Les Barjots sur le toit du monde 25 ans après, épisode 1 : Daniel Costantini, le guide
"Daniel, 1995, c’était hier ou ça paraît loin maintenant ?"
Daniel Costantini : "Ça commence à faire un peu loin. Et en même temps, j’ai des souvenirs encore très précis de ce Mondial. Je n’ai pas oublié grand chose. Ça m’a d’ailleurs fait sourire quand mon ancien capitaine Pascal Mahé m’a envoyé un SMS ces derniers jours qui disait: « N’oublie pas le 21 mai de boire un coup à la santé des champions du monde! » Non, Pascal, ne t’inquiète pas, je n’ai pas oublié la date, ni l’heure, 17h"
"C’est le titre dont on vous parle le plus encore aujourd’hui ?"
D. C : "Oui, pourtant la deuxième fois en 2001 c’était à Bercy devant 13.500 spectateurs et face à la Suède, considérée comme la meilleure équipe du monde à ce moment-là. Mais rien à faire, on continue de me parler plus souvent des « Barjots »que des «Costauds »"
"La 1ère fois que vous avez entendu le mot «Barjots » c’était quand ?"
D. C : "En 1993, dans une interview donnée par Philippe Gardent à Anouk Corge, journaliste à l’Equipe. Elle avait demandé aux joueurs comment ils se définissaient en un mot et Boule (surnom de Gardent) lui a répondu: «on est une belle bande de Barjots! ». Le lendemain, c’était le titre à la Une et c’est resté. Moi je les aurais appelés les Fêlés carrément! En tout cas, ça correspondait bien à l’ossature de cette équipe, même si tous n’étaient pas Barjots dans le groupe."
"Le bébé est magnifique mais il n'est pas sorti tout de suite !"
"Philippe Gardent, encore lui, a parlé affectueusement de vous un jour comme de « la sage-femme du handball français ». Ce titre mondial de 1995 a-t-il été votre accouchement le plus douloureux ?"
D. C : "Non, parce que pour arriver au résultat de 1995, il a fallu se mettre au travail fin 1987. Donc des moments délicats, il y en a eu beaucoup au début quand les joueurs ont découvert l’entraînement intensif. Des accouchements difficiles, j’en avais vécu quelques-uns auparavant! Celui de 1995 est le plus réussi parce qu’au bout du compte le bébé est magnifique, on est champions du monde, mais il n’est pas sorti tout de suite, ça a duré quelques jours!"
"C’est vrai que ce Mondial a été loin d’être une promenade de santé, notamment au début avec deux défaites en phase de groupe..."
D. C : "C’est vrai. Et la préparation n’avait pas été extraordinaire non plus. Je me souviens d’un match laborieux à Chartres contre la Tunisie, d’une victoire in extremis contre Cuba et d’une défaite de 7 buts en Slovénie... Donc déjà à la base, on n’était vraiment pas serein en arrivant en Islande et moi, je ne savais pas trop où j’allais... Et puis il y avait une ambiance pourrie dans l’équipe la première semaine entre les Marseillais de l’OM-Vitrolles, le club-phare de l’époque en France, et les autres. Sans compter que les plus anciens, présents depuis 1987, commençaient à en avoir ras-le-bol de Costantini ! Bref ça tiraillait de tous les côtés et moi je ne faisais rien pour calmer les esprits car je n’avais pas encore mon équipe en tête. Je tâtonnais, je changeais la composition à chaque match. Il y a dû y avoir cinq équipes différentes lors des cinq rencontres de la phase de groupe ! Je faisais tourner tout le monde et ça rajoutait des tensions."
"Quand est-ce que se produit le déclic finalement ?"
D. C : "Au moment d’aborder les matches-couperets. 3èmes de notre poule, on se retrouve condamnés à affronter les Espagnols, qui avaient fait très forte impression jusque-là et venaient tout juste de naturaliser Talant Dujshebaev, en 8èmes de finale. Je me souviens qu’on avait pris un tout petit avion pour aller à Akureyri, au Nord de l’île et franchement, on y allait comme à l’échafaud. Là-bas, je décide enfin de ce qui me paraît être la meilleure équipe à mes yeux et j’écarte quatre joueurs parmi lesquels Gardent et Perreux, des Bronzés historiques de Barcelone, qui sont restés exemplaires jusqu’au bout, même s’ils n’ont plus joué par la suite. Et là, pendant que je me retrouve dans ma solitude de chef qui décide, Denis Lathoud provoque la fameuse réunion d’Akureyri au cours de laquelle les joueurs se décident à laver leur linge sale entre eux à l’hôtel. Les deux effets conjugués ont donné un état d’esprit totalement différent pour la suite de la compétition."
"À partir des 8èmes c’est vrai que l’équipe de France devient irrésistible. Pour vous aussi c’est une surprise ?"
D. C : "Oui, même moi, je n’en revenais pas. Ce match contre l’Espagne (victoire 23-20) a agi comme un révélateur. C’est là qu’on a commencé à se dire que cette équipe pouvait avoir un grand destin. Après, en quarts, on corrige les Suisses (28-18) et en demi-finale on domine les Allemands (22-20), qui nous avait pourtant battus en poule, en menant au score tout le long du match. Nous voilà donc de nouveau en finale du Mondial, comme deux ans auparavant (défaite 28-19 contre la Russie) mais cette fois-ci, on n’avait pas envie de se contenter d’y être et il n’a pas fallu puiser très loin dans la mémoire de chacun pour motiver tout le monde. Personne ne voulait s’arrêter là."
