toujours eu besoin de couper, de m'intéresser à tout, de découvrir le monde et de rencontrer de nouvelles personnes", affirme-t-il.

La Norvège ? "Pour les vikings..."

Lorsque la nouvelle du report des Jeux Olympiques tombe le printemps dernier, Luc Abalo perd de sa sérénité. "C'était compliqué psychologiquement, estime-t-il. J'étais coincé chez moi depuis plusieurs semaines, et là, du jour au lendemain, tous mes plans de fin de carrière tombaient à l'eau. J’avais tout préparé : le logement, l'activité professionnelle, l'organisation avec la famille..." Comme son coéquipier Michaël Guigou, autre rescapé des "Experts", génération dorée du handball français, Luc Abalo avait coché les Jeux Olympiques de 2020 comme porte de sortie idéale. Mais la révérence devra attendre : "Je n'ai pas hésité longtemps. Je ne me voyais pas arrêter comme ça. Et puis la proposition d'Elverum est arrivée pile au même moment".

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Le club norvégien, situé au nord d'Oslo, lui propose un contrat d'un an. Luc Abalo a alors 35 ans, il compte à son palmarès trois titres européens (2006, 2010, 2014), trois titres mondiaux (2009, 2011 et 2017), deux médailles d'or olympiques (2008, 2012), et termine son aventure au sein de l'un des plus grands clubs du monde. Etait-ce vraiment le moment de se lancer un tel défi, quitter sa région natale pour un pays qu'il ne connaît pas, une équipe où il serait l'un des seuls étrangers ?

"J'étais ravi", tranche-t-il avec malice. "Une culture que je ne connais pas, une histoire différente, les vikings, la population, tout ça m'interpellait. J'ai grandi avec des gens d'origine serbe, croate, maghrébine, africaine... mais des scandinaves, jamais." Aventurier dans l'âme, Luc Abalo n'a pourtant pas été un voyageur invétéré. Né à Ivry-sur-seine en 1984, il a été repéré par le staff de son club local, l'US Ivry. Il y a ensuite évolué pendant douze saisons chez les professionnels, avant de s'exiler pendant quatre ans en Espagne, à Ciudad Real ; sa seule expérience à l'étranger jusqu'alors. 

Ainsi, loin de le refroidir, la perspective d'un quotidien si diamétralement opposé à celui qu'il menait à Paris lui a ouvert l'appétit. "Je pars du principe que le monde est tellement grand que je ne pourrai jamais tout voir. Mais j'ai envie d'en découvrir le maximum." Son ancien coéquipier en équipe de France, Jérôme Fernandez, n'est pas du tout étonné de le voir s'y épanouir. "Je m'y attendais. Il a déjà joué quatre ans en Espagne, il est capable de s'acclimater rapidement, il a un bel état d'esprit." Pour lui, cette migration tardive pourrait même constituer un nouveau tremplin. "Là-bas il est dans un cadre où il peut s’exprimer librement. Il avait besoin de quitter le PSG pour retrouver un peu de fraîcheur."

L'odeur des crayons 

Un tel bain de jouvence n'était pourtant pas forcément nécessaire pour celui qui n'a eu de cesse, tout au long de sa carrière, de briser la monotonie, celle qui peut caractériser la vie d'un athlète de haut niveau. Après l'entraînement, Luc Abalo ne fonce pas sur son smartphone regarder les résultats des matches ou le calendrier des suivants ; il préfère consacrer son temps libre à la création artistique. Car l'ailier français est artiste-peintre à ses heures perdues. "Je fais aussi de la vidéo et de la photographie", précise-t-il. Plus qu'un simple passe-temps, la peinture est un projet de vie. Une deuxième carrière qu'il "attend avec impatience", dans laquelle il a investi énormément de temps, et ce, très tôt. 

"Avant même d'être handballeur, j'ai rêvé d'être artiste", se souvient-il. A l'école, le petit Luc Abalo passe beaucoup de temps à griffonner ses dessins. "J'avais déjà la fibre artistique. Là où d'autres préféraient les maths ou les langues, moi ce que j'aimais c'était dessiner, imaginer des choses, créer." Il montre aussi, très jeune, un talent pour le sport, mais ce fut d'abord le football. Ce n'est qu'à l'adolescence qu'il s'essaye au handball. Vite repéré par son entraîneur de l'US Ivry, il montre, dès cet âge, son originalité. "Il avait 13 ou 14 ans, et on le voyait parfois ramener ses croquis à l'entraînement, se souvient Daniel Hager. Mais il n'avait pas vraiment confiance dans ce qu'il faisait, il était dur envers lui-même."

Tandis qu'il entame son parcours professionnel au sein de l'effectif de l'US Ivry, son encadrement l'encourage à s'investir plus sérieusement dans l'art. "Nous avons fait le pari de l'accompagner et d'aménager son calendrier pour qu'il puisse suivre des études d'art, précise son entraîneur. C'était important pour son équilibre, on s'en rendait bien compte." Après un BEP Vente, Luc Abalo embrasse sa première passion et enchaîne des formations en dessin et en peinture. Il rentre à LISAA (L’Institut Supérieur des Arts Appliqués) en prépa. Peinture en journée, handball en soirée : Luc Abalo s'épanouit comme jamais. "Créer, c'est magique. La sensation quand tu t'empares de ton pinceau, de tes crayons, ta palette de couleurs, ta feuille, la possibilité que tu as de t'exprimer comme bon te semble, c'est magique."

De l'art du handball

Son profil créatif influe sur son style de handball : il brille par ses coups hors-du-commun (sa "roucoulette" est réputée comme l'une meilleures) et contribue largement aux premiers succès des Experts dès l'âge de 21 ans. Son ancien acolyte Jérôme Fernandez se souvient de son originalité. "Dans un vestiaire, c'est quelqu'un qui a des passions différentes d'autres joueurs, qui, eux, se tournent plus vers d'autres sports sur leur temps libre, explique-t-il. Luc c'est à la fois un grand déconneur, bien intégré dans le collectif, et un artiste dans l'âme ; et ça on le voit très bien sur le terrain, dans son handball." 

Cette polyvalence est peut-être l'un des secrets de sa longévité. Aurait-il été un tel taulier pour l'équipe d'Elverum et pour les Bleus, à l'âge de 36 ans, s'il ne s'était pas accordé ses respirations créatives ? "Chaque sportif a sa manière de gérer la pression, la succession des voyages, estime Daniel Hager. Luc avait ce besoin en lui, de se tourner vers l'art." L'intéressé lui-même estime primordiale cette insistance à cultiver sa passion. "Je pense qu'il est très facile, quand on est sportif de haut niveau, de perdre de vue ses désirs profonds. On a l'impression de ne pas avoir le temps, qu'il y a des choses plus urgentes, plus importantes..."

La création artistique, plus magique que la performance sur le terrain ? "Pour moi le sport c'est la possibilité de créer aussi. Quand j'entre sur le terrain, je suis dans une humeur différente de la veille, je ressens les choses autrement, donc je tente des choses différentes. Pour moi, le corps est un moyen d'expression." Et si le prochain tableau de Luc Abalo avait pour cadre l'Egypte ? 

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