ENTRETIEN. Handball : au crépuscule de sa carrière, Allison Pineau vivrait "comme un échec de ne pas aller aux Jeux" de Paris 2024
Une page du handball français va bientôt se tourner. La multiple championne Allison Pineau, médaillée d'or à Tokyo avec les Bleues et élue meilleure joueuse du monde en 2009, prendra sa retraite à la fin de la saison, ou à la fin des Jeux de Paris 2024 si elle est sélectionnée pour un dernier tour avec l'équipe de France. En attendant, celle qui évolue au RK Krim (Slovénie) a voulu raconter son histoire, pas uniquement celle des terrains de handball, dans une biographie “Alli, Histoire(s) d'une championne”, coécrite avec la journaliste Mejdaline Mhiri, sortie le 16 janvier dernier.
Franceinfo: sport. Pourquoi avoir eu envie d'écrire cette biographie ?
Allison Pineau. J'arrive quasiment à la fin de ma carrière. J'ai annoncé que j'arrêterai à la fin de la saison 2024 en club, et puis après les Jeux si j'y vais. Je pense que c'était le bon timing pour moi. J'avais eu l'opportunité de le faire il y a quelques années, j'avais refusé parce que ce n'était pas le bon moment. Et surtout, le projet était porté par Aurélie Bresson, qui porte énormément le sport féminin dans les médias, qui parle de femmes extraordinaires et ça a matché tout de suite.
Vous dévoilez assez tôt aussi un pan intime de votre jeunesse : votre père alcoolique et violent envers votre maman. Pourquoi ?
C'est quelque chose que j'avais enfoui depuis des années, je l'avais mis dans une petite boîte. Je n'en avais jamais réellement parlé, même à ma mère. Je pense que c'est important pour moi, pour ma vie de femme. J'ai aussi envie de devenir maman, d'exprimer et de mettre des mots sur des maux. Ce bouquin, c'est un gros travail d'introspection, c'est mettre des réponses sur certaines émotions, et finalement toutes les choses qui se sont passées pendant les 35 ans de ma vie. C'est un travail qui a été apaisant au final, parce que je me suis posé beaucoup de questions, et par rapport à ma mère, j'avais besoin de trouver des réponses.
Quelles réponses ?
J'ai trouvé des réponses sur certains comportements que j'ai eus dans ma jeunesse. Sur ce côté "mur de glace", assez froid, à me protéger de mes émotions, d'intérioriser énormément de choses. J'ai compris que ça a été une façade, une manière d'éviter de me laisser happer par mes émotions, par des environnements.
Sur le plan personnel et sportif, quelles incidences cela a pu avoir sur vous ?
Ça a eu des côtés positifs finalement, avoir cette froideur, ça m'a énormément aidé au début de ma carrière pour atteindre mes objectifs. Mais en grandissant, ça m'a aussi fait du tort dans les relations que j'ai pu avoir. Ça a créé des incompréhensions dans ma manière de communiquer, de faire ressentir des choses aux autres. Ce n'était pas forcément quelque chose de volontaire. C'est parfois notre manière à nous de nous protéger et d'éviter d'être vulnérable.
On sent parfois un peu de regrets à vous lire, de ne pas avoir vécu une adolescence "classique"…
Je ne dirais pas des regrets. Mais en faisant ce travail d'introspection, parfois on peut se dire : "J'aurais aimé aussi avoir cette adolescence où je faisais la même chose que mes amis", les étapes normales. J'ai fait tellement tout, très tôt et très vite, j'ai sauté tellement d'étapes et parfois je me dis : "Oui, j'aurais aimé faire ça". Si je n'avais pas fait de sport de haut niveau, j'aurais fait une université américaine, ça a toujours été mon rêve.
"J’aurais aimé goûter à cette liberté, c’est le mot, qu’on a à l’adolescence. Nous on n'a pas eu ça, on avait déjà un cadre."
Allison Pineau, championne olympique avec l'équipe de Franceà franceinfo: sport
En ce sens, le titre de meilleure joueuse du monde en 2009 est-il arrivé trop tôt ?
