Handball : quand les Experts lavent leur linge sale en famille
Même si les Bleus affichent un palmarès impressionnant et bénéficient d'une belle cote de popularité en France, la vie au sein du groupe façonné par Claude Onesta est loin d'être facile.
Selon la légende, l'équipe de France de handball est composée d'une bande de copains qui a gagné (à peu près) tous les titres possibles en s'amusant. La vérité est tout autre. "Quelle connerie !, avait un jour lâché Claude Onesta, leur manager, contredisant la légende. Comme je leur dis souvent, ce n'est pas parce qu'on s'aime qu'on gagne, mais quand on gagne on s'aime un peu plus."
Depuis seize ans à la tête des Bleus, Claude Onesta a impulsé un système que ne semblent pas remettre en cause ses successeurs désignés, Didier Dinart et Guillaume Gille. C'était un prérequis de l'ancien sélectionneur, qui a fixé les conditions de sa succession, en écartant "les entraîneurs de club" qui voudraient marquer une rupture. A l'occasion du Mondial de handball, franceinfo se plonge dans le linge sale des Experts.
Les remplaçants dans l'ombre (et priés d'y rester)
Pour Claude Onesta, un groupe de handball, ce sont huit ou neuf joueurs qui tiennent la baraque, et cinq ou six autres qui sont là pour faire le nombre sur la feuille de match. Le statut d'éternel remplaçant qui reste sagement dans l'ombre a été théorisé par celui qui a longtemps été sélectionneur des Bleus avant d'en devenir le manager : "Derrière un titulaire, je ne mets pas quelqu’un qui va souhaiter son échec, sa blessure, mais un remplaçant qui va pleinement s’investir dans ce rôle-là." Un statut prédéfini, quelles que soient les performances du huitième ou du neuvième homme. Gare à ceux qui tenteraient de briller. "Il faut que vous acceptiez votre statut, explique-t-il aux remplaçants, dans un documentaire de Canal+ sur le Mondial 2009. Vous êtes là pour rentrer 10 ou 15 minutes et assurer un équilibre du jeu, pas pour mettre en péril ce qui a été fait précédemment."
N'essayez pas de faire en 10 minutes le match du siècle, ça ne fera pas évoluer votre statut d'un jour sur l'autre.
Claude Onesta, aux remplaçants
Mentalement, c'est usant. "Quand tu entres en équipe de France, il ne faut pas avoir la volonté de vouloir jouer", explique le demi-centre Fabrice Guilbert, appelé en 2007, dans le livre La Grande saga du hand français (éditions Hugo Sport). En plusieurs stages, Claude Onesta ne lui a accordé "que cinq minutes" pour discuter.
Le cas du gardien Cyril Dumoulin, qui gravite autour du groupe France sans parvenir à s'y imposer, est éloquent. Il a vu six ans s'écouler entre sa première participation à un stage et son premier match international... "Nerveusement et psychologiquement, c'est épuisant, confie Grégoire Detrez, qui a jeté l'éponge en 2013. Il m'est arrivé de démarrer un stage plein de confiance et d'en repartir en me disant que j'étais le plus mauvais pivot du monde." Derrière la jolie façade, les Experts sont aussi une machine implacable qui peut broyer des joueurs.
Des vieilles gloires sans amour qui ne partent pas en beauté
En seize ans à son poste, Claude Onesta aura vu partir nombre d'icônes du handball français. Sa gestion de la retraite de Jackson Richardson demeure un modèle... de ce qu'il ne faut pas faire. Avant les JO d'Athènes de 2004, le sélectionneur cherche discrètement un moyen de se débarrasser de son encombrante vedette et de laisser les coudées franches au petit jeune qui monte, Nikola Karabatic.
Jackson Richardson sent vite les effets du travail de sape. Dans son livre Jack' l'inventeur, le meilleur handballeur français du XXe siècle raconte ce moment du quart de finale olympique perdu face aux Russes, où Claude Onesta le fait poireauter sur le banc dans l'incompréhension générale, alors que l'équipe coule. "Je me souviens qu'à un moment, à la fin, il s'est tourné vers le banc. Il y avait là Nikola Karabatic, Daniel Narcisse et moi, au milieu. D'un coup, il s'est décidé : 'Allez, vas-y toi'. J'étais un chien. Il n'y avait que dédain dans ses propos. Jamais je n'ai pu l'oublier et la fracture entre nous date de ce jour."
Le président de la Fédération prendra sur lui de l'inviter à participer au Mondial 2005 en Tunisie pour faire ses adieux. Claude Onesta vendra la mèche à la Dépêche du Midi : "En 2005, on m'a forcé à prendre Richardson." Comme par hasard, la Fédération "oubliera" d'inviter le joueur à assister à la finale de l'Euro 2006, en Suisse. Dans son livre, Jackson Richardson décrit Claude Onesta comme "le pire entraîneur que j'ai croisé".
Même fin en eau de boudin pour Jérôme Fernandez, longtemps favori pour lui succéder sur le banc. En plein Mondial 2015 au Qatar, Claude Onesta lâche qu'il est "criminel" de faire appel à un joueur "de presque 40 ans". "Je ne suis pas un adorateur des idoles et des statues. L’équipe de France ne doit rien à Jérôme, comme elle ne me doit rien", s'est justifié, après-coup, le sélectionneur. Jérôme Fernandez refuse de prendre sa retraite internationale, mais s'il va bien aux Jeux de Rio, c'est dans la peau d'un consultant.
Les médias qui n'ont pas bonne presse quand ils ne sont pas supporters
Lors des JO de Londres – après un Euro désastreux en Serbie – le sélectionneur pousse très loin la détestation de la presse. "Par moment, j'ai joué des médias, comme les médias jouaient de nous, reconnaît-il des années plus tard dans l'émission "L'Equipe Enquête". Cette espèce de jeu où on utilise le rapport de force, la vexation, où on va créer de la réaction et de la vengeance, ça a participé de notre parcours." Parcours finalement conclu par un deuxième sacre olympique. Au début de la compétition, Claude Onesta cible explicitement L'Equipe, au point de faire afficher par l'intendant un article critique dans les chambres des joueurs. Devant les caméras, "Claudius Imperator", plus que jamais intouchable, qualifie certains journalistes et consultants de "collabos".
Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous, aurait dit George W. Bush. Dès le discours suivant sa prise de fonction, Claude Onesta avait insisté sur la notion de solidarité au sein de l'équipe : "Je vous protégerai tous, mais je tuerai le premier qui trahit." Il a ainsi défendu ses joueurs après les incidents qui ont suivi le sacre olympique londonien, le déshabillage en direct d'un journaliste de BFMTV, puis la destruction du plateau de L'Equipe TV (avec un verre de trop dans le nez, cela dit). "Ceux qui avaient choisi d'être dans l'autre camp devaient y rester", n'en démord pas le sélectionneur.
Ce qu'on sait moins, c'est que le sélectionneur a ensuite écrit une lettre au directeur du journal, raconte Laurent Moisset, ex-journaliste à L'Equipe, dans La grande saga du hand français. "Non pour s'excuser de ses frasques, précise-t-il. Mais pour dénoncer deux collaborateurs du journal, les fameux auteurs de l'article dont il s'était servi auprès des joueurs, qui 'ne sont plus en accord avec la ligne éditoriale du quotidien'."
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