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ENTRETIEN. "En Afghanistan, tout est interdit aux femmes, même aller au parc", déplore Soraya Karimi, handballeuse afghane réfugiée en France

Au printemps dernier, la capitaine de l’équipe afghane de handball a obtenu un visa pour se réfugier en France alors que le pays a durci ses lois envers les femmes depuis le retour des talibans, en août 2021.
Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Photo de l'équipe nationale féminine afghane de handball, prise deux mois avant que les Talibans reprennent le pouvoir en Afghanistan. La capitaine Soraya Karimi (premier plan à droite) pose avec ses coéquipières. (Soraya Karimi)

Soraya Karimi est une joueuse de handball professionnelle et capitaine de l’équipe d’Afghanistan. A 25 ans, la jeune femme a réussi à fuir le régime des talibans, qui ont repris le pouvoir dans son pays le 15 août 2021. L'étudiante en droit originaire de Hérat, ville du nord-ouest du pays, est arrivée en France il y a sept mois, en provenance de Kaboul, en passant par Islamabad (Pakistan) et Téhéran (Iran). 

Alors que de nombreuses équipes sportives féminines afghanes ont fui le pays dans les semaines qui ont suivi cette prise de pouvoir, dans la foulée du retrait américain, l’équipe de handball n'a pas réussi à s'échapper à temps. Bloquées à l’aéroport international Hamid-Karzai, alors livré à des scènes de chaos, les joueuses ont été contraintes de faire machine arrière. Sans assistance de la part de leur fédération, elles ont donc dû se débrouiller. Le 8 décembre 2021, Soraya a pris le dernier vol à destination du Pakistan, avant que les femmes soient interdites de voyager seules.

Restriction des libertés des femmes

Si Soraya Karimi a eu la chance d’obtenir un visa pour la France, comme six autres de ses coéquipières, plusieurs autres joueuses de l'équipe restent bloquées en Afghanistan ou au Pakistan, où elles ont trouvé refuge mais attendent un visa. Sans ce dernier, elles risquent d’être renvoyées dans leur pays, sous le régime imposé par les talibans où tout est "haram", autrement dit "illicite", pour les femmes : le sport, parler aux hommes, se maquiller, sortir seule, et à visage découvert, travailler, etc. Il y a quelques jours, le 13 novembre, les autorités talibanes ont interdit aux femmes l’accès aux bains publics ainsi qu’aux salles de sport, accentuant encore un peu plus la restriction de leurs libertés.

Aujourd’hui installée en région parisienne, Soraya Karimi a pu participer à quelques entraînements avec des joueuses françaises, notamment dans les Yvelines, mais sans pour autant imaginer une carrière sportive dans l’Hexagone. En parallèle, elle se mobilise pour faire avancer les dossiers de ses coéquipières afin qu’elles puissent rejoindre l’Europe en sécurité. Pour franceinfo: sport, Soraya Karimi revient sur la situation des femmes et des athlètes en Afghanistan et sur les talibans, qui "malgré ce qu'ils prétendent, n'ont pas changé."


franceinfo: sport : Quelle est la situation actuellement pour les femmes et athlètes en Afghanistan ?

Soraya Karimi : En Afghanistan, tout est interdit aux femmes, même aller au parc. Elles ne peuvent rien faire librement. Elles ne peuvent pas pratiquer de sport. Les femmes avec qui je suis encore en contact et qui sont toujours là-bas, me racontent à quel point la situation est compliquée, et c'est très dur moralement pour elles. En ce qui me concerne, j'ai laissé tous mes rêves en Afghanistan. 

Avez-vous encore de la famille en Afghanistan ?

Ma sœur, qui pratique aussi le handball, se trouve actuellement au Pakistan dans l'attente d'un visa. Ma mère travaillait dans la police en Afghanistan. Après la chute du gouvernement, les talibans ont tué quatre de ses collègues. Depuis, elle s'est réfugiée en Iran. Toutefois, son état de santé est inquiétant. Mes frères en revanche sont toujours bloqués en Afghanistan et se cachent des talibans.

Qu’avez-vous ressenti lorsque les talibans sont revenus au pouvoir en août 2021 ?

Personne n'envisageait une telle tragédie. Nous attendions la paix. Le gouvernement précédent a essayé d’améliorer les choses pendant des années et tout a basculé rapidement avec leur retour.

"Du jour au lendemain, les femmes ont perdu tous leurs droits et toutes leurs libertés. Et pour les familles sans hommes, elles ne sont plus rien. Pour elles, c’est synonyme de misère."

Soraya Karimi, joueuse afghane de handball

à franceinfo: sport 

Même si je réside aujourd’hui dans un autre pays, et je remercie la France de m'avoir accueillie, mon esprit est resté en Afghanistan, avec les Afghans. 

Avez-vous des souvenirs de la période où les talibans étaient au pouvoir et de leur chute en 2001 ?

J’étais une enfant à cette époque mais je me souviens que ma mère et ma sœur étaient couvertes en permanence, même lorsqu'elles voulaient se rendre à cinq minutes de chez nous pour acheter quelque chose ou se rendre chez le voisin. Un homme, leur mari, leurs fils ou leurs frères, devait toujours se trouver avec elles. Les filles n'avaient pas le droit d'aller à l'école et les femmes n'étaient pas autorisées à travailler. Elles devaient rester à la maison et s’occuper des tâches ménagères. Et c’est exactement ce qui se passe actuellement en Afghanistan.

L'équipe féminine afghane de handball, lors d'un entraînement, deux mois avant le retour des Talibans au pouvoir. (Soraya Karimi)

Quand vous avez commencé le handball, dans une époque où les talibans ne gouvernaient plus le pays, votre famille vous a-t-elle soutenue ou était-ce déjà difficile à l'époque ?

Pour être honnête, j'ai dû affronter ma famille pour qu'elle me laisse faire ce que je veux et prendre mes propres décisions sur mon éducation, sur le sport. Ensuite, j'ai dû faire face à la société, ce qui n'était pas facile non plus. 

Au fur et à mesure toutefois, pratiquer un sport a été un peu mieux accepté et autorisé pour les femmes. Le gouvernement avait permis cette ouverture jusqu’à participer à des compétitions nationales et internationales. Aujourd’hui, tout cela s’est écroulé. 

Avez-vous déjà reçu des menaces des talibans en raison de votre condition d'athlète ?

Oui, quelques mois avant leur retour officiel, j’ai reçu une lettre de menaces des talibans me demandant d'arrêter le handball. Dans le cas contraire, le courrier indiquait que je m’exposais avec mon équipe à des représailles, dont la mort, et que nous serions punies sévèrement selon la charia. Ces menaces ont été réitérées par de nouvelles lettres quelques mois plus tard, demandant à toute l’équipe d'arrêter de soutenir et de parler de sport, de handball et de cesser nos activités. A la suite de ces menaces, j’étais inquiète pour le reste de l'équipe.

Espérez-vous un jour retourner dans votre pays ?

Bien sûr, si j'ai le droit d'y vivre librement et d'y faire ce que je veux. Je veux retourner en Afghanistan et participer à des compétitions internationales de handball. Je veux vivre en paix, dans un régime sans les talibans, dans un pays où les femmes sont libres et avec les mêmes droits que les hommes.  

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