Il est arrivé très tôt, et je n'étais pas entourée à ce moment-là. Les gens pensaient que je n'avais pas encore assez prouvé. J'étais le talent qu'on avait vu arriver depuis des années, on m'attendait. Je n'étais pas non plus anonyme mais les gens estimaient que je n'avais pas fait assez. Finalement ça a été un mal pour un bien. Certes je n'étais pas bien entourée, mais ça m'a fait prendre conscience du monde et de l'environnement dans lequel j'évoluais. Ça suscite des jalousies, de la malveillance, de l'envie. Je suis la seule Française à avoir reçu cette distinction. J'ai mis deux, trois ans à l'accepter, la comprendre, et finalement en être fière.
Par rapport à votre future retraite, vous dites que vous "aspirez à une autre vie". Quelle serait-elle ?
Ce serait d'abord de ne plus être dans la machine à laver. Être sportif de haut-niveau et international… Par exemple, quand on a fini les Jeux olympiques de Tokyo, on a été médaillées, et une semaine après, on est retournées dans notre club. C'est décider de mes vacances, de mes horaires, de mon emploi du temps. Avoir du temps pour être avec ma famille, être avec mes amies, voir grandir leurs enfants, moi aussi devenir maman. Pour moi ça se fera quand j'aurai raccroché. C'est cette recherche de liberté.
Mais aussi devenir trader…
Alors pas tout de suite, c'est quelque chose que je garde dans un coin de ma tête par rapport à mes études en finance que je fais à l'EDHEC [une école de commerce]. Je vois ce métier-là vraiment comme un sport de haut niveau. Je retrouve des similitudes. La résilience, l'adrénaline que les marchés font vivre, le pragmatisme qu'il faut avoir, c'est tout ça être trader et il faut avoir la tête bien faite. C'est vraiment le métier qui me ferait vibrer et revivre les mêmes émotions que je vis dans le sport.
Vous parlez assez librement d'argent, de vos salaires, des réguliers impayés des clubs, notamment en Europe de l'Est. Pourquoi ?
C'est toujours un tabou en France de parler d'argent en général. Mais c'est aussi important de montrer l'envers du décor, il y a les conditions dans lesquelles on gagne cet argent. Puis c'était surtout pour montrer que le handball féminin reste un sport très fragile. Mais comme le sport féminin en général. Il y a un équilibre très fragile parce qu'il existe très peu de business model. Quelques clubs en ont et s'y tiennent, mais sinon, il n'y en a pas dans les autres clubs.
On est encore dans cette approche familiale et associative – ce qui est important dans la construction d'un club – mais si on veut grandir plus vite, il faut accélérer sur l'aspect financier. Il y a une professionnalisation, mais on est encore très loin de ce qui se fait dans d'autres sports.
"Il y a encore des différences notables entre les clubs féminins et les clubs masculins. Les investisseurs vont plus facilement vers le sport masculin. On peut faire faire des pas de géants au sport féminin, mais il faut investir pour cela."
Allison Pineauà franceinfo: sport
Les Bleues sont récemment devenues championnes du monde, sans vous. Vous sentez-vous en danger pour les Jeux de Paris 2024. Serait-ce un échec de ne pas y aller ?
Le handball en France ne vit qu'à travers ses résultats. Je n'ai pas été au Mondial, mais ma quête est toujours la même. J'ai toujours dit que si je ne devais pas faire de compétition avant pour aller aux Jeux, que j'accepterai ce prix à payer. Ça ne change pas beaucoup la donne pour moi en réalité, parce que le plus important c'est maintenant et la deuxième partie de saison.
Les Jeux commencent fin juillet, il peut se passer encore beaucoup de choses. A moi de rester focus sur mon objectif, je n'ai rien envie de regretter. On verra à la fin. J'aurai au moins tout essayé. Bien sûr que je le vivrais comme un échec de ne pas aller aux Jeux, mais ce n'est pas une fin en soi. Ce serait le meilleur des au revoir, c'est sûr. J'ai commencé ma première compétition en France en 2007, et j'ai aussi joué à Paris, donc pour moi ce serait beau de boucler la boucle et de jouer ma dernière compétition en France.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.