La sieste prolongée de Richardson
"Il y a cette fameuse anecdote avec Jackson Richardson le jour de la finale contre la Croatie, qui montre la décontraction de ce groupe?"
D. C : "Oui tout le monde était dans le hall de l’hôtel, prêt à partir pour la salle, sauf Jackson Richardson. Je demande des explications à Patrick Cazal, son camarade de chambre, qui me dit qu’il ne va pas tarder. Comme il n’arrive pas, je finis par envoyer mon adjoint et l’équipe à la salle située à 200m à vol d’oiseau de l’hôtel et moi je continue d’attendre. Cinq minutes, dix minutes... Finalement, je vois l’ascenseur arriver et Jackson en sortir alors que sa chambre est au premier étage. Et là, il a le culot de dire: « Ils sont où les autres? ». Il s’était rendormi après la sieste! Un jour de finale de Mondial!"
"Il s’est quand même bien rattrapé par la suite, non ?"
D. C : "Oui, en plus, à l’époque, « Jack » jouait surtout en défense. Et il a été extraordinaire, notamment contre les Croates en finale (23-19). À lui tout seul, il a asphyxié les trois joueurs de la base arrière adverse et a facilité grandement la tâche de ses partenaires. Il s’est retrouvé MVP de la compétition tout naturellement et a pris une autre dimension dans ce Mondial. Ce n’est pas pour rien qu’il a été élu meilleur joueur du monde cette année-là."
"On dit que cette victoire a décomplexé le sport collectif français. C’est aussi votre sentiment ?"
D. C : "Oui, oui, on peut dire ça. La première équipe française de sport co championne du monde, c’est celle de hand masculin, ça c’est quelque chose qu’on ne pourra jamais nous enlever! Ça a fait du bien à tout le monde. On a déclenché quelque chose. J’aimais bien taquiner Aimé Jacquet à ce sujet quand on se croisait dans des conférences. Non seulement nous avons été la première équipe à devenir championne du monde mais aussi la première à l’être deux fois, puisqu’on a remis ça en 2001."
Un élan de sympathie hors norme jusqu'à Atlanta
"Beaucoup se souviennent plus des scènes de liesse qui ont accompagné le retour en France que de la finale en elle-même, ça vous étonne ?"
D. C : "Non, parce que c’est une équipe qui suscitait un élan de sympathie hors norme. Tout était spontané et elle ne laissait personne indiffèrent. Je me souviens avoir été invité avec tous les joueurs à Roland-Garros et le public du Central s’est levé pour nous applaudir en plein match d’Agassi. La partie a dû être interrompue quelques instants. On a aussi été les premiers à être reçus à l’Elysée par Jacques Chirac qui venait tout juste d’être élu Président de la République (le 7 mai 1995). Bon, on n’avait pas eu droit aux médailles cette fois-là! "
"Les lendemains de titres sont parfois douloureux. Les Barjots n’ont pu faire mieux que 4èmes aux JO d’Atlanta un an plus tard. Vous avez pressenti tout ça ?"
D. C : "Oui, très vite. Déjà, la plupart des joueurs ont fêté le titre pendant tout l’été et les clubs ont eu beaucoup de mal à les remettre au travail. Ensuite, la rentrée s’est mal passée avec une défaite en Yougoslavie, une autre en Belgique en qualifications de l’Euro 1996. Vient ensuite l’épisode du coup de boule de Quintin à Schaaf à la mi-temps du match retour contre les Belges à Nantes... Bref, il y a eu un enchaînement d’événements qui ont laissé supposer que la fin des Barjots était déjà un peu écrite. C’est pour ça que j’ai essayé d’intégrer des jeunes (Cordinier, Prandi) en vue des Jeux mais la fusion ne s’est pas faite. Et à Atlanta, ça a été la chronique d’une mort annoncée. J’avoue avoir manqué de courage avec cette équipe dans la préparation de ces Jeux et m’être retrouvé complexé vis-à-vis d’elle parce qu’elle avait fait de moi un entraîneur champion du monde, et quelque part, je lui étais redevable. Je voyais bien qu’on allait dans le mur mais je ne savais pas comment réagir. On fait une première semaine correcte et en demi-finale on s’écroule contre la Croatie qu’on avait pourtant battue un an auparavant. On a eu ce qu’on méritait c’est-à-dire rien! Tout était consommé."
"Une équipe comme les Barjots aurait pu être championne du monde aujourd’hui ?"
D. C : "Je ne sais pas parce que le handball a quand même beaucoup évolué depuis. Maintenant, on a affaire à des athlètes hyper sérieux dans leur vie professionnelle. Les nouvelles générations sont toujours capables de faire la fête mais plutôt après les compétitions! Alors que les Barjots...Moi je me souviens avoir entendu dire que certains avaient été vus au café Reykjavik après minuit la veille de la finale...C’était l’époque des excès."
"S’il y a une image symbolisant ce titre que vous garderez toujours en mémoire, ce serait laquelle ?"
D. C : "Celle des joueurs sautant sur le toit de la Twingo de Stéphane Stoecklin à notre retour d’Islande. Lui le premier! Ça a vraiment été les rois du monde, pendant trois mois !"
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