Handball : qui est Didier Dinart, le coach "bad cop" des Experts ?
A coups de marrons et de petits gâteaux, le coach des Bleus s'est taillé une réputation. Portrait d'un stratège puncheur.
"C'est simple, le handball". C'est ainsi que Didier Dinart conclut sa vidéo la plus célèbre, où il explique comment défendre son but au handball, à l'aide de biscuits sur la table d'un restaurant. Même quand il était encore sur le terrain, le défenseur d'1,97 m était déjà coach dans l'âme. Pas étonnant de le voir sur le banc de l'équipe de France depuis le début de ce Mondial, comme pour le match contre la Russie, mardi 17 janvier.
Une plaque à médailles qui déborde
Didier Dinart, c'est d'abord un palmarès mastoc pour un joueur qui ne l'était pas moins : deux titres olympiques, trois titres mondiaux, deux titres européens et 379 sélections avec l'équipe de France, entre 1996 et 2013. En club, quatre victoires en Ligue des champions et 11 championnats nationaux, excusez du peu. "Je gardais mes médailles sur une sorte de plaque saoudienne qu'on m'avait donnée... Un jour, je n'avais plus de place, j'ai fini par les mettre dans une vitrine", concède le champion multimédaillé.
Depuis deux ans, il évoluait comme faux adjoint de Claude Onesta, l'inamovible sélectionneur depuis 2001. Deux ans que c'est lui qui demande les temps morts, qui houspille l'arbitre, se lève sans cesse de sa chaise, et propose des combinaisons dans les derniers instants, comme celle, victorieuse, à quelques secondes de la fin de la demi-finale olympique contre l'Allemagne, à Rio. Quand la fédération l'avait appelé au crépuscule de sa carrière, il n'avait pas hésité longtemps à abandonner la reconversion comme entraîneur adjoint du PSG qui lui était promise. Regarder les matchs de l'équipe de France à la télé, ce n'est définitivement pas son truc.
"Un joueur mal dégrossi"
Didier Dinart n'avait pourtant rien d'un surdoué quand il a débarqué de Guadeloupe pour le Pôle Espoir de Dijon, à l'âge de 16 ans, en 1993. "C'est le club qui a payé le voyage, ma famille n'avait absolument pas les fonds", se souvient-il. Il troque alors les conditions difficiles pour pratiquer son sport – 45 minutes de marche pour tâter le ballon – pour un choc thermique et émotionnel. "Ce n'était pas forcément facile à 16 ans", commente Dinart, qui se rappelle avoir vu sa mère pleurer. "Elle m'a avoué que quand je passais la porte de l'appartement, elle s'effondrait." Le fils prodig(u)e ne revenait au bercail que tous les dix mois. Le climat dijonnais l'a également bien marqué : "il faisait jusqu'à -16 °C !"
Sportivement, le géant ne perce pas. "Moi aussi j’aurais aimé être Denis Lathoud ou Frédéric Volle [les stars de l'équipe des Barjots]. Mais je n’étais pas bon, trop stéréotypé. Je l’ai vite compris, et j’ai cherché une autre voie." Positionné à l'époque en attaque pour ses qualités physiques, Dinart enchaîne blessure sur blessure. L'entraîneur de Montpellier Patrice Canayer décèle son potentiel, et le repositionne en défense en 1996. "Je me suis déjà comparé à un boucher", reconnaissait un Dinart encore mal assuré dans une interview à Ouest-France. Pour lui, il n'est véritablement devenu un bon joueur de handball qu'à 26 ans, une fois arrivé en Espagne, en 2003 : "c’est à Ciudad Real que j’ai acquis les fondamentaux du jeu. Avant, j'étais un joueur mal dégrossi."
Le "bad cop" des Experts
Dinart va se tailler un poste sur mesure de défenseur exclusif, qui n'existe plus dans le handball moderne. Pendant l'âge d'or des Experts, seul le gardien Thierry Omeyer avait une moins bonne moyenne de buts que lui sous le maillot bleu. Dinart ne court pas, ou peu, mais dirige comme un chef d'orchestre la défense de son équipe. Oublié le "Boucher", place au "Roc" ! "Mes adversaires, il faut que je les haïsse pour faire un bon match", explique avec gourmandise le défenseur. Cette haine peut aller assez loin. Un jour, un adversaire usé de l'avoir en permanence sur le râble lui envoie "une patate dans la tronche" en plein match. Uppercut. Et mâchoire cassée pour Dinart, qui consignera tout de même l'anecdote dans son livre Secrets d'un champion : défendre son rêve (Ed. Hugo Sport).
"Etre défenseur, ce n'est pas une tare", martèle Dinart. Demandez-lui un de ses meilleurs souvenirs en bleu, il vous parlera d'une séquence de trois minutes où la redoutable Croatie avait buté sur la défense bleue en demi-finale olympique. "Trois minutes ! C’est un enchaînement de tâches exemplaire, digne d’une démonstration !", s'enthousiasme-t-il dans Libération. Claude Onesta le définit comme un "truqueur, à la limite de la faute". Grégory Anquetil, de la génération d'au-dessus, choisit trois adjectifs pour le décrire : "fainéant, tricheur... et ce ne sont pas des défauts ! Et enfin costaud. " Dans son portrait consacré au coach des Bleus, Marca l'avait comparé à Don Quichotte. Est-ce parce que convaincre que défendre est sexy s'apparente à embrocher le premier moulin à vent qui passe ?
Tout n'a pas toujours été rose en bleu pour le Guadeloupéen. Il conserve en mémoire un championnat d'Europe en Autriche, en 2010, où ses coéquipiers négligeaient leurs tâches défensives en se reposant trop sur lui. "J'avais l'impression que les gars se planquaient derrière moi. C'était du genre : 'vas-y l'esclave, bats-toi pour nous faire briller'", raconte-t-il dans le livre La Grande Saga du hand français (Hugo Sport). S'ensuit une franche explication de texte avec des partenaires, et une équipe remobilisée pour préserver son but (seulement 21 buts encaissés en finale). "Dans cette équipe de France, j'ai plus un pouvoir de policier que l'on craint car il peut brandir la matraque." Il en conservera un petit côté bad cop, encore sur le banc aujourd'hui. Contrebalancé par Guillaume Gille, son binôme, plus zen. "C'est moi qui l'ai choisi", confie Dinart.
Tonton David et huile d'olive
Hors du terrain, Didier Dinart se transforme. En agneau. Dans la fiche de présentation des Experts, il avait choisi la gentillesse comme qualité principale. En amoureux du terroir... qui presse sa propre huile d'olive issue de ses oliviers espagnols : "je fais ma récolte et j’amène les olives au moulin. Et l’huile est vraiment délicieuse…" En opposant farouche au bling-bling. Il n'y a qu'à voir la façon dont il choisit son domicile lors de ses nombreux déménagements : "C’est Lucia, ma femme, qui a eu carte blanche pour tout l’aspect matériel, confie-t-il à Handzone. Moi, à partir du moment où on me trouve un lit et une pièce pour vivre, ça me convient." En mélomane, qui cite Tonton David et son cultissime Chacun sa route en interview. En héros de la ville de... Dinard (avec un d), en Bretagne, qui l'a honoré d'un Hitchcock d'or, récompense municipale. En businessman qui possède sa ligne de vêtements de handball, Roca33. En télétravailleur, puisqu'il continue à vivre en Espagne le plus clair de son temps : "chaque jour, je dois régler différents problèmes avec les entraîneurs de la fédération, regarder des matchs, préparer des vidéos, envoyer des fiches de travail aux joueurs..."
Le Didier Dinart coach a dû apprendre à se démarquer du Didier Dinart joueur. Cela passe par des sacrifices... sur les fêtes. "Après les deux matchs de qualification de juin, les joueurs sont sortis fêter la victoire, raconte-t-il au site de la fédération. Les membres du staff m’ont proposé de les accompagner. Mais non, ce n’est plus ma fonction de sortir avec les joueurs. Il faut rompre avec certaines habitudes si l’on veut demeurer crédible." Un titre de champion du monde sur son CV d'entraîneur et le problème ne se posera plus.